Depuis plusieurs jours, la pandémie de Covid-19 est au cœur de l’actualité. Dans ce contexte de crise extrêmement particulier, la figure du médecin a pris une ampleur considérable dans la sphère médiatique.
Sur les ondes de nombreuses radios, au travers de longs entretiens dans la presse et sur tous les plateaux de télévision, les personnalités du monde médical sont désormais omniprésentes dans le traitement médiatique de l’épidémie de coronavirus. Néanmoins, tous ne jouent pas le même rôle. Il convient donc de distinguer d’un côté une catégorie composée de médecins dont l’impact médiatique est considérable, et d’un autre côté des intervenants dont la fonction reste plus circonscrite à l’expression d’avis scientifiques et médicaux. Si la présence récurrente de ces cohortes de professionnels de santé répond à l’objectif affiché de donner une information la plus complète et la plus étayée possible, la multiplication des interventions et des avis divergents peut toutefois entraîner une certaine confusion et engendrer quelques controverses.
Les médecins-stars en tête d’affiche
Dans la première catégorie, on retrouve des figures connues depuis longtemps. Le plus célèbre d’entre eux est bien évidemment Michel Cymès. Véritable vedette du service public, cet oto-rhino-laryngologiste régulièrement présenté comme « le médecin préféré des Français » a récemment défrayé la chronique pour avoir fortement minimisé la portée réelle de l’épidémie de coronavirus lorsque celle-ci en était à ses débuts, la comparant à une simple grippe. Sous le feux des critiques, il a néanmoins présenté des excuses en demi-teinte le lundi 16 mars dans l’émission C à Vous sur France 5, en déclarant :
« J’ai probablement trop rassuré les Français. Mais en même temps, comment les inquiéter peut-être de façon excessive alors qu’on n’a pas de données, il y a 15 jours, qui permettent de dire que ça va être aussi catastrophique qu’aujourd’hui ? ».
Par ailleurs, Michel Cymès est aussi connu pour ses « coups de gueule » qui ressemblent parfois à des prises de position politiques. Ainsi, il s’en est notamment pris à Nicolas Dupont-Aignan en lui reprochant d’avoir mal porté un masque de protection dans une vidéo, et a fustigé Nadine Morano lorsque cette dernière a critiqué la gestion de l’épidémie par le gouvernement lors de la soirée suivant le premier tour des élections municipales.
Malgré ses errements et les quelques controverses occasionnées par ces échanges houleux, la place de médecin-vedette du PAF de Michel Cymès n’a nullement été remise en cause. Le 17 mars, il s’est retrouvé animer une édition spéciale du Magazine de la Santé, encore sur France 5, et dispense toujours régulièrement ses conseils sur RTL. Il a suggéré le dimanche 22 mars dans une interview au JDD d’arrêter de donner les chiffres de la mortalité, qu’il qualifie « d’inutilement anxiogènes », comme l’indique Gala.
Après Michel Cymès, l’autre médecin-star du petit écran est incontestablement Gérald Kierzek, urgentiste exerçant à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, à Paris, et qui officie principalement pour le groupe TF1. Presque aussi médiatique que son confrère, le docteur Kierzek a récemment déclaré dans Paris Match à propos de ce dernier : « Michel promeut le sport, le sommeil. C’est sympa, mais il s’éloigne de la pure médecine ». Chargé d’informer régulièrement les téléspectateurs de TF1 et LCI sur l’évolution de l’épidémie, Gérald Kierzek est également l’auteur d’un livre intitulé Coronavirus, comment se protéger ? édité chez Robert Laffont. Le mercredi 18 mars, il s’est illustré en intervenant dans l’émission Zemmour et Naulleau sur Paris Première en fustigeant les « injonctions contradictoires » du gouvernement quant au paradoxe qu’il y a eu à maintenir la tenue du premier tour des élections municipales, tout en prévoyant dans le même temps la mise en place d’un confinement généralisé. Il a aussi rappelé lors de cette émission que la doctrine de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) concernant les pandémies grippales est basée sur une fermeture rapide des frontières afin de limiter les risques de propagation. Une autre vision, donc, qui tranche avec celle de son homologue précédemment évoqué.
