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David Petraeus : ex-chef de la CIA, nouveau magnat des médias en Europe de l’Est. Deuxième partie

28 décembre 2017

Temps de lecture : 9 minutes
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David Petraeus : ex-chef de la CIA, nouveau magnat des médias en Europe de l’Est. Deuxième partie

Temps de lecture : 9 minutes

[Red­if­fu­sion – arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 11/10/2017]


La carrière fulgurante de David Petraeus, tour à tour commandant en chef des forces internationales en Irak et Afghanistan, directeur de la CIA, dirigeant du géant financier KKR et magnat des médias, incarne une nouvelle forme de pouvoir militaire-sécuritaire-financier-médiatique. La première partie se trouve ici.

Qui cache qui ?

Les « bar­bares financiers » com­mandés par Petraeus ont érigé un véri­ta­ble empire médi­a­tique, mais ils l’ont fait très dis­crète­ment, à l’abri de tout exa­m­en pub­lic. Des enquêtes rares, frileuses et tar­dives ont quand même fini par révéler quelques détails.

En 2015, un rap­port sur la struc­ture de pro­priété et le con­trôle des médias en Ser­bie du Con­seil pour la lutte anti-cor­rup­tion de Ser­bie iden­ti­fi­ait le manque de trans­parence de la pro­priété des médias comme le prob­lème pri­or­i­taire. L’an­née suiv­ante, la struc­ture de la pro­priété d’U­nit­ed Group a fait l’ob­jet d’une inves­ti­ga­tion par le jour­nal slovène Delo en coopéra­tion avec Orga­nized Crime and Cor­rup­tion Report­ing Project (OCCRP). Leur arti­cle « Du côté obscur de Telemach »  a finale­ment per­mis à la pop­u­la­tion de la région de jeter un coup d’œil der­rière les couliss­es de leur plus grande source d’in­for­ma­tions. Ils y ont trou­vé un labyrinthe de sociétés off­shore fan­tômes, qui champignon­nait dans les par­adis fis­caux pour cacher les pro­prié­taires orig­in­aux et leurs cir­cuits financiers.

Une demie révélation : le cache sexe est serbe

La grande cible de cette enquête était le serbe Dra­gan Solak. En 2000, Solak avait fondé KDS, un câblo-opéra­teur local à Kragu­je­vac, Ser­bie, et pen­dant que sa start-up mon­tait en flèche, devenant SBB en 2002, SBB/Telemach en 2012 et Unit­ed Group en 2013, il a tou­jours pu en garder les rênes man­agéri­ales. Il n’y avait là rien de secret. La vraie décou­verte de l’in­ves­ti­ga­tion est qu’il aurait égale­ment gardé 20% des actions, caché der­rière la société Ger­rard Enter­pris­es qu’il aurait fondée en 2001 sur l’Île de Man.

Ce « roi du câble », régulière­ment « pas disponible pour les médias », nou­veau mag­nat de l’en­tre­prise dans un paysage économique dévasté, nou­veau-riche flam­boy­ant par­mi ses com­pa­tri­otes appau­vris, avec ses jets privés, sa vil­la au Lac de Genève, son ter­rain de golf du roi de Yougoslavie (le train de vie de Petraeus fai­sait jas­er aus­si, jusqu’aux arti­cles du Huff­Post et Wash­ing­ton Post), Serbe dans une région où les rival­ités nationales sont tou­jours d’ac­tu­al­ité, illu­sion­niste ouvrant trois société off­shore par jour et faisant dis­paraitre puis réap­pa­raitre des mil­lions d’eu­ros hocus-pocus, et tout cela sans pay­er d’im­pôts – autant de raisons pour que les jour­nal­istes de Delo et ceux qui marchèrent dans leur pas (Nacional, Jutarn­ji list, Ekspres…) met­tent l’ac­cent sur Solak. Le risque était moin­dre que celui de suiv­re les traces du gros gibier.

Le rôle des ambassadeurs américains

L’investigation de Delo pour démêler les divers ten­tac­ules de la struc­ture de pro­priété d’U­nit­ed Group a ren­du une chose claire : les pro­prié­taires se dis­sim­u­laient der­rière une suc­ces­sion de par­avents. Il était moins clair de savoir si Solak fai­sait par­tie des pro­prié­taires ou était un sim­ple paravent.

Solak n’opérait pas seul. Ses financiers d’outre-Atlantique, dont KKR, étaient parte­naires majori­taires dans toutes les opéra­tions. Ce sont eux qui le lais­saient à la tête d’United Group et qui veil­laient sur sa mon­tée en flèche depuis le début, comme témoigne un télé­gramme de l’ambassade des États-Unis à Bel­grade révélé par Wik­ileaks. Il est dom­mage que cette source, bien que facile­ment trou­vable sur inter­net, n’ait pas été con­sid­érée jusqu’ici.

