[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 09/01/2017]
La « crise des migrants » semble être le nouveau marronnier des médias, comme il y a quelques années le mouvement du Canal Saint Martin visant à la mise à l’abri des SDF. Un mouvement qui n’a pas permis d’améliorer leur situation, ni celle du SAMU social saturé.
Une actualité chasse l’autre. Celle du moment concerne la « crise » migratoire. Ses différents aspects sont découpés en tranches dans les médias. Chaque séquence est présentée isolément, voire localement : la traversée de la Méditerranée, le passage à la frontière italienne, le regroupement dans les campements sauvages à Paris ou ailleurs, la répartition dans les centres d’accueil, la réaction des populations concernées, l’orientation vers l’hébergement plus stable et, in fine, la reconstitution de campements à Calais et à Paris.
Tous ces éléments sont à relier entre eux. Un travail rarement fait dans les médias, même à dimension nationale. Nous en reconstituons les liens au travers des informations dispensées dans la presse, à la radio et sur le net.
Les points de passage
Parmi les points de passage des migrants vers l’Europe, le Libye est en bonne place. Depuis la fin du régime du général Kadhafi, le contrôle des frontières de ce pays est devenu aléatoire, ce qui donne de l’espoir à des centaines de milliers de migrants déjà présents dans le pays, qui attendent de passer en Europe, selon le Ministre de la défense français cité par Sud Ouest.
Ils peuvent compter sur de nombreux passeurs pour les transporter des côtes libyennes vers l’Italie, aidés parfois par des O.N.G., qui ne se limitent pas à des opérations de sauvetage en mer, comme le révélait le Financial Times à partir d’informations de Frontex. Une information passée sous silence dans les médias français, hormis un article de la Tribune, et une « désintox » erronée, comme indiqué dans un précédent papier de l’OJIM.
Arrivés en Italie, à la frontière franco-italienne, les clandestins rallient la France, notamment grâce au « business des navettes entre Vintimille et Nice » relaté par La Marseillaise, ou aux militants no border dont parle 20 minutes. L’arrivée de migrants à la frontière augmente à un point tel que des associations demandent à la France d’ouvrir la frontière à Vintimille, selon le Figaro.
À Paris, les migrants, aidés par les associations de soutien, semblent avoir trouvé le moyen pour que des solutions d’hébergement rapides leur soient trouvées : en constituant des camps sauvages en plein centre de Paris, comme le relate Le Monde dès le mois de mars 2016.
« “Si tu veux avoir droit à un hébergement un jour, il faut exister. Et pour cela, il faut faire un camp, puis le tenir quelque temps sans se laisser disperser”, explique celui qu’on appelle Nikita, un des soutiens du lieu ». Une stratégie que cherchent désormais à contrer « plusieurs municipalités (d’Ile de France, qui) se dotent d’un mobilier urbain conçu pour éviter les installations de réfugiés sur la voie publique » selon Le Monde.
Pas moins de 31 « mises à l’abri » ont ainsi été organisées de juin 2015 à décembre 2016, indique le site de la Préfecture de région IDF.
Saturation des structures
Les plus chauds partisans de l’accueil des migrants, tels l’Obs, le reconnaissent, les structures d’accueil en Ile de France, à peine créés, sont saturées. Le délégué général de France Terre d’Asile indique au journal La Croix qu’il estimait que « depuis plusieurs mois, entre 80 et 100 nouveaux réfugiés arrivent chaque jour sur Paris ». Un afflux à l’image du nombre de demandeurs d’asile qui continue d’augmenter depuis des années, pour atteindre 90 000 en 2016, selon Le Figaro, sans compter les quelques 20 000 migrants présents en France ayant fait leur demande d’asile en 2016 dans le premier pays européen d’arrivée.
Pour résoudre les nombreux problèmes causés par la croissance continue de la jungle de Calais, François Hollande annonçait le lundi 26 septembre 2016 son démantèlement « complet et définitif ». Un camp qui, selon la radio France Info comptait entre 7 000 et 10 000 personnes. Un mois plus tard, le 29 octobre, France Info relayait l’annonce — plus radicale — du Président de la République de « la fin des camps de migrants » dans l’hexagone.
Les centres d’accueil et d’orientation
Carte maitresse pour mettre en œuvre cette décision politique, les centres d’accueil et d’orientation.
Le Figaro indique le 13 août que des consignes auraient été envoyées aux préfets pour pourvoir à « l’hébergement de ces milliers de déracinés qui s’entassent dans le camp de la “jungle”». Libération reprend le 13 septembre les informations publiées par Le Figaro à partir de la note aux Préfets que le journal s’est procurée. « Le plan du gouvernement prévoit l’ouverture de plusieurs CAO » indique le quotidien.
Des objectifs fluctuants, pas relevés par les médias
En reprenant le fil des annonces, on voit que l’objectif est fluctuant : du démantèlement de la jungle de Calais à la prise en charge de tous les migrants dans les camps d’accueil en France.
