En pleine détresse financière, les grandes maisons de presse allemandes se mettent au service des géants américains. Après Google, Apple et Microsoft, Facebook possède désormais aussi sa plateforme journalistique en ligne. Beaucoup craignent que les entreprises américaines ne deviennent définitivement les gardiens du journalisme en ligne allemand. Par ailleurs, l’argent de la Silicon Valley risque de mettre la presse allemande sous sa dépendance car les conditions de la « coopération » sont dictées par les Américains.
Axel Springer cède à son tour
Facebook News a été lancé tout récemment, proposant à ses utilisateurs ses propres contenus de presse. Plus d’une centaine d’éditeurs allemands sont inclus — dont Axel Springer. Jusqu’au dernier moment, la maison de presse berlinoise avait donné l’impression qu’elle ne voulait pas faire partie du projet. Président de l’Association fédérale des éditeurs de journaux (BDZV), le patron de Springer, Mathias Döpfner, avait même dénoncé la coopération. Ce revirement est la source d’un certain agacement dans la profession, les confrères se sentent trompés.
Les maisons de presse ont négocié individuellement et secrètement avec Facebook. Les observateurs supposent, cependant, que Springer a fait la meilleure affaire. Cela n’est pas seulement étayé par le fait que le groupe de médias n’a rejoint l’entreprise que le jour où Facebook News a été lancé ; bien plus, Springer a pu également, par l’intermédiaire de sa filiale “Upday”, se réserver la possiblité de compiler les contenus éditoriaux pour le réseau social.
Si l’argent rentre dans les coffres de Springer, certains soupçons prennent forme chez les autres éditeurs. Comment ne pas penser que Facebook favorisera Springer, se procurant exclusivement des articles et des photos auprès des journaux du groupe berlinois ? Les Américains réfutent que l’équipe de “Upday” est sous la supervision du géant des réseaux sociaux.
Une loi de protection des médias mort née
De même, d’autres géants américains de la technologie, comme Apple, ont acheté les services de maisons de presse allemandes. Ces coopérations se jouent dans le contexte d’un projet de loi de protection, sur le point d’être adopté. Ce qui pourrait forcer les entreprises américaines à payer des licences importantes en raison de la distribution de contenus journalistiques.
Les experts supposent que Google, Apple et maintenant Facebook ont exclu de tels paiements dans leurs contrats, sapant ainsi d’avance la nouvelle loi. Cependant, Springer aurait refusé de telles clauses. Ce succès ne devrait néanmoins pas rendre le groupe plus populaire auprès de ses collègues.
Le patron de Springer parle d’une “étape stratégique pour notre entreprise et l’ensemble de l’industrie” et d’une “relation juste et prévisible entre les fournisseurs de contenu et les plateformes”. Ce qui s’applique avant tout à son groupe puisque ce dernier bénéficie également d’accords spécifiques sur des développements de produits communs dans les secteurs vidéo et audio. Dans l’ensemble, Facebook verserait à Springer une somme de plusieurs millions de dollars au cours des trois prochaines années.
Censures préventives de Facebook
Presque toute la presse grand public se trouve sur Facebook News. L’entreprise de Mark Zuckerberg n’affiche les médias et ne les soutient financièrement que s’ils respectent certaines normes. Théories du complot et « fausses nouvelles » doivent être éliminées. Facebook veut « mettre plus de journalisme de qualité à la disposition des personnes sur notre plateforme et en même temps offrir aux éditeurs plus de possibilités de financement ».
Ce, bien sûr, à la plus grande satisfaction des groupes bénéficiaires. Selon leurs patrons, “des sources d’informations fiables sont l’une des conditions préalables les plus importantes pour un discours social constructif”. Ou bien, ils sont “très heureux de présenter également notre journalisme de qualité sur cette plateforme”. Ou encore « la présence en ligne de l’hebdomadaire peut non seulement faire gagner de nouveaux lecteurs mais aussi de nouveaux abonnés”.
Cette coopération, néanmoins, est remise en question par certains. On peut entendre : “les maisons qui pourraient être achetées à bas prix ou qui ont résisté aux tentations de Mark Zuckerberg risquent de se retrouver le bec dans l’eau. Ou encore : « La stratégie du patron de Springer a « ce qu’il faut pour diviser davantage une industrie qui l’est déjà souvent ».
Pour Facebook, par contre, aucun souci. Sheryl Sandberg, membre du conseil d’administration, s’est félicitée de l’arrivée du dernier « grand » allemand, Springer. La nouvelle recrue permettrait de proposer désormais une « sélection encore plus large de contenus journalistiques fiables » dans l’offre d’information. De leur côté, les journaux et les magazines espèrent non seulement de nouveaux revenus, mais aussi une plus grande portée. À l’inverse, les médias exclus sont susceptibles d’être repoussés à la périphérie d’Internet.
Google aussi
La coopération entre les médias allemands et Google avait commencé de la même manière en octobre 2020. Selon ses propres termes, l’entreprise présente des « articles journalistiques de haute qualité » sur la plateforme « News Showcase ». Google paie des frais de licence afin de « soutenir l’avenir du journalisme ». En réalité, il s’agirait aussi de contourner les lois de protection. Le groupe distribuera un milliard de dollars américains aux éditeurs du monde entier pour ce service au cours des trois premières années (une paille pour Google, ndt).
La presse est ainsi de plus en plus dépendante des nouvelles technologies. Google achète également du contenu que les médias proposent, eux, contre rémunération. Ces articles sont alors offerts gratuitement par Google, probablement le plus gros abonné.
Et Microsoft
Microsoft a suivi en février dernier. L’éditeur de logiciels, qui coopère désormais avec diverses associations de presse européennes, dont le BDZV dirigé par le patron du groupe Springer, a annoncé un système de paiement des contenus en ligne. L’objectif est que les « gardiens dominants du marché » financent la presse pour l’utilisation de leur contenu. De plus, selon Microsoft, l’accès aux médias grand public est « essentiel au succès de nos démocraties ».
Ingo Dachwitz, universitaire spécialisé dans la communication, voit dans cette coopération un grand danger pour les éditeurs allemands. Après avoir étudié les problèmes causés par la collaboration avec Google, il voit une problématique similaire se profiler avec Facebook. Car les maisons de presse allemandes et les entreprises américaines ne sont “pas des partenaires sur un pied d’égalité”.
Ainsi, les négociations ne se seraient pas déroulées sans heurts : « Ce sont les conditions que dicte Facebook. » Il y a par exemple des « délais de préavis relativement courts ». Dachwitz craint que les Américains puissent “changer d’avis très rapidement”. Alors, les journalistes allemands « seront plantés là ».
Traduction : AC. Source : Junge Freiheit du 30/05/2021. Les intertitres sont de notre rédaction.