Autre nom connu du grand public, celui d’Alain Ducardonnet, cardiologue et expert médical de BFMTV, qui intervient en tandem avec la journaliste Margaux de Frouville, dans un rôle de chroniqueur santé. Dans un article sur egora, plateforme d’informations médicales, le docteur Ducardonnet résume parfaitement le rôle d’éditorialiste qu’exercent désormais ces médecins :
« Nous sommes la partie visible à l’écran, mais nous avons mis en place une équipe. Nous ne pouvons pas tout lire et tout faire, donc d’autres journalistes nous préparent de la documentation sur le suivi des chiffres de la crise sanitaire en France (…). À l’antenne, la journaliste santé est plus dans le factuel et le reportage, moi dans le décryptage et la mise en perspective. Un peu comme un éditorialiste santé. »
Il poursuit son explication en ajoutant « Le côté éditorialiste pour moi n’est pas un côté éditorialiste au sens strict. C’est simplement enrichir un peu le propos. » Un avis partagé par Gérald Kierzek, qui indique de son côté : « je suis à la fois le docteur traitant sans me substituer au médecin traitant, mais aussi un éditorialiste parce que je recontextualise, je donne mon avis ». Une position à mi-chemin entre le médical et le médiatique qui est donc ici parfaitement assumé.
Ce rôle d’éditorialiste santé est assuré sur la chaîne concurrente CNews par le docteur Brigitte Milhau. Cette dernière, médecin généraliste à Paris et spécialiste de l’arrêt du tabac, est arrivée à la télévision il y a plusieurs années dans Frou-Frou, l’émission de Christine Bravo, avant de travailler ensuite aux côtés de William Leymergie pour Télématin. Plutôt consensuelle, elle cultive une image rassurante pour le grand public en tachant de « ne jamais être anxiogène à l’antenne » comme elle l’indiquait à Télé Loisirs le 15 février dernier. Déjà très présente sur CNews où elle est à la fois consultante, chroniqueuse et même à la tête de sa propre rubrique, son rôle s’est renforcé et sa présence accrue depuis le début de la crise du coronavirus. Preuve d’une certaine confusion des genres entre son activité assidue à la télévision et l’exercice d’une profession médicale, elle a tenue à préciser : « Je suis avant tout médecin (…) Si pendant une consultation, un patient me dit qu’il me reconnaît, je passe rapidement à autre chose ! ».
Si le rôle de ces médecins à la croisée des médias et de la science a pour vocation de rassurer le public, parfois même à l’excès, l’autre catégorie d’intervenants régulièrement sollicitée semble devoir incarner une « figure d’expert », garant d’une bonne information. Néanmoins, cette catégorie est loin d’être homogène et n’aide pas toujours à une bonne compréhension de la situation.
La multiplication des intervenants entraîne une certaine confusion
On peut d’ailleurs noter que la dichotomie entre intervenants « rassurants » et « anxiogènes » est très flagrante parmi les nombreux consultants de cette deuxième catégorie, censés apporter des éclairages plus techniques sur des informations brutes, et désormais présents en permanence sur la plupart des plateaux télévisés.
Si leur notoriété joue certes un rôle prépondérant (les meilleurs créneaux horaires étant bien souvent réservés à des médecins spécialistes tels que des infectiologues, des virologues, etc.), il est intéressant de constater que le traitement dont ils font l’objet par les médias est parfois corrélé avec leur prise de position plus ou moins critique quant à l’action des pouvoirs publics dans la gestion de l’épidémie. Il serait impossible de les lister exhaustivement, tant les intervenants se multiplient, passant d’un média à l’autre à longueur de journée, en plateau, confinés chez eux ou en plein exercice à l’hôpital. Néanmoins certains d’entre eux se révèlent intéressants à observer.
Le cas Didier Raoult
Le cas le plus édifiant est sans conteste celui de Didier Raoult, professeur de microbiologie à Marseille et expert mondialement reconnu en infectiologie. Membre du conseil scientifique mis en place par Emmanuel Macron pour lutter contre la pandémie, il se montre pourtant régulièrement critique à l’égard des mesures mises en place par le gouvernement dans son combat contre l’épidémie. Le 25 février 2020, le professeur Raoult avait publié une vidéo intitulée « Coronavirus : fin de partie », dans laquelle il mettait en avant ses essais de traitement à la chloroquine du Covid-19, signalée dans la foulée comme « partiellement fausse » par les Décodeurs du journal Le Monde. Sur la base de ce signalement, Facebook avait à son tour intégré un bandeau indiquant que l’information était partiellement fausse, avant que le ministère de la Santé ne considère également cette information comme fausse. Ce n’est que lorsque Didier Raoult a renommé sa vidéo « Vers une sortie de crise » que les Décodeurs ont retiré leur signalement. Après cet évènement sa cote de popularité a grimpé en flèche sur les réseaux sociaux et des médias tels que Marianne ou Valeurs Actuelles se sont mis à suivre son actualité avec une attention toute particulière.
