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David Petraeus : ex-chef de la CIA, nouveau magnat des médias en Europe de l’Est. Troisième partie

27 décembre 2017

Temps de lecture : 7 minutes
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David Petraeus : ex-chef de la CIA, nouveau magnat des médias en Europe de l’Est. Troisième partie

Temps de lecture : 7 minutes

[Red­if­fu­sion – arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 02/12/2017]


La carrière fulgurante de David Petraeus, tour à tour commandant en chef des forces internationales en Irak et Afghanistan, directeur de la CIA, dirigeant du géant financier KKR et magnat des médias, incarne une nouvelle forme de pouvoir militaire-sécuritaire-financier-médiatique. La première partie se trouve ici. La deuxième ici. Voici la troisième partie de notre enquête.

Investissements prodigues et médias déficitaires

Même les financiers sans foi ni loi obéis­sent à une loi sacro­sainte : réalis­er des prof­its. Or, le retour sur investisse­ment de KKR dans les médias balka­niques ne pointe pas à l’horizon. Le secteur éprou­ve de telles dif­fi­cultés que même des acqui­si­tions phares comme SBB en Ser­bie et Nova TV en Croat­ie sont con­nues pour sus­citer des pertes récurrentes.

Dans le cas de SBB, l’investissement astronomique de KKR en 2013 n’a pas amélioré la sit­u­a­tion. Au con­traire, les rap­ports annuels disponibles mon­trent une pro­gres­sion con­stante des pertes. En mil­lions d’euros, elles se mon­tent à 33M en 2010, équili­bre en 2011, 10,5M en 2012, 1,4M en 2013, 29M en 2014, 33M en 2015 et 35M en 2016. On voit que l’année 2016 bat les records avec trente-cinq mil­lions euros de perte.

En achetant des médias, Petraeus achetait de l’influence. La ques­tion se pose alors : quel type d’investisseur souscrip­teur se réjouirait d’entendre son fonds lui expli­quer : « Nous n’avons plus ni le mil­liard que vous avez engagé, ni le prof­it que nous avons promis, mais nous avons gag­né de l’influence médi­a­tique en l’Europe de l’Est ». On a du mal à imag­in­er que des retraités du Fond de pen­sion de l’Oregon en seraient ravis. En revanche, plus d’une con­nais­sance de Petraeus au Bilder­berg pour­rait s’en accommoder.

Une autre expli­ca­tion : les dépens­es seraient gon­flées pour déclar­er des pertes qui n’existent pas vrai­ment. Grâce à son bilan négatif, SBB n’a pas payé un cen­time d’impôt depuis des années, mal­gré un revenu de 170 mil­lions euros rien qu’en 2016. Le dom­mage pour le bud­get nation­al serbe pour­rait attein­dre les huit chiffres en mon­naie locale.

L’État ferme les yeux

Les grands per­dants de ce sché­ma dou­teux sont tout d’abord les citoyens, qui sont les prin­ci­paux créa­teurs de la richesse qu’United Group draine vers les par­adis fis­caux et qui, eux, payent leurs impôts. Ensuite c’est la con­cur­rence qui n’a aucune chance de rivalis­er avec le priv­ilégié du marché avec sa capac­ité finan­cière, sa tax­a­tion zéro, sa cartel­li­sa­tion trans­frontal­ière et sa pro­gram­ma­tion CNN. Et in fine les per­dants sont les Etats qui renon­cent à percevoir les tax­es. Pour ne rien dire de leur oblig­a­tion de pro­téger la libre con­cur­rence aus­si bien que les citoyens.

Les états sont les plus aptes à enquêter sur les activ­ités de KKR. Eux seuls seraient capa­bles de sanc­tion­ner les pra­tiques illé­gales et de bouch­er les lacunes de la législation.

Chose éton­nante, les états ne bouchèrent que leurs yeux. A ce jour, les seules révéla­tions sur l’empire médi­a­tique de KKR sont faites par des organ­ismes et des indi­vidus étrangers aux autorités. En ce qui con­cerne les change­ments lég­is­lat­ifs, ils n’ont fait qu’élargir les lacunes, comme le mon­tre le rap­port de South East Euro­pean Media Obser­va­to­ry au titre explicite « Les grandes puis­sances ont adap­té la lég­is­la­tion serbe sur les médias aux besoins de la ‘CCN balka­nique’ ».

L’Union Européenne comme groupe de pression

En 2014 l’État serbe et KKR sem­blent voués à l’affrontement. KKR prévoit le lance­ment de sa nou­velle chaine N1 TV sur son réseau SBB Telemach, au sein de sa société faîtière Unit­ed Group. En même temps, le gou­verne­ment pub­lie de nou­veaux pro­jets des lois sur les médias. Or ces lois inter­dis­ent à un dis­trib­u­teur d’être aus­si créa­teur du con­tenu. Le souci est logique : le dis­trib­u­teur favoris­erait ses chaines au détri­ment de la con­cur­rence. Quelques années aupar­a­vant le même principe était imposé par l’Union Européenne à la télévi­sion publique RTS qui a dû renon­cer à son réseau de distribution.

