Dans plusieurs villes de France, des violences ont éclaté après la qualification de l’équipe du Maroc en quart, puis en demi-finale de la coupe du monde de football organisée au Qatar. Ces événements ont été présentés de façon laconique comme de simples « incidents » par de nombreux médias de grand chemin. Peut-on pour autant réduire des affrontements contre les forces de l’ordre et la dégradation de biens publics et privés à des événements peu importants ? Hors des sentiers battus, la lecture de certains médias et des réseaux sociaux permet d’en douter. En marge de ces violences, c’est également la dimension culturelle voire civilisationnelle du soutien à l’équipe du Maroc qui a été occultée par les médias centraux.
Des « incidents » post matchs nombreux
Après la qualification de l’équipe du Maroc en quart de finale, puis en demi-finale de la coupe du monde de football, de nombreux médias de grand chemin ont qualifié de façon laconique d’« incidents » les violences contre les forces de l’ordre et la dégradation de biens publics et privés.
France Bleu évoque le 10 décembre « plusieurs incidents après la qualification du Maroc en demi-finale de la Coupe du monde ». Dans le sous-titre de l’article, on apprend qu’il s’agit notamment de« plusieurs magasins (…) dégradés par des casseurs, et un camion pillé ».
Après un long développement sur la qualification des équipes de France et du Maroc en demi-finale, le journal télévisé de 13h de France 2 présente le 11 décembre les « incidents » en marge du match de football en quelques secondes.
BFMTV fait état le même jour dans un reportage télévisé d’« incidents à Paris après les qualifications de la France et du Maroc ». On y apprend en voyant des images de véritables scènes de guérilla urbaine que 74 personnes ont été interpellées à Paris.
Ouest-France titre également le lendemain de la qualification de l’équipe de France et du Maroc en demi-finale sur des « incidents », des incidents qui ont quand même donné lieu à « au moins 170 interpellations » en France. On ne sait pas en lisant l’article du quotidien régional si l’élément déclencheur des « incidents » est la « joie » provoquée par la qualification de l’équipe de France ou celle provoquée par la qualification de l’équipe du Maroc.
Les faits, rien que les faits
Le site Fdesouche a recensé ce que de nombreux journalistes ont donc appelé des « incidents » après la qualification de l’équipe du Maroc en quart de finale puis en demi-finale de la coupe du monde de football.
Le 7 décembre au soir, après la qualification en quart de finale de l’équipe du Maroc de football, les « incidents » ont été nombreux à Lyon, Amiens, Avignon, Lille, Nice, Paris, etc.
Bis repetita le samedi 10 décembre après la qualification de l’équipe du Maroc en demi-finale : des tirs de mortiers sur les camions de gendarmes à Paris, des scènes de guérilla urbaine à Lille, un camion pillé à Avignon, de policiers « humiliés » à Roubaix, etc..
Le journaliste de Valeurs actuelles Amaury Brelet indique dans un fil sur Twitter « à partir d’une note de police » les motifs des gardes à vue après les « incidents » du 11 décembre sur les Champs Elysées : « participation à un groupement en vue de la préparation de violences et/ou de dégradations de biens, violences volontaires sur PDAP, détentions de produits explosifs. Exemples d’infractions : violences avec arme, violences en réunion, délit d’embuscade, mise en danger de la vie d’autrui, dégradations volontaires, rébellion, refus d’obtempérer, usage de stupéfiants, vol, participation à un attroupement porteur d’une arme… ».
Il conclut : « Au vu de la liste détaillée, l’écrasante majorité des Français placés en garde à vue sont jeunes, domiciliés en Ile de France (mais seulement 6 à Paris) et d’origine étrangère, africaine et nord-africaine, nés en Ile de France, au Maroc, en Algérie ».
S’il est important de souligner que ces violences sont le fait d’une minorité de supporters de l’équipe du Maroc, il est également nécessaire de faire le constat que très peu de médias se sont penchés tant sur l’ampleur que sur le contexte de ces violences, qui relèvent d’un véritable phénomène de société.
Un message politico-religieux explicite
L’analyse des réseaux sociaux, Twitter en particulier, permet de lever le voile sur des expressions accréditant une dimension communautariste et politico-religieuse du soutien de certains supporters à l’équipe du Maroc.
