C’était l’événement de la semaine. Le jeudi 23 mai au soir, Gabriel Attal, Premier ministre, croisait le fer avec la tête de liste favorite des sondages aux élections européennes : Jordan Bardella, qui conduit la liste du Rassemblement national. Un débat qui a concentré l’attention de tous les médias, et pour lequel il fallait bien désigner un vainqueur. Pour la presse libérale libertaire, la question ne se pose pas : Gabriel Attal a gagné.
Jordan Bardella « approximatif et brouillon » de Ouest-France à L’Obs
Jordan Bardella est plutôt considéré comme un « homme politique qui a l’habitude des médias et a tendance à tenir son rang dans les débats » pour citer Le Nouvel Obs, ou comme un « expert des joutes télévisées », pour Le Huffington Post, deux médias qui ne peuvent guère être soupçonnés d’être en faveur du Rassemblement National. Pourtant, lors du débat du 23 mai, Jordan Bardella « a joué en défense, dans un registre inhabituel », s’étonne Le Huffington Post qui note que « l’un est venu avec ses fiches, l’autre non. » Des notes qui n’ont d’ailleurs « pas suffi à combler les lacunes du président du Rassemblement national. » Le Nouvel Obs affirme que « Gabriel Attal a poussé son rival dans ses retranchements, révélant les faiblesses ou approximations des promesses du RN. »
Ouest-France note également que Gabriel Attal a « corrigé le candidat frontiste sur bien des sujets », citant la mention des voitures thermiques : Jordan Bardella a annoncé vouloir revenir sur « l’objectif d’interdire les véhicules thermiques en 2035 », Gabriel Attal a précisé qu’il ne s’agissait pas d’une interdiction pure et simple mais d’une interdiction de vente. Pinaillage ou recadrage, chacun est juge, et Ouest-France a jugé. La Dépêche note également la « jambe droite tressaillant » de Jordan Bardella, et La Tribune n’ose pas tout à fait se féliciter que Gabriel Attal soit « parvenu à afficher, par effet de contraste, le manque de préparation de son adversaire à la gestion du pouvoir. » Quant au Huffington Post, il titre que Jordan Bardella a été « confronté à ses limites », et note qu’il s’est « pris les pieds dans le tapis sur les institutions européennes », « a semblé découvrir en plateau que la réforme du marché européen de l’électricité ne sera appliquée qu’en 2026 », et est resté « sans voix durant cinq longues secondes. »
Pour L’Express, tout le monde est d’accord, Bardella a échoué
Jordan Bardella a manqué son débat, cela ne fait aucun doute. Selon L’Express, il était pour lui urgent de « tourner la page » après un « débat raté » et de « faire oublier sa contre-performance. » Le titre ne mâche pas ses mots, affirmant que la tête de liste « n’a pas passé le meilleur moment de sa vie » sur le plateau de France 2, et qu’il a été jugé « pas au niveau par nombre de ses camarades, qui estiment que le Premier ministre a corrigé la tête de liste sur le fond comme sur la forme. » La Tribune parle d’un « débat difficile » et selon Le Huffington Post, Bardella est apparu « plusieurs fois agacé, voire nerveux » et a « été mis en difficulté sur plusieurs sujets. »
La déception du RN à la loupe vu du Monde
Quelles que soient les compétences et les savoirs d’un journaliste, pour corroborer l’angle d’un article, rien de mieux que les citations. En l’occurrence, pour prouver que Jordan Bardella a perdu son débat, rien de mieux que de pointer les militants déçus. Justement, au lendemain de l’événement médiatique, le Rassemblement National était en meeting à Hénin-Beaumont. L’Express en profite pour faire son miel : « “Ça montre que quand il est challengé et doit aller au-delà de ses formules toutes faites ça devient chaud…”, commente un cadre. “On avait l’habitude de le voir toujours au top, là il était très décevant”, “La posture de l’arrogance vieillit mal quand c’est lui qui se retrouve mis en difficulté”. » Et pour ce qui est des commentaires élogieux, qui ne seront d’ailleurs pas rapportés, l’explication est toute trouvée : ceux qui les tiennent « rivalisent de mauvaise foi pour trouver le meilleur superlatif à même de qualifier leur chef. »
Du côté de Le Monde, le son de cloche est semblable. Après avoir rapidement admis que certains militants ont « retenu l’attitude “moqueuse” du premier ministre et son sourire “narquois” », autrement dit, ce sont concentrés sur des détails peu intéressants, on se cite les déçus, ceux qui ont remarqué « les difficultés de leur champion ». « On l’a trouvé un peu mou, il n’arrivait pas à en placer une. » Le Monde a même trouvé un député RN, Thierry Frappé, qui « convient qu’il y eut “des hauts et des bas et qu’[il] attendait plus”. » Là aussi, on enveloppe les éloges d’un certain mépris journalistique, en résumant : « la ligne officielle est toutefois pleine d’autosatisfaction. »
Toute l’Europe, une revue de presse de gauche qui ne dit pas son nom
Parmi les articles écrits à la suite du débat Attal-Bardella, on trouve la revue de presse de Toute l’Europe. Ce média rapporte non pas les citations des militants, mais les commentaires des médias, voire les citations du débat rapportées par les médias. Parmi les médias dits de droite, on compte Le Figaro. Parmi les médias de gauche, le panel est plus large, avec Le Huffington Post, Libération, Le Nouvel Obs ou encore Le Monde. Avec cet échantillon représentatif, on obtient la conclusion suivante : Jordan Bardella a été « mis en difficulté » dans un « débat très attendu ».
En un mot comme en cent, le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella a été remporté par le premier, plus sûr de lui et plus au fait des dossiers. C’est du moins l’avis de la presse libérale libertaire, qui admet tout juste, via Le Huffington Post, que Gabriel Attal a « [frôlé] très souvent le ton professoral. » Reste à savoir si ce jugement relève d’un arbitrage honnête ou d’une tentative de relever la liste Renaissance et de faire perdre des voix au Rassemblement National. Les électeurs jugeront.