Le télé­gramme de 2007 est dédié spé­ci­fique­ment à la sit­u­a­tion de SBB, à par­tir de son titre « Ser­bia Broad­band opérant dans l’en­vi­ron­nement hos­tile ». Solak y fig­ure comme le prin­ci­pal inter­locu­teur de l’am­bas­sade, à un point tel qu’on peut se pos­er des ques­tions sur la nature de sa rela­tion avec la diplo­matie améri­caine. Le sig­nataire, l’am­bas­sadeur Michael Polt, trans­met les inquié­tudes de Solak à Wash­ing­ton, en y joignant son rap­port sur les efforts améri­cains – diplo­mates et investis­seurs con­fon­dus – d’y remédi­er. Leur pré­texte : com­bat­tre la dom­i­na­tion du marché par l’opéra­teur pub­lic Telekom qui « utilise tac­tiques agres­sives et influ­ence poli­tique » pour assur­er sa posi­tion monop­o­lis­tique. Aujour­d’hui on com­prend que c’est exacte­ment ce que l’ambassadeur fai­sait, mais au prof­it du SBB. Le télé­gramme date du 1er juin 2007, et le 27 on annonçait la con­clu­sion his­torique du pre­mier LBO en Ser­bie : l’acquisition de SBB par Mid Europa Partners.

Le suc­cesseur de Polt, Cameron Munter, con­tin­ua sa car­rière auprès de Mid Europa comme con­seiller de SBB-Telemach lors des négo­ci­a­tions avec Petraeus en 2013. Le prédécesseur de Polt, le fameux William Mont­gomery, le pre­mier à être nom­mé après l’intervention de l’OTAN en 1999 et la révo­lu­tion de couleur du 5 octo­bre 2000, influ­ent à la manière d’un pro­con­sul impér­i­al, était parte­naire com­mer­cial de Brent Sadler. Ce dernier, cor­re­spon­dant de CNN Bel­grade à l’époque des bom­barde­ments est à présent prési­dent de la N1 TV, la chaîne phare d’United Group, fil­iale exclu­sive de CNN en Europe de l’Est.

Des ennemis devenus compagnons

Le cab­i­net de con­seil Mont­gomery Sadler Matić & asso­ciates (MSM & asso­ciates) rassem­blait un trio invraisem­blable : l’ex-ambassadeur et l’ex-rapporteur améri­cains sont devenus com­pagnons de Goran Mat­ic, min­istre fédéral yougoslave de l’information en 1998 et 1999. Son homo­logue serbe dans la même péri­ode était l’actuel prési­dent de Ser­bie Alek­san­dar Vucic.

Juste avant les bom­barde­ments, Mat­ic cri­ti­quait des médias au ser­vice des maitres étrangers : « la sit­u­a­tion est très claire – le pro­prié­taire paye, le pro­prié­taire demande la dif­fu­sion de cer­taines infor­ma­tions ». Quand l’OTAN attaqua, c’est lui qui déclara à CNN : « Nous sommes prêts à com­bat­tre l’agresseur ». Quand les frappes rasèrent la Radio-télévi­sion de Ser­bie le 23 avril 1999, faisant 16 morts, BBC relayait sa déc­la­ra­tion : « C’est un crime mon­strueux sans précé­dent dans l’histoire ». Dans le rap­port moins pro­lixe de son futur com­pagnon Sadler sur CNN, cette cita­tion sera réduite en deux mots : « acte crim­inel ». Tony Blair rétor­quera que le bom­barde­ment de la télévi­sion était « entière­ment jus­ti­fié ». Le 3 mai, journée mon­di­ale de la lib­erté de la presse, l’OTAN rasera encore une télévi­sion, la Radio-télévi­sion de Novi Sad.

Depuis, les deux ex-min­istres de l’information ont fait volte-face par rap­port à leur ancien enne­mi, celle de Vucic étant par­ti­c­ulière­ment spec­tac­u­laire. Son par­ti a d’ailleurs engagé Mont­gomery comme con­seiller et, une fois au pou­voir, leur gou­verne­ment fit de même avec Tony Blair, alors qu’en 1999 ces mêmes per­son­nes le traitaient de bête noire. Encore en 2005, Vucic écrivait une recen­sion favor­able au sujet d’une mono­gra­phie élégam­ment inti­t­ulée Le pet pédé anglais Tony Blair. L’ex-nationaliste cul­tive égale­ment une chaude ami­tié avec d’autres pro­tag­o­nistes de l’agression con­tre son pays, Ger­hard Schroed­er et Bill Clinton.