À Sens, Julien Odoul relaie le 11 décembre une vidéo où l’on voit un supporter de l’équipe du Maroc sur le toit d’une voiture crier : « « On n’est pas des Français nous ! ».
Une abonnée de Twitter qui se présente comme étant une chercheuse à l’université de Harvard et qui « a un œil sur la France », s’interroge : « quel sera le prochain pays colonisateur qui sera battu après ? ».
Un autre tweetos indique — image à l’appui — que « le joueur marocain Sofyane Amrabat choque l’Espagne avec les photomontages guerriers qu’il partage après le match sur Instagram (~1M abonnés) comme celui légendé “qu’Allah te bénisse” où il apparaît armé d’un sabre razziant Gavi, joueur espagnol de 18 ans ».
Un tweet d’une internaute suivie par 116 000 abonnés mentionné par Steph C, supprimé depuis, évoque « Après avoir plié la Belgique, l’Espagne et le Portugal, le Maroc doit poursuivre son travail de « réparation » historique en battant la France. (…). Allez les lions de l’Atlas ! Pour l’chaab, pour l’Afrique, pour les pays arabes, etc ».
Le compte Twitter Arab Intelligence, qui compte 17 K abonnés, s’interroge le 10 décembre :
⚔ 🛡 🇲🇦 ⚽️ | La reconquête de l’Andalousie 7 siècles siècles plus tard, l’arrêt sera encore à Poitiers cette fois-ci ?
🇪🇦 Espagne ❌
🇵🇹 Portugal ❌
🇨🇵 Charles Martel en demi-finale ?⌛ pic.twitter.com/vO16w8IkE4— Arab Intelligence — المخابرات العربية (@Arab_Intel) December 10, 2022
Cela amène un internaute à commenter : « Al-andalus est le produit de la conquête violente et de l’occupation sans cause, durant 700 ans, par des envahisseurs d’une terre dont ils n’étaient pas originaires. Vous trouvez la colonisation cool ? ».
Le 8 décembre, le joueur de l’équipe du Maroc, Sofiane Boufal, s’exprime devant un journaliste : « Cette victoire appartient à tous les peuples arabes et musulmans du monde ». Cela amène le commentaire suivant de Damien Rieu : « Imaginez le scandale si un joueur de l’équipe de France avait dit « Cette victoire appartient à tous les peuples européens et chrétiens du monde ».
Dans le prolongement, en France cette fois, Fdesouche a retenu un extrait d’un reportage de BFM TV sur les Champs Elysée où la parole est donnée à un supporter : « « Ici, y’a qu’des africains et des musulmans, on est tous ensemble. Nous on a un truc c’est Allah, c’est Allah il a tout fait ! » Journaliste : “Vous aimeriez affronter qui ?” « La France. Combattre la France »
Dans les médias de grand chemin, des articles nous apprennent que les victoires successives de l’équipe du Maroc lors de la coupe du monde de football ont une dimension qui dépasse la communauté marocaine.
Libération évoque la « liesse de toute l’Afrique »… à Roubaix.
Le Parisien nous apprend que pour le Qatar, le Maroc est « l’équipe des musulmans du monde entier ».
La reconquête
Un article du média d’actualité du Maghreb Le courrier de l’Atlas publié le 7 décembre est consacré à la coupe du monde de football au Qatar. Il comporte un titre tout à fait explicite : « La reconquête ». Le contenu est à l’avenant :
« Bien sûr, nous n’avons pas libéré la Palestine, nous n’avons pas repris nos territoires occupés de Sebta et Mellilia, c’est certain que l’Occident continue de piller nos richesses, mais il y avait du bonheur à regarder ces jeunes joueurs redonner de la joie à des populations dépitées par l’hégémonie sportive des anciens colons. Bref, avec ce mondial, nous sommes à la fois dans le passé et dans le présent en attendant ce futur qui ne saurait tarder ».
À l’heure où ces lignes sont écrites, la demi-finale entre l’équipe de France et celle du Maroc n’a pas encore eu lieu. Si comme de nombreux supporters de l’équipe du Maroc, Mohamed Louizi revendique sur Twitter n’avoir « aucun mal à célébrer sa joie dans le respect », il faudrait être aveugle ou hypocrite comme un journaliste de média de grand chemin pour ne pas voir dans l’enthousiasme de certains supporters une manifestation du communautarisme musulman et parfois également une volonté de revanche dont on se demande quand elle s’éteindra… À suivre.