« Objectif déclaré: avoir fait émerger d’ici à la fin de l’année 2016 plus de 12.000 places dans des centres d’accueil et d’orientation (CAO) partout en France. »
« Il a été décidé d’écarter dans la répartition les régions Île-de-France, particulièrement tendue sur la question de l’hébergement, et Corse », révèle toutefois la source du journal le Figaro le 12 septembre.
Libération indique sur son site le 13 septembre que « l’entourage de Bernard Cazeneuve explique que la région parisienne est déjà trop sous pression pour recevoir un nouvel afflux de migrants (elle compte aujourd’hui 94 centres sur son territoire pour environ 6700 places) ».
Une annonce qui sera contredite dans les faits, puisque des centres seront créés en Ile de France (Rocquencourt, Noisy-le-Grand, etc.), un nouveau revirement qui ne sera pas relevé dans les médias. Sauf à mettre une autre appellation à des structures qui ont la même fonction.
Une autre information gouvernementale relayée par les médias au sujet des centres d’accueil et d’orientation pourrait être bientôt démentie par les faits : leur caractère provisoire.
La Charte de fonctionnement des centres d’accueil et d’orientation (CAO) indique en effet que ces structures ont été mises en place « à l’origine pour accueillir des personnes orientées depuis le campement constitué de Calais ». Mais le document contient la précision suivante : « afin de permettre la résorption des campements et de garantir la prise en charge, dans des conditions satisfaisantes, de l’ensemble des migrants souhaitant les quitter, il a été décidé de maintenir le dispositif des CAO sur une période plus longue ».
L’implantation des centres d’accueil et d’orientation vue par quelques titres de la presse
L’annonce des premières implantations des centres d’accueil et d’orientation « inquiète dans certaines communes » indique la Dépêche. Après avoir cité des exemples de manifestations d’hostilité, le journal se veut philosophe le 13 septembre, en citant en conclusion de l’article le conseil d’un maire P.S. de Peyrat-Le-Château : « Clé du succès selon lui: “Nous avons montré à la population que nous avions mis en place tous les processus pour encadrer cette structure.” Et le monde associatif a joué le jeu ».
La Montagne consacre un article le 16 septembre à l’ « Accueil des migrants : ces communes d’Auvergne qui ont dit oui ». Pour la Nouvelle République, il s’agit d’ « une expérience positive ».
Le journal l’Union (Nord-est de la France) présente l’ « accueil dans la région » des migrants avec un sous-titre qui se veut conciliant : « Avec le démantèlement annoncé de la ” jungle” de Calais, l’accueil des migrants, “qui doit relever de la solidarité nationale”, va se développer dans nos régions ».
Parmi les médias nationaux, le Parisien relaye le 21 septembre la volonté du gouvernement de rassurer en titrant « Migrants : pas de gros centres d’accueil dans les villages, selon Cazeneuve ».
Le quotidien cite en conclusion de l’article en ligne les propos du Ministre de l’intérieur « La France est dans une situation de maîtrise des demandeurs d’asile », et d’ajouter qu’en 2015 environ 80 000 demandes avaient été déposées et que « nous serons entre 90 et 100 000 à la fin de l’année».
Pour la Croix, la question est « Comment faire accepter l’accueil des migrants » (13/09/2016). Le quotidien insiste sur la pédagogie. « Cela dit, l’intransigeance de l’État peut aussi s’avérer commode, souligne Éric Pliez (Directeur général d’Aurore) : « C’est parfois plus facile pour un élu d’assumer l’accueil en disant qu’on lui a imposé. Il peut faire valoir qu’il n’a pas d’autre choix. »
Le Huffington Post reste assez factuel dans un article du 6 septembre titré « Paris ouvre son premier centre pour réfugiés », en laissant le Ministre de l’intérieur conclure sur sa détermination à retrouver l’auteur de l’incendie d’un futur centre prévu à Forges-les-Bains.
Après tant d’articles ne contenant aucune réticence à l’installation de centres d’accueil et d’orientation à travers la France, on s’étonnerait presque qu’une frange de la population manifeste son opposition à l’accueil de clandestins (personnes en situation irrégulière sur le territoire français). Ceux que l’on appelle migrants sont effet des immigrants clandestins aux motivations principalement économiques, comme en témoigne le fait que la grande majorité des demandes d’asile en France soient rejetée (l’asile a été accordé à 31,5% des demandeurs en 2015, 38% en 2016 selon des informations parues dans Les Echos du 12/01/2016 et Le Figaro du 28/12/2016).
Les manifestations contre les centres d’accueil
À partir du mois de septembre 2016, des manifestations d’opposition à l’arrivée de migrants dans les centres nouvellement créés vont avoir lieu un peu partout en France. Elles seront présentées dans le meilleur des cas de façon neutre, et le plus souvent comme manipulées par le Front National ou/et comme des réactions d’égoïsme.
