La théorie de l’appel d’air dans la crise migratoire actuelle est un sujet récurrent dans les médias. L’accueil et l’aide aux migrants inciteraient des étrangers à venir en France, alors qu’ils en seraient découragés sans moyens mis à leur disposition. Les médias peuvent avoir un double rôle en la matière : celui de dispenser des opinions sur le sujet et aussi celui de contribuer à l’appel d’air.
Les opinions sur l’appel d’air dans quelques médias
Libération publie en juillet 2015 une tribune d’Éric Pliez du Samu social. Il y indique que « craindre un appel d’air n’a pas de sens. Des milliers de personnes sont prêtes à risquer leur vie en mer et à accepter, une fois parvenues en Europe, des conditions de vie parfois bien moins confortables que celles qu’elles ont quittées ».
Le journal reprend cette position dans un article du 22 mars 2017 sur les arrêtés anti-repas pris à Calais. Le journal estime en creux que les structures et aides mises en place ne favorisent pas l’afflux de migrants, mais leur offrent des conditions de vie digne. Sinon on est dans « la vieille logique de la crainte de l’appel d’air ». Idem pour les installations de douches à Calais évoquées dans un article du 24 février 2017, freinées par la préfète du Pas-de-Calais, car « ne pouvant que contribuer à créer un point de fixation à Calais, ce que nous voulons éviter ».
Pour L’Obs, la théorie de l’appel d’air « ne fait pas l’unanimité ». Le site de l’hebdo donne la parole le 10 janvier 2017 à Geneviève Jacques, présidente de la Cimade (association d’aide aux migrants) : « ce n’est pas pour visiter les monuments qu’ils (les migrants) viennent à Paris ». Le journaliste est obligé de concéder : « L’ouverture en novembre d’un centre d’accueil, porte de la Chapelle, devait contribuer à résoudre le problème, en hébergeant les migrants avant de les orienter vers des foyers plus pérennes », « mais le dispositif refuse chaque jour des migrants », dont bon nombre sont des déboutés du droit d’asile en Allemagne.
Un journaliste de L’Obs donne la parole le 16 septembre 2016, au « président Les Républicains (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes (qui) assure que ce projet va créer un appel d’air énorme sur l’immigration clandestine ». La conclusion de l’article revient à quelques présidents socialistes de Régions pour qui cet argument relève de « réactions outrancières et manipulatrices ».
Un journaliste du Figaro reprend sans réserve la position du Premier ministre d’alors sur le sujet. L’article publié le 8 avril 2016 est consacré à la gestion française et allemande de la crise des migrants : « Interrogée sur les critiques contre sa politique migratoire – qui avait suscité un appel d’air -, formulées par Manuel Valls en février depuis Munich, la chancelière a botté en touche, déclarant dans un sourire que les “critiques” ou les “mots difficiles” avaient tendance à la “stimuler”, plutôt qu’à la “mettre en colère”». Le quotidien publie le 6 juin 2016 une tribune d’Alexis Théas. Concernant le projet d’installation de plusieurs centres d’accueil à Paris, le juriste indique qu’ils constituent « un nouvel appel d’air dans une situation déjà chaotique ». « Ouvrir, dans un grand étalage ostensible de bons sentiments un ou plusieurs centres humanitaires à Paris n’est qu’un piètre palliatif qui aura pour effet de favoriser un nouvel appel d’air et des arrivées supplémentaires. »
Après l’annonce de la création du camp de la Porte de la Chapelle, le journal laisse la parole le 7 septembre 2016 à différents point de vue dans un article intitulé « Paris ouvrira mi-octobre son premier centre d’accueil pour réfugiés ». La conclusion de l’article est laissée à N. Kosciusko-Morizet (LR) pour qui « c’est un nouveau Sangatte à Paris et on a vu ce que cela donnait. Créer un centre de transit, c’est créer un lieu de fixation, c’est créer un appel d’air ».
La chaine de télévision Arte consacre l’émission 28 minutes du 10 janvier à un débat sur la question : « L’accueil des réfugiés encourage-t-il l’arrivée de nouveaux migrants ? ». Face à un universitaire pro immigration et la responsable du programme migrants de Médecins Sans Frontières, le temps imparti au fondateur du site Atlantico pour développer des arguments accréditant la théorie de l’appel d’air parait bien limité. La séquence consacrée aux passeurs de la vallée de la Roya (Alpes Maritimes) illustre le parti pris des journalistes : le sujet est présenté comme illustrant la situation dans « la généreuse vallée de la Roya ». « Tandis que plusieurs membres de l’association Rioja citoyenne viennent en aide aux migrants, un député leur déclare la guerre : Éric Ciotti. Alors faut- il évacuer Éric Ciotti ? ».
Les médias peuvent participer à l’appel d’air
Une spécialiste libanaise des migrations, Najla Chahda, indiquait dans un débat organisé en novembre 2015, relayé par le quotidien libanais l’Orient-Le jour, sur le thème « Les médias face à la crise des flux migratoires » : « La question des réfugiés n’avait pas suscité d’intérêt particulier jusqu’à cette photo de l’enfant mort sur la plage qui a provoqué la révolte ». Et d’ajouter que cet intérêt coïncide avec « l’ampleur » qu’a atteinte la crise humanitaire. « En filmant les réfugiés dans leur parcours, les médias ont encouragé les réfugiés à prendre le chemin de l’Europe ».
Cette affirmation est réfutée par Benjamin Barthes, Directeur du bureau du quotidien Le Monde au Moyen-Orient qui estime que « l’impact le plus fort était immanquablement celui des réseaux sociaux ».
Le rôle des réseaux sociaux comme outil d’information dans les migrations actuelles a fait l’objet de nombreuses études. Des travaux universitaires ont mis en avant le fait que les migrants sont hyper connectés et que « les contacts permanents entre eux jouent un rôle croissant dans leur vie ». Une chercheuse interrogée sur le sujet en mars 2017 par le mensuel Sciences Humaines indique que « les migrants peuvent recevoir des informations de personnes déjà parties. Ils effectuent des recherches sur le chemin à emprunter, les obstacles à éviter et sollicitent via les réseaux sociaux des amis et relations pour les aider. Ils sont donc mieux préparés et plus efficaces dans leur projet migratoire. Cette communication peut aussi renforcer leur décision de partir ».
Cas pratique
En août 2015, France Info informe que l’Allemagne se dit prête à accueillir 800 000 demandeurs d’asile pour l’année 2015. L’annonce des autorités allemandes est largement relayée dans les médias.
Celle-ci entraine un afflux de migrants sans précédent : Europe 1 annonce le chiffre de 280 000 arrivées rien que durant le mois de septembre. Des premières mesures visant à faciliter les expulsions et accélérer l’examen des dossiers de demandeurs d’asile sont prises. Le 13 septembre, dépassée par le flux migratoire qu’elle a suscité, l’Allemagne décide de suspendre temporairement sa frontière avec l’Autriche, relaie notamment Le Midi Libre.
Les différentes annonces du gouvernement allemand auront été faites lors de conférences de presse ou via des communiqués relayés dans les médias. Il importe alors pour les autorités allemandes non seulement de prendre des décisions mais surtout de les faire connaitre à tous les candidats au départ, qui ont été plus qu’attentifs au message initial d’ouverture de la chancelière allemande.