« Night Call » est le récit d’une dérive. Dérive d’un homme, Lou Bloom, petit voleur rongé par l’ambition et gavé de cours de « management » et de « buisness planning » glanés sur internet, mais aussi dérive d’une société médiatique devenant folle, où la recherche du « scoop » et du sensationnel ne s’embarrasse plus d’aucune barrière éthique ou morale et où la « rentabilité » est devenue la valeur suprême sinon unique.
Ainsi la soif d’argent et de célébrité de Lou Bloom – composition hallucinée et inquiétante du remarquable Jake Gyllenhaal – va rencontrer le froid calcul et l’inquiétude professionnelle d’une productrice de télévision sur le déclin (Renée Russo) pour composer un mortifère cocktail de cynisme et de sereine cruauté au service d’une « information » toujours plus racoleuse et indécente.
Le petit voyou va donc devenir l’un de ces « nightcrawlers », littéralement « vers de terre », implacables prédateurs nocturnes qui, armés d’une caméra, hantent les rues de la ville au volant de puissants véhicules connectés aux fréquences radio de la police, à la recherche d’images choquantes et sanglantes d’accidents, d’incendies, d’agressions ou de meurtres, qu’ils revendent ensuite aux chaînes de télévisions locales prêtes à payer le prix fort pour surnager dans la concurrence impitoyable à laquelle elles s’adonnent. Ces chaînes qui « expédient en deux minutes la politique sociale du gouvernement et les nouvelles économiques pour consacrer les 4/5e du JT aux faits divers les plus sordides ».
Lou Bloom, plus implacable, plus insensible que ses autres confrères, va rapidement exceller dans ce « métier », se jetant à corps et âme perdus dans une frénétique quête du « scoop » qui le mènera à susciter lui-même les drames qu’il veut filmer.
Un film particulièrement dur et sombre, qu’aucun « happy end » ne viendra alléger, en forme d’autopsie d’un monde où tout est devenu monnayable, en premier lieu la souffrance et la mort, et dans lequel les médias ne jouent plus qu’un rôle de vautours et de croque-morts, instrumentalisant l’émotion et le malheur à des fins purement économiques, le Dieu Audimat faisant Loi. Musique anxiogène, commentaires faussement éplorés, matraquage, mise en scène, rétention d’informations ne convenant pas à la nécessaire « dramatisation » de l’événement présenté… toutes les techniques de conditionnement sont évoquées dans leur tranquille banalité, acceptées par presque tous les acteurs d’une information qui n’est plus qu’un modèle économique parmi tant d’autres. Un modèle auquel Lou Bloom peut parfaitement appliquer les préceptes de rentabilité et « d’optimisation » ingurgités via internet et dont le jargon entrepreneurial lui tient désormais lieu de seul vocabulaire.
Bien loin d’être un lourd pensum socio-politique (l’action – et notamment de vertigineuses courses poursuites – étant omniprésente), le film de Dan Gilroy est néanmoins une charge sans concession contre le sensationnalisme obscène de nombre de médias ainsi qu’une réflexion sur le voyeurisme et les bas instincts qu’il encourage.
Car si le spectateur est choqué et scandalisé par l’impitoyable cynisme des protagonistes, lui qui consomme avec avidité ce genre de programmes et d’images est-il beaucoup moins coupable que ceux qui les produisent ?
Un grand film à petit budget qui mérite d’être vu et médité.
« Night Call », thriller américain de Dan Gilroy, avec Jake Gyllenhaal, Rene Russo, Riz Ahmed, Bill Paxton. Durée : 1h57. 2014