Les généraux-investisseurs

Quant à Petraeus, il arbore une médaille de l’OTAN pour l’ex-Yougoslavie. Avant de retourn­er comme investis­seur, il était présent dans la région en 2001–2002 comme chef d’é­tat-major adjoint de la force de sta­bil­i­sa­tion (SFOR) de l’OTAN en Bosnie-Herzé­govine et comme com­man­dant adjoint d’une unité clan­des­tine con­treter­ror­iste chargée de cap­tur­er les serbes recher­chés par la Haye, avant que le 11 sep­tem­bre ne vienne per­turber la donne en trans­for­mant les alliés dji­hadistes en enne­mis suprêmes. « C’est là que son évo­lu­tion future fut tracée » affirme Fred Kaplan dans son livre biographique The Insur­gents: David Petraeus and the Plot to Change the Amer­i­can Way of War (2013, p. 65).

Son col­lègue qua­tre étoiles, Wes­ley Clark, com­man­dant en chef de l’OTAN pen­dant les bom­barde­ments de la Yougoslavie, a lui aus­si pan­tou­flé dans le monde de la grande entre­prise (comme Odier­no, McChrys­tal ou Mullen. Rap­pelons que dès 1961, Eisen­how­er avait mis en garde con­tre le com­plexe mil­i­taro-indus­triel). Clark pré­side le groupe cana­di­en Envid­i­ty Ener­gy Inc. qui négo­cie, au milieu des con­tro­ver­s­es, l’exploration de très impor­tants gise­ments de char­bon du Koso­vo « libéré » par ses troupes. Bien qu’en cati­mi­ni, Petraeus était le prin­ci­pal négo­ci­a­teur du fonds KKR dans la reprise d’United Group en 2013. Il a ren­con­tré le pre­mier min­istre serbe Alek­san­dar Vucic plusieurs fois, publique­ment comme en privé.

Les millions de Soros ou comment monter en flèche

Le télé­gramme de Wik­ileaks com­porte aus­si une référence à un moment charnière dans l’as­cen­sion d’U­nit­ed Group. En 2002, la petite start-up de Solak a eu une chance tout à fait extra­or­di­naire. Solak réus­sit à attir­er un investisse­ment de 10 mil­lions dol­lars de South­east­ern Europe Equi­ty Fund (SEEF). Le ges­tion­naire du fonds était Soros Invest­ment Cap­i­tal Man­age­ment, renom­mé plus tard Bed­min­ster Cap­i­tal Man­age­ment, fondé par George Soros.

Ce mil­liar­daire activiste, partage avec Kravis (du fonds KKR) quelques traits acci­den­tels, comme une vil­lé­gia­ture au bord de l’Atlantique où les deux sont voisins, ou moins acci­den­tels comme une pas­sion pour la col­lec­tion de câblo-opéra­teurs balkaniques.

C’est à par­tir de l’investissement de Soros que com­mence la crois­sance expo­nen­tielle de SBB et sa plongée ver­tig­ineuse dans les méan­dres opaques de la finance inter­na­tionale. Après Soros, c’est la Banque européenne pour la recon­struc­tion et le développe­ment (BERD) qui suit et relance, en investis­sant 15 mil­lions euros en 2004. Cette banque « européenne » dont le plus grand action­naire est les États-Unis restera copro­prié­taire et co-investis­seur d’United Group à ce jour.

Le fonds de Soros se démul­ti­pli­era en SEEF I et II, qui fig­ureront en même temps comme acheteur et vendeur lors de la reprise de SBB en 2007 par Mid Europa. En 2014, cette société d’in­vestisse­ment privée dirigée par d’ex hauts fonc­tion­naires de la Banque Mon­di­ale et du FMI se van­tait d’avoir triplé ses investisse­ments grâce au mon­tant exor­bi­tant payé par KKR. George Soros (né Schwartz) a eu son nom de famille changé par un père espéran­tiste. Le mot « soros » sig­ni­fierait dans cette langue « je mon­terai en flèche ». Un bon augure pour le petit Györ­gy, ain­si que pour la start-up de Solak qu’il a soutenue avec autant de prévoyance.

Mais qui a aidé Soros au début de sa car­rière ? La mise de fonds ini­tiale pour sa start-up, Dou­ble Eagle Fund, renom­mée par la suite Quan­tum Fund, avait été fournie par George Karl­weiss de la Banque Privée S.A. de Lugano, détenue par le baron Edmond de Roth­schild (voir l’article sup­primé du Wash­ing­ton Times). D’après Time Mag­a­zine, « bien­tôt les Roth­schild et autres rich­es européens y rajoutaient 6 mil­lions dol­lars ». De quoi mon­ter en flèche comme l’avenir le prouvera.

À suiv­re.

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