Le Figaro les a recensés dans un article publié le 1er octobre 2016 intitulé « Ces villages qui grondent contre la répartition des migrants de Calais » et le 8 octobre dans un article au sujet « Des manifestations anti-migrants organisées dans plusieurs villes de France ».
Des manifestations ont eu lieu notamment à Allex (Drôme), Saint-Denis-de Cabanne (Loire), Saint Brévin (Loire Atlantique), Louveciennes (Yvelines), Forges-les-Bains (Essonne), Champtercier (Alpes de Haute Provence), Saint-Honoré-les-Bains (Nièvre), Pierrefeu-du-Var (Var), Arès (Gironde) et Saint-Bauzille-de-Putois (Hérault).
À Allex, la contestation de l’accueil « d’une cinquantaine de personnes pour des séjours compris entre un et trois mois » semble menée par l’ « extrême droite » pour Le Monde. Un collectif s’est constitué pour « montrer qu’on n’est pas un village de fachos ». Le journaliste donne la parole à deux personnes opposées à l’arrivée de migrants. Leurs propos sont sur le registre de l’égoïsme et de la peur : « “On nous dit de faire des efforts parce que la France n’a plus d’argent, mais pour les réfugiés, on en trouve”, dénonce le premier. “Maintenant, les voleurs vont venir ici pour mettre ça sur le dos des migrants et je ne vous parle pas des viols”, rebondit le deuxième ».
À Saint-Denis-de Cabanne, le Progrès donne la parole à 2 représentants du Front National. Le titre de l’article « Le Front national ne veut pas de “clandestins dans les villages” accrédite l’idée que la contestation de vient pas des habitants mais d’un parti politique.
À Saint-Brévin, le Courrier du pays de Retz est factuel dans un article laconique consacré à la « manifestation sous tension ».
À Louveciennes, ce n’est pas le nombre de manifestants « chauffés à blanc », estimés à 1 000 par Toutes les nouvelles, qui retient l’attention du journaliste du Parisien, mais les tensions entre les élus les Républicains et du Front National. Parmi les personnes interviewées, une sexagénaire opposée à l’arrivée de migrants dans la commune « éructe » tandis que W. De St Just (FN) « persifle ».
À Forges-les-Bains, la dépêche de l’AFP relayée par Yahoo insiste sur le caractère apolitique de la manifestation, en concluant toutefois sur les « tensions » générées par la Marseillaise entonnée par des membres du Front National.
À Champtercier, « l’arrivée de migrants divise la population » selon France Info, qui ne donne toutefois la parole dans l’article qu’à un responsable de l’association Coallia, qui présente les aspects positifs de cet accueil.
À Saint-Honoré-les-Bains, France 3 Bourgogne informe du lancement de « l’opération “ville à vendre” », « après la pétition qui a obtenu plus de 1000 signatures ». Des actions qui auront sans doute contribué à la décision du Préfet de ne pas installer de CAO dans le village.
À Pierrefeu-du-Var, Var Matin évoque les différentes « manifs et contre-manif » organisées début octobre, respectivement par la mairie, le FN, et « le camp progressiste ».
À Ares (Gironde), « La commune d’Arès s’oppose à l’accueil des migrants » selon France Bleu, où « Le conseil municipal de cette ville de 5.000 habitants a voté une délibération contre la venue d’une cinquantaine de personnes dans un ancien centre de vacances d’EDF ».
À Saint-Bauzille-de-Putois, « on se déchire ». Pierre, interrogé par la journaliste de La Dépêche affirme « On va aider ces gens-là, on va les loger et les accueillir alors qu’on ne fait rien pour les SDF. Pourquoi, on ne s’occupe pas des personnes dans le besoin tellement nombreux ici ?». La journaliste conclut : « Les habitants ont compris que la transformation du centre de pleine nature des Lutins Cévenols en CAO géré par SOS solidarités permettait de prolonger l’activité du site condamné à la fermeture au premier novembre sauvant ainsi sept emplois permanents. Mais cela n’efface pas les incertitudes. Dubitatifs ou furieux, les habitants observent la patrouille permanente des véhicules de gendarmerie dans une petite ville paisible ».
Ces manifestations n’auront pas empêché la création de plus de 450 CAO sur le territoire français, initialement destinés à accueillir temporairement des résidents de la jungle de Calais.
France Bleu Nord prend ses sources dans l’édition du 27 décembre 2016 du journal anglais The Independant (!) pour informer que « des migrants reviennent dans le Nord-Pas-de-Calais, deux mois après le démantèlement de la “Jungle” » et que ceux-ci auraient réinstallé une demi-douzaine de camps clandestins près de Calais. Fermez le ban.
Crédit photo : JeanneMenjoulet&Cie via Flickr (cc). Manifestation à Paris, le 7 juillet 2015.