Coup de projecteur sur la restitution officielle des États généraux de l’information 2024. Troisième partie : les propositions et recommandations du groupe de travail « Citoyenneté, information et démocratie ».
Le présent article poursuit les investigations de l’OJIM entreprises sur les différents travaux réalisés lors des États généraux de l’information (EGI).
Il propose un coup de projecteur sur ce qui ressort schématiquement du rapport rédigé par le groupe de travail « Citoyenneté, information et démocratie », présidé par Pascal Ruffenach, président, directeur général du groupe Bayard.
Ici encore, la composition du groupe de travail, les expertises mobilisées, les références sur lesquelles se sont appuyés les analyses et la méthodologie retenue ont permis d’aborder ce thème avec une compétence et une rigueur techniques et juridiques que reflète parfaitement la qualité de la partie du rapport global[i] qui s’y rapporte (pages 117 à 163).
Dans un préambule particulièrement bien étayé, ce groupe de travail a souligné la forte singularité de sa thématique très (trop ?) vaste qui « intègre une dimension sociétale conséquente puisqu’elle vise à appréhender, comprendre les sous-jacents des relations liant information, démocratie et citoyenneté », tout en dégageant « le principe d’un rapport fort et déterminant entre le fonctionnement de la démocratie et la capacité d’accès à une information riche et plurielle », en cherchant à l’appréhender à la fois comme une ressource et un bien public essentiel dont toutes les parties prenantes répondent.
Des constats objectifs et sans équivoque
Ce préambule pose les constats suivants :
→ Un fort intérêt des Français pour l’information
→ Une croissance de la défiance envers les médias et les journalistes
→ Le développement d’une « fatigue informationnelle », voire de « rapports pathologiques à l’information »
→ Un accès des Français à l’information en pleine transformation, avec des différences significatives entre jeunes et seniors.
→ Un fort impact des médias sur la qualité du débat démocratique, de plus en plus polarisé autour de débats où les faits et les opinions sont mis sur le même plan et où des experts polyvalents sur l’ensemble des sujets (politique, économie, sujets sociaux et sociétaux, écologie, culture, etc.) s’expriment sur un mode polémique et parfois caricatural.
→ Un manque de culture scientifique et économique des journalistes, avec seulement quelques heures dédiées dans les écoles, dont les cursus privilégient l’apprentissage des techniques de journalisme (journaliste de presse écrite, journaliste web, etc.). Ce manque est le reflet du niveau de la population générale, mais il présente un enjeu particulier en ce qui concerne les médias compte tenu de leur place dans la société et de leur rôle dans la formation des citoyens.
→ La place grandissante des réseaux sociaux, non régulés, dans les pratiques informationnelles, sans outil de vérification ou de fiabilisation de l’information délivrée, et le développement des fausses informations, qui fragilisent le lien de confiance entre les citoyens et les médias.
→ La nécessité de renforcer l’éthique de l’information, tout particulièrement dans le contexte de mutations technologiques où des outils d’intelligence artificielle dite générative sont en mesure de rédiger des articles ou de concevoir des images sur demande (deep fake)
→ Des règles régissant le pluralisme des courants d’idées et des opinions, de plus en plus inadaptées à un paysage en mutation et qui gagneraient à être modernisées.
→ Une faiblesse globale de l’éducation aux médias encore trop disparate et ponctuelle, qui ne doit pas se limiter à la population des écoles ou de l’enseignement secondaire, mais s’étendre à l’ensemble des citoyens.
20 propositions de portée et de nature très variées
Les 20 propositions émises se rapportent aux trois problématiques suivantes :
- Établir les voies et moyens permettant de faire émerger en France un nouveau modèle de « société à mission d’information » (problématique A)
- Revisiter les processus qui traversent l’univers des producteurs de l’information : renforcer la qualité de la formation des journalistes ; améliorer la diversité et la représentativité sociale des journalistes dans les rédactions ; les droits et devoirs des journalistes : mieux protéger les journalistes et leurs sources et retisser de la confiance avec le public ; favoriser une information de qualité (problématique B)
- Reconnaître la nécessité de traiter les enjeux associés à une citoyenneté de l’information et en stimuler les processus : l’éducation aux médias ; une citoyenneté de l’information au XXIe siècle ; développer l’esprit critique et lutter contre le complotisme : un enjeu démocratique à tous les âges de la vie ; journalisme et éthique de la discussion ; développer une politique publique de santé informationnelle (problématique C).
10 fiches de proposition en trois problématiques
Ces propositions ont été rassemblées dans 10 fiches de propositions traitant plus spécifiquement des thématiques suivantes :
En lien avec la problématique A :
- Fiche de propositions n°1 : La société à mission d’information
En lien avec la problématique B :
- Fiche de propositions n°2 : Renforcer la qualité de la formation des journalistes
- Fiche de propositions n° 3 : Améliorer la diversité et la représentativité sociale des journalistes dans les rédactions
- Fiche de proposition n°4 : Les droits et devoirs des journalistes : mieux protéger les journalistes et leurs sources et retisser de la confiance avec le public
- Fiche de proposition n°5 : Favoriser une information de qualité
En lien avec la problématique C :
- Fiche de proposition n°6 (dénotée 5, par erreur) : L’éducation aux médias
- Fiche de proposition n°7 : Une citoyenneté de l’information au XXIe siècle
- Fiche de proposition n° 8 : Développer l’esprit critique et lutter contre le complotisme : un enjeu démocratique à tous les âges de la vie
- Fiche de proposition n°9 : Journalisme et éthique de la discussion
- Fiche de proposition n° 10 : Développer une politique publique de santé informationnelle
Proposition 1 : Créer une qualité de « société à mission d’information » dans la loi Pacte du 22 mai 2018 pour reconnaitre l’information comme un bien commun.[ii]
Proposition 2 : Renforcer les mesures de protection des rédactions face à un potentiel interventionnisme éditorial de l’actionnaire.
