Toutes les sociétés de contrôle et de limitation des libertés individuelles naissent d’un motif sécuritaire. De même, aucune société de contrôle ne se met en place sans l’assentiment de ses « élites » et le consentement d’une majorité de sa population. Est-ce cela qui se met progressivement en place du fait du coronavirus en France ? L’OJIM ne pouvait que suivre tout ce qui risque de mettre en cause nos libertés, première petite revue de presse.
Depuis plusieurs semaines et les affirmations réitérées selon lesquelles cela aurait fonctionné dans des sociétés telles que Singapour, le gouvernement français envisage de plus en plus d’instaurer le tracking dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de coronavirus. Il y a eu un semblant de « débat » en son sein, le pouvoir politique affirmant réfléchir, vouloir être certain que cela n’irait pas à l’encontre des libertés individuelles et peu à peu l’idée ayant fait son chemin, elle semble s’imposer. En particulier dans des médias que l’esprit critique semble avoir déserté.
Dans les jours qui ont suivi l’allocution du Président de la République du lundi 13 avril, les regards se sont concentrés sur « l’horizon du 11 mai », d’un déconfinement potentiel et de la remise en route des écoles. Mais le président avait aussi évoqué la question du tracking, indiquant que cela était envisageable, et à l’étude, sous certaines conditions. Il n’est pas inintéressant de noter qu’une pratique à même de limiter les libertés individuelles, ici la liberté de circulation, n’a pas été considérée comme l’élément essentiel de l’allocution, dans un contexte où le gouvernement avait déjà montré sa volonté de fixer des limites, par exemple avec la loi Avia. Notons aussi que depuis le 15 avril 2020, le même gouvernement communique sur les risques que feraient peser des groupes d’ultra gauche sur la France, des risques « révolutionnaires ». Une pandémie difficile à juguler, des risques de révolution, un système de contrôle disponible, une population habituée à ne plus circuler et ayant intégré un besoin d’être protégée, quoi de mieux pour installer une société de contrôle ?
Franceinfo, le jeudi 16 avril, indique que la mise en œuvre du « suivi » ou traçage de la population est une réussite en Corée du Sud où la population n’a pas été confinée et où il n’y a que 229 morts environ. Personne n’indique que les sociétés asiatiques du Sud-Est, confucéennes et bouddhistes, ne fonctionnent pas selon des rapports à autrui identiques aux nôtres. Il n’y pas d’application mais l’utilisation des bornages des smartphones fournis par les opérateurs téléphoniques en Corée du Sud. L’exemple est montré de manière extrêmement positive. Insistance au sujet de la France : l’application envisagée consisterait à échanger des données entre smartphones, indiquant si l’on croise un malade ou pas, et le gouvernement ou les GAFAM ne pourraient pas « conserver les données ». Qui peut sérieusement y croire? L’exemple le plus mis en avant est en réalité celui de Singapour : « De son côté, Singapour a développé l’application TraceTogether. Fonctionnant sur la base du consentement des utilisateurs, elle utilise la technologie Bluetooth pour identifier et enregistrer les téléphones situés à proximité. Si un cas de Covid-19 est confirmé, le téléchargement des données vers un serveur devient obligatoire. »
Plus tôt dans la journée, « Le monde est à vous », sur Franceinfo, faisait preuve d’un esprit critique étonnement limité, la journaliste affirmant qu’avec l’application envisagée par la France « il n’y a pas de géolocalisation automatique par GPS » et qu’il « n’est pas question d’avoir accès à vos données personnelles ».
En réalité, la surveillance des smartphones et le traçage des individus n’est pas une nouveauté, ainsi que le révélait le New York Times dans une enquête rapportée par Valeurs Actuelles le 27 décembre 2019. L’enquête montrait que des dizaines de start-up dans le monde recueillent des données de smartphones par géolocalisation et vendent des fichiers à des services de renseignement, des gouvernements ou à des entreprises. Le New York Times montrait des dizaines de milliers de points jaunes, en temps réel, sur une image de la ville, les smartphones tracés par les entreprises en question, et indiquait que la police de Londres s’était déjà procurée l’application.
