Le 20 janvier 2019, Le Figaro relaie, sans en changer une ligne, une dépêche Reuters datée de la veille, relatant un incident révoltant qui s’est déroulé le 18 après-midi à Washington. Un vidéo, qui prendra vite un tour viral, montre des lycéens blancs, élèves du collège catholique de Covington dans le Kentucky et venus dans la capitale pour participer à la Marche pour la Vie, revêtus qui plus est de casquettes où figure l’acronyme pro Trump MAGA (Make America Great Again), rassemblés pour conspuer un Amérindien qui frappe pacifiquement un tambour traditionnel.
Dans une vidéo mise en ligne quelques heures après, la victime, Nathan Philips, ancien des Marines, vétéran du Vietnam, affirme que les jeunes suprématistes blancs trumpistes ont accompagné leur attitude méprisante de slogans hostiles, criant notamment « Build that Wall » (construisez le mur, sous entendu le mur projeté par Trump à la frontière avec le Mexique) pour couvrir le son du tambour. « Je leur ai dit, ici, on ne construit pas de mur, c’est une terre indienne » termine-t-il, des sanglots dans la voix.
Machine à s’indigner
Le crime est signé et la machine à s’indigner va pouvoir se mettre en route :
- une représentante démocrate du Nouveau Mexique au congrès, Deborah Habland, lance un tweet indigné « Ce Vétéran a mis sa vie en jeu pour notre pays. La manifestation de haine de ces soi-disant élèves montre bien à quel point toute décence a disparu sous l’administration Trump ».
- l’actrice Alyssa Milano, figure de proue du mouvement MeToo, compare la casquette des lycéens à la cagoule du Ku Klux Lan.
- l’« humoriste » Cathy Griffin, qui s’était déjà fait remarquer dans le passé pour un photomontage où elle tenait la tête d’un Donald Trump décapité, publie une photo de l’équipe de basket de l’école où des lycéens tendent la main pour attraper le ballon : « ils font le salut nazi » (“Covington’s finest throwing up the new nazi sign”), affirme-t-telle sans vergogne.
- Jack Morissey, producteur du film Beauty and the Beast, qui n’y va pas par quatre chemins, déclare dans un tweet accompagné d’une image faisant référence à la scène culte du film Fargo, que les coupables méritent d’être envoyés à la déchiqueteuse à bois (woodchipper).
Les médias ne sont pas en reste, à commencer par le Washington Post et le Huffpost (« Native American Veteran Speaks Out After MAGA Hat-Wearing Teens Harass Him »), qui mènent la charge.
Le lundi et le mardi qui suivent, l’école doit fermer en raison des menaces et ne rouvrira que le mercredi 23. Un ancien élève lance une pétition pour demander la démission du proviseur, coupable d’avoir couvé de tels monstres. Très gêné, le diocèse de Covington condamne les lycéens racistes et annonce envisager des mesures d’exclusion.
Le problème, c’est que tout cela est faux
Le lundi, le Département de la Défense annonce que Nathan Philips a bien été mobilisé en 1972 (la conscription ayant été abolie en 1973) et démobilisé début 1976. Sa période de service actif est bien contemporaine de la guerre du Vietnam. Sauf qu’il n’y a jamais mis les pieds…
Philips a pendant tout ce temps servi comme mécanicien chauffagiste sur une base des Marines au Kansas. Il a d’ailleurs été démobilisé comme simple soldat, non sans avoir été réprimandé à trois reprises pour absences sans permission. Des états de services qui ne font pas vraiment penser au héros joué par Robert de Niro dans Voyage au bout de l’enfer…
Mais surtout, la vidéo intégrale de l’incident, longue de deux heures, va mettre en lumière la réalité de l’affaire : le groupe de lycéens, qui vient de participer à la Marche pour la Vie, arrive vers 16h30 pour attendre à proximité du Lincoln Memorial le bus qui doit les ramener dans le Kentucky et qui arrivera vers 17h30.
Peu de temps après leur arrivée, se dirige vers eux un groupe de 4 personnes appartenant à une organisation de suprématistes noirs, The Black Hebrew Israelites, qui se met à les insulter, en leur reprochant de donner des droits aux homosexuels, les traitant de pédérastes (« faggots »), de sales petits blancs (« white crackers »), fruits de l’inceste (« incest kids ») et de pédophiles. S’en prenant à l’un des élèves noirs de Covington (ils n’étaient donc pas tous blancs), ils le traitent de « sale nègre ».
Les élèves, impressionnés, ne résistent pas et se contentent d’entamer un des chants de leur école pour couvrir le bruit et se donner du courage. Intervient alors Nathan Philips, qui se dirige vers les élèves et se place nez à nez avec l’un d’entre eux, Nick Sandmann.
Ne sachant à quoi s’en tenir, et espérant que le nouvel arrivant fera écran entre eux et leurs agresseurs, le jeune homme sourit un peu niaisement et les autres lycéens reprennent timidement les chants entonnés par le vieil homme, jusqu’à ce que l’arrivée du bus mette fin à leur épreuve.
Rétropédalage (tout relatif)
La diffusion de la vidéo intégrale des évènements va conduire les médias à un rétropédalage embarrassé. Le Washington Post, sans s’excuser, explique alors que c’est « l’internet de Trump » qui est responsable. Le New York Times conclut quant à lui à « une convergence explosive de race, de religion et d’idéologie, dans un contexte politique national tendu.» Seul parmi les médias proches des Démocrates, le magazine Atlantic Monthly (récemment racheté par la veuve de Steve Jobs) aura le courage de reconnaître l’ampleur du désastre, ironisant au passage sur le fait que la gauche mondaine, volontiers antimilitariste, avait versé des larmes de crocodiles sur un de ces (supposés) vétérans du Vietnam dont elle avait autrefois dit tant de mal…
PS : Le Figaro n’a pas publié de démenti. La vidéo incriminée n’est plus disponible sur le site de Reuters. Kathy Griffin et Jack Morissey ont effacé leurs tweets.