Proposition 3 : Repenser les critères d’attribution des aides à la presse pour consolider un paysage informationnel pluraliste.
Proposition 4 : Généraliser la démarche de certification externe de la production de l’information à l’instar du JTI promue par le Media Freedom Act.
Proposition 5 : Valoriser et accompagner une meilleure représentation des citoyens dans les structures de gouvernance des médias, instances de régulation comprises.
Proposition 6 : Favoriser, par toute démarche ou incitation adaptée, les passerelles entre formations au journalisme et formation économique et/ou scientifique.
Proposition 7 : Réformer la protection du secret des sources.
Proposition 8 : Réformer le secret des affaires en abrogeant la loi du 30 juillet 2018 qui est source de trop fortes atteintes à la liberté de la presse.
Proposition 9 : Élaborer une charte de bonnes pratiques au sujet du recours aux intervenants « experts » notamment sur les plateaux des chaînes d’information continue.
Proposition 10 : Déployer un plan national d’amélioration du « bien-être » au travail des journalistes.
Proposition 11 : Déployer une politique publique ambitieuse et unifiée de culture de l’information à tous les âges de la vie en bâtissant un référentiel commun.
Proposition 12 : Intégrer la culture de l’information dans les programmes scolaires avec 1h/semaine dès le CM1.
Proposition 13 : Instaurer un financement de 1% pour la culture de l’information à tout âge de la vie des GAMAM se soustrayant à leurs obligations fiscales nationales.
Proposition 14 : Impliquer les citoyens dans la prise de décision des instances de coordination, d’aide et de régulation des médias (CESE).
Proposition 15 : Favoriser le financement des associations d’usagers au sein des instances de régulations nationales type l’Arcom.
Proposition 16 : Déployer le « pass-Info » pour lutter contre la précarité informationnelle des citoyens.
Proposition 17 : Soutenir la recherche pour mesurer efficacement l’impact des formations en matière d’esprit critique à tous les âges de la vie.
Proposition 18 : En période pré-électorale, renforcer la prévention de la désinformation.
Proposition 19 : Instaurer une véritable politique publique visant à limiter les impacts de l’information sur la santé à tous les âges de la vie, mais qui portera une attention particulière à l’enfance et à la jeunesse.
Proposition 20 : Créer une coalition de médias pour lancer et adapter l’initiative “My country talks” en France.
Que peut-on en retenir ?
Abordant des sujets fondamentaux, ces résultats jouissent d’une publicité / visibilité importante dans la synthèse globale, le comité de pilotage ayant réservé une place particulièrement importante à cinq de ces recommandations (soit un tiers de ses propres recommandations)[iii].
Etablies sur la base d’analyses claires, précises, bien que parfois naïves et traduisant un souci de mise en conformité avec une doxa dominante en France comme au sein de l’Union européenne (sur des sujets comme les complots, l’information relative à la santé, etc.), il semble qu’un plus grand nombre de propositions émises par ce groupe de travail pourraient être mises en œuvre sans grandes difficultés par les instances concernées.
Le rapporteur général des EGI ayant eu la sagesse de remettre au cabinet élyséen la totalité des documents émis par les différents groupes de travail, peut-être pourrions-nous voir apparaître dans les mois à venir des suites concrètes à ces différentes propositions.
À suivre !
Notes
[i] Cf. Le rapport des États généraux de l’information
[ii] « À date, aucun statut concernant les actionnaires des médias ne préexiste dans le droit. Ce statut aura à la fois mérite d’encadrer et de valoriser l’investisseur. La qualité de « société à mission d’information » serait une prolongation des dispositions introduites en 2019 pour les médias d’information politique et généraliste, dans une logique d’obligations renforcées en contrepartie, notamment, en contrepartie des aides de l’État à l’information – étant précisé que cette qualité ne serait pas réservée aux organes de presse écrite, tous les médias étant éligibles, et qu’aucune obligation de seuil de salariés ni de chiffre d’affaires minimal ne serait prévue par ailleurs. La société devrait préalablement avoir été reconnue comme « société à mission » avant de pouvoir être éligible à cette nouvelle qualité – qui n’est en aucun cas, comme la « société à mission » de base, un statut. Les dispositions auraient vocation à figurer dans le code de commerce ou dans une loi ad hoc. Les obligations correspondantes (au nombre de 6) présentent pour point commun de produire des externalités positives pour la société dans son ensemble, qui dépassent le strict intérêt de l’entreprise – conformément à l’esprit qui avait présidé à la création des « sociétés à mission », visant à ce qu’elles poursuivent des objectifs sociaux et environnementaux en plus de l’objectif de réalisation de profit. » (extrait du rapport global)
[iii] Les 5 propositions de ce groupe de travail retenues par le comité de pilotage :
Proposition 1 : Faire de l’éducation à l’esprit critique et aux médias à l’école une priorité
Proposition 2 : Neutraliser la désinformation par une sensibilisation préventive à grande échelle (pre-bunking)
Proposition 3 : Étendre la qualité de société à mission aux entreprises d’information
Proposition 4 : Améliorer la gouvernance des médias d’information
Proposition 5 : Renforcer la protection du secret des sources et légiférer contre les procédures-bâillons