Par ailleurs, ce traçage permet d’installer des applications sans que les propriétaires des smartphones n’en soient informés. Le traçage des populations n’a ainsi pas attendu le coronavirus pour être envisagé, cela pourrait ressembler à un prétexte.
Qu’en disent d’autres médias (pour l’instant) ?
Pour le Huffpost, habituellement soucieux de défendre les libertés et les désirs individuels de toutes sortes, le débat est secondaire : « Le projet du gouvernement de traçage des individus par le téléphone a provoqué un débat nourri, opposant les tenants du recours à la technologie comme moyen de lutte contre l’épidémie de coronavirus, et ceux qui estiment que le risque pour les libertés individuelles serait trop grand. Au-delà de ce débat, il faut s’interroger sur l’efficacité d’un tel dispositif. » Le magazine ne défend pas l’idée d’une surveillance mais ne la rejette pas, si elle est efficace.
Le 16 avril Le Monde s’interroge : « Faut-il avoir peur de StopCovid, l’application de « tracing » voulue par le gouvernement ? Comment fonctionnera l’application pour tracer les malades et leurs contacts, et existe-t-il des risques pour la protection de nos données ? »
Là aussi la formulation du titre indique un fait acquis, même si l’article et le podcast tempèrent (légèrement). Le Monde l’indique : l’État ne suivra pas chaque individu. Le journal semble en être convaincu. Nous serions protégés grâce à un anonymat sous forme de matricule. Rassurant. Pour l’instant, Le Monde considère que « sur le papier cela peut marcher » mais qu’il y a encore « beaucoup de si ». L’application « transforme les cas en points », exactement ce que révélait le New York Times concernant le contrôle déjà en œuvre par le biais des smartphones. Pour le quotidien, ce système « protégerait bien plus notre vie privée que par exemple Google maps ». Il y a cependant « des risques » donc « il vaut mieux le faire bien ». L’existence même de ce type de mode de surveillance n’est déjà plus mise en question.
Le quotidien Les Échos est rassuré : « Bruxelles va encadrer les applications de tracking.
La Commission européenne veut harmoniser l’utilisation des applications de suivi des contacts face au Covid-19. Après l’adoption d’une recommandation mercredi, une « boîte à outils » technique doit être définie et adoptée par les Vingt-Sept la semaine prochaine. »
Chacun sera heureux d’apprendre que l’Union Européenne veille sur nos libertés.
Pour Le Figaro et l’AFP, le 15 avril 2020 : « Tracking : le gouvernement veut garder la maîtrise du développement face à Google et Apple ». La problématique n’est donc pas de débattre de la nécessité de la surveillance par des applications intégrées dans nos smartphones mais de garder la main. Sachant que Apple et Google travaillent à un standard commun, ce qui n’a jamais eu lieu. Cela devrait interpeller, d’autant que l’application doit pouvoir fonctionner à l’échelle mondiale…
Le 16 avril, Franceinfo donnait aussi un argument massue en faveur du contrôle par le biais des smartphones : « Le président du Grand Est y est favorable ». À voir l’impact de ce qui s’est passé dans cette région, dans l’inconscient collectif, il n’est pas douteux que ce genre d’argument fera son chemin.
Par contre, plus personne ne relève un point qui était encore essentiel il y a peu, sachant que le premier smartphone a été mis en circulation il y a 11 ans. La question de l’existence même de cet objet pouvant conduire à un contrôle des populations était en débat et nombre de personnes se sont opposées à cette technologie, jusqu’à ce qu’elle devienne habituelle en une dizaine d’années par assentiment et consentement. Le 15 avril 2020, la présidente de la CNIL, Marie-Laure Denis, demande au gouvernement que l’application de traçage des malades du Covid-19 soit réellement « temporaire »…