Néanmoins, plusieurs de ses confrères remettent en cause la qualité de ses recherches. C’est ainsi le cas du docteur Gilbert Deray, chef du service néphrologie à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. Régulièrement invité par la plupart des médias, notamment CNews, BFMTV, RTL ou Europe 1, il a déclaré que « 98 à 99% des malades allaient guérir », ce qui peut le placer dans la catégorie des intervenants rassurants. Ce dernier a toutefois pris publiquement le contre-pied des recherches de Didier Raoult en qualifiant la Chloroquine de médicament « inutile et dangereux », ajoutant qu’il donne « beaucoup d’effet secondaires », comme l’a relayé Europe 1. Ces divergences scientifiques sur des sujets que le grand public ne maîtrise pas forcément contribue à renforcer l’opacité qui règne habituellement sur tous les sujets liés aux médicaments.
Médecin antipanique
Un autre médecin qui a été assez en vue ces derniers temps est le professeur François Bricaire, infectiologue et membre de l’Académie de Médecine. Surnommé « le médecin antipanique » dans un portrait que lui a consacré Le Figaro le 12 mars dernier, celui-ci disait à cette période que ses confrères décrivaient « une situation plus sévère que ce qu’on a vu jusqu’ici » concernant l’épidémie. Au sujet de la fermeture des frontières, il déclara même : « Les scientifiques ont toujours dit que ça ne servait à rien. Je comprendrais d’autant moins que nous fermions nos frontières que le virus circule déjà en France. Mais je peux me tromper. » Pourtant, le 17 mars, dans une interview donnée au journal Marianne, il expliquait au sujet du départ des parisiens vers la province que « le fait que beaucoup de gens se déplacent en même temps entraîne automatiquement un risque de transmission du virus », tout en soulignant les risques psychologiques liés au confinement.
Parmi les consultants aux analyses plus anxiogènes, dont les interventions contribuent à alimenter un climat déjà angoissant, citons le professeur Éric Maury, président de la société de réanimation de langue française (SRLF), qui a décrit la situation sanitaire du Grand Est comme « dramatique » et « jamais vue » auprès du Figaro le 17 mars dernier. Mais le professeur Maury a surtout fait parler de lui le 18 mars, lorsqu’il a déclaré dans C à Vous sur France 5 qu’il fallait « arrêter les émissions en plateau », les qualifiant même de possibles « zones de contamination ». Des déclarations auxquelles la présentatrice Anne-Elisabeth Lemoine a répondu « notre mission est d’informer, on est une chaîne de service public ». Il soutient le port du masque, affirmant « je suis soignant, je suis en contact avec des malades qui portent le virus du Covid-19. Je suis peut-être porteur, vous l’êtes peut-être aussi. En mettant un masque, j’évite une contamination, je me protège et je vous protège aussi » alors que dans le même temps, la parole gouvernementale soutient que le port du masque ne sert à rien, hormis en présence d’une personne infectée.
Philippe Juvin, médecin et politique
Enfin, le cas de Philippe Juvin est également intéressant à bien des égards. Sur tous les fronts, celui qui est à la fois chef des urgences de l’hôpital Pompidou à Paris et maire (LR) de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine) est qualifié de « nouvelle coqueluche des médias » par Gala, déclare que la France est un « pays sous-développé » en raison de son incapacité à fournir des masques à ses soignants, soutient le confinement sur LCI et affirme à BFMTV que la situation sanitaire est d’une gravité extrême. Néanmoins, même s’il déplore le manque de moyens face à la crise actuelle, il se refuse à accabler Emmanuel Macron ou Agnès Buzyn et déclare auprès de Valeurs Actuelles le 19 mars que « les mesures prises par le Président de la République répondent aux exigences de la situation. Aujourd’hui, il ne sert à rien de se perdre dans des polémiques stériles sur ce que le président aurait pu faire. (…) Il me semble que c’est une très mauvaise idée d’affaiblir le Président. »
Dans ce qui ressemble à une véritable cacophonie, nous abreuvant d’informations en continu, la parole répétée et omniprésente des experts qui devrait éclaircir la réflexion et permettre à chacun de mieux comprendre les enjeux de la crise semble au contraire avoir tendance à l’obscurcir.