Pour­tant, cette fois l’avis de Brux­elles sera inverse, ou plus pré­cisé­ment inver­sé par le lob­by­ing de la Banque européenne pour la recon­struc­tion et le développe­ment (copro­prié­taire d’United Group) et du cab­i­net Gide Loyrette Nouel engagé pour l’occasion. Après une nou­velle ren­con­tre avec Petraeus, le pre­mier min­istre serbe tranche som­maire­ment : la N1 est bien­v­enue en Ser­bie. L’état démis­sionne. C’est le nou­veau texte de loi, dic­té par les ban­quiers et les avo­cats via l’administration brux­el­loise, et non pas l’original issu d’un proces­sus élec­toral et par­tic­i­patif, qui sera voté en aout 2014. Exit le peu­ple, bien­v­enue à l’oligarchie finan­cière transna­tionale, qui tord le bras d’une assem­blée qui ne songe même plus à se défendre.

Épi­logue : N1 TV sera lancée dès l’octobre 2014. En mars 2017, le câblo-opéra­teur SBB enlève la télévi­sion la plus regardée, la chaine publique RTS1, de la pre­mière posi­tion dans la numéro­ta­tion des chaines. Il donne sa place, incon­testée depuis les débuts de la télévi­sion, à N1 TV.

Le propriétaire influence-t-il ses médias ?

Quand l’OTAN a bom­bardé RTS en 1999, son argu­men­ta­tion était basée sur l’idée qu’une télévi­sion émet­tait néces­saire­ment la pro­pa­gande de son pro­prié­taire. Vu que ce pro­prié­taire était l’Etat enne­mi, et que la pro­pa­gande fai­sait par­tie de la guerre, ils con­clurent que la télévi­sion était une arme de guerre et, par con­séquent, une cible légitime.

N1, elle aus­si, a des pro­prié­taires. Il y a même un général engagé dans la même guerre. Quant à la pro­pa­gande, ses com­mu­niqués au sujet du change­ment de la numéro­ta­tion four­nissent des exem­ples sco­laires de manip­u­la­tion. Le titre « Pres­sion poli­tique gran­dis­sante pour abaiss­er N1 sur le réseau SBB » (N1, 2017) laisse sup­pos­er que la chaine de KKR est défa­vorisée alors qu’elle est choyée.

N1 se fait aus­si cham­pi­onne du bobard « cal­culette ». En 2016, ses rap­ports quadru­plent la par­tic­i­pa­tion à une man­i­fes­ta­tion sup­port­ée par des ONG améri­caines, tan­dis que le nom­bre de man­i­fes­tants anti-OTAN est divisé par trente (sic). Lors des prési­den­tielles serbes de 2017 la télévi­sion se fait bureau de com­mu­ni­ca­tion de cer­tains can­di­dats, en omet­tant entière­ment d’autres.

Guerrier des perceptions

La défen­es­tra­tion de la démoc­ra­tie par KKR au prof­it de sa « CNN balka­nique » sera expliquée par Petraeus en ter­mes de « développe­ment des valeurs démoc­ra­tiques ». C’est la seule fois qu’un patron de N1 s’explique sur N1, et il le fait exclu­sive­ment devant les jour­nal­istes de N1. Sans sour­ciller, il souligne leur objec­tiv­ité et leur indépendance.

Si ses déc­la­ra­tions se trou­vent aux antipodes de la réal­ité, nous y retrou­vons le spé­cial­iste des guer­res des perceptions.

« Pra­tique­ment rien n’est plus impor­tant dans les affaires inter­na­tionales que les représen­ta­tions his­toriques et les per­cep­tions que les hommes por­tent dans leurs têtes. » Cette cita­tion ouvre le pre­mier arti­cle académique de Petraeus en 1986, ain­si que sa thèse doc­tor­ale, défendue l’année suiv­ante à Prince­ton. Depuis, le mil­i­taire-savant se fait cham­pi­on d’une réori­en­ta­tion de l’armée éta­suni­enne. La pri­or­ité devrait pass­er de la guerre con­ven­tion­nelle à la con­tre-insur­rec­tion (coun­terin­sur­gency ou Coin en anglais), sous la devise « gag­n­er les cœurs et les esprits ». En 2006, il expose sa doc­trine dans un manuel mil­i­taire qui fait date (FM 3–24 Coun­terin­sur­gency). Irak et Afghanistan seront des lab­o­ra­toires où il met­tra ses théories en œuvre en y assumant le com­man­de­ment suprême de 2007 à 2011. Mis­sion accom­plie, il ne lui reste plus qu’à quit­ter l’armée qu’il a révo­lu­tion­née après une car­rière très con­stru­ite. Cadet de West Point, il fait la cour à la fille du sur­in­ten­dant, ce qui lui vaut la moquerie de ses cama­rades et la main de la demoi­selle. Il pro­gresse ensuite dans l’ombre des com­man­dants Galvin, Vuono et Shel­ton. Avant son scan­dale sex­uel, il est le chou­chou des médias qui lui réser­vent des arti­cles élo­gieux, surnom­més « fel­la­tions » dans l’argot jour­nal­is­tique améri­cain. Son charme ne ren­con­tre que quelques détracteurs, comme l’amiral Fal­lon, qui l’aurait traité d’un “petit lèche-cul dégon­flé”.

À suiv­re.

Crédit pho­to : Truthout.org via Flickr (cc)

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