Il était déjà en négociations avec le groupe Czech Media Invest (CMI) à la mi-juillet : Jean-Martial Lefranc est désormais favori dans la course à l’acquisition du journal Marianne.
C’est face à l’opposition massive des salariés de Marianne que l’homme d’affaires Pierre-Édouard Stérin avait, le 18 juillet 2024, abandonné son projet de rachat du journal hebdomadaire. Faisant la fine bouche face à un « profil [qu’elle jugeait] peu engageant », une partie de la rédaction avait « plaidé pour un rejet ferme et immédiat » du candidat réputé catholique conservateur et sa proximité supposée avec des élus de droite. Un titre « républicain » et mu par le « rejet du sectarisme » comme Marianne aurait-il pu tolérer un tel propriétaire ? Alors que ce dernier avait donné toutes garanties d’indépendance…
Un nouveau profil pour Marianne
Le jour même, Jean-Martial Lefranc entame les négociations pour la reprise de Marianne avec son propriétaire depuis 2018, Daniel Křetínský. Producteur de cinéma, concepteur de jeux vidéo, détenteur d’une expérience dans la presse (avec la holding Financière de loisirs), le lillois âgé de 62 ans s’intéresse aux médias de manière diverse : président du syndicat des éditeurs de presse indépendants, il prend aussi la direction de la chaîne TV6 – disparue depuis. Les entreprises de presse menées par Lefranc ne semblent pas toujours heureuses à ses salariés : en témoigne son rachat l’éditeur de publications pour enfants Fleurus presse, passée sous son giron en 2008 et revendue en 2015 après d’importantes réductions des moyens (tant humains que matériels) au sein de l’entreprise… L’homme d’affaires mènera-t-il le même combat au sein de Marianne ? « La meilleure garantie de pérennité d’un titre de presse est de mettre en œuvre la pratique que je mène depuis près de vingt ans en la matière : respect scrupuleux de l’ADN du titre et créativité constante dans l’évolution de son modèle d’affaire », a‑t-il indiqué à la rédaction de l’hebdomadaire. Un discours à double tranchant, que certains salariés abordent comme un risque pour la survie économique du journal.
Quelle stratégie pour le potentiel repreneur ?
Alors qu’il avait été jugé un candidat financièrement faillible, Lefranc a proposé une nouvelle offre rehaussée à 8,5 millions d’euros. L’augmentation de cette surface financière est en grande partie due à ses partenaires, qui comptent du beau monde : parmi la liste, le directeur d’une importante banque libanaise, Antoun Sehnaoui, avait fait parler de lui en 2010, lorsque ses gardes du corps avaient ouvert le feu dans une boîte de nuit, causant plusieurs blessés. Le choix d’un tel support financier n’a — semble-t-il — pas choqué le magazine à la ligne dite « souverainiste », qui semble préférer à la contribution financière d’une personnalité française au casier vierge à des fonds étrangers plus controversés… D’autres soutiens devraient participer à cette aventure, parmi lesquels l’incontournable Julien Dray, dont le passé trotskyste semble à quelques lieues de la ligne « chevènementiste » de l’actuelle directrice de la rédaction du journal Natacha Polony, mais Julien Dray – un peu oublié – a sans doute besoin d’un haut parleur.
Les financements de la reprise
Pour l’heure, Czech Media Invest continue de mener les négociations : les six investisseurs et Jean-Martial Lefranc semblent être prêts à apporter 3,5 millions d’euros, auquel il faut ajouter, si l’on en croit La Lettre, un prêt d’un million par voie de souscription auprès de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles et un financement participatif mené auprès de la plateforme Lita. L’affaire doit être conclue avant la fin de l’année et Jean-Martial Lefranc espère bien rencontrer d’ici peu les salariés d’un magazine dont CMI semble tellement vouloir se départir qu’il irait jusqu’à prendre en charge une partie des coûts de reprise… Au total les montants investis semblent beaucoup trop faibles pour assurer la survie du titre plus que jamais en danger.
Voir aussi : Daniel Křetínský, infographie