La fin de la première phase du confinement, prévue pour le 11 mai 2020, entraîne de nombreuses interrogations, abondamment relayées dans les médias, concernant notamment le retour à l’école, la reprise du travail, la fréquentation des transports en communs ou la mise à disposition de matériel de protection à la population. Néanmoins, la fin d’une période de confinement strict ne signifiant pas « le retour à la vie d’avant », selon les termes répétés par le Gouvernement, c’est bien la question plus générale des libertés publiques qui va se poser au cours de la période post-confinement. Pourtant, malgré quelques remous dans l’opinion, en particulier à l’annonce d’une éventuelle utilisation des données médicales personnelles dans le cadre d’opérations de traçage, la plupart des grands médias sont restés relativement timides quant à la question des libertés publiques.
Mesures exceptionnelles mais durables ?
L’un des premiers à s’être réellement inquiété de cette situation de manière explicite a été Jean Quatremer, journaliste spécialisé sur les questions européennes à Libération — et lui-même européiste convaincu — par un billet sur son blog le 30 avril 2020 (mis à jour le 7 mai), dans lequel il estime que « (…) croire que les libertés publiques, la démocratie, sortiront intactes de cet épisode est juste un doux rêve. L’État d’urgence sanitaire va rester inscrit dans notre droit pour longtemps exactement comme l’État d’urgence, déclenché en 2015 a finalement été intégré au droit commun. Il est rare qu’un État renonce de lui-même aux pouvoirs gagnés sur le législatif et la justice ».
Dans un éditorial en date du 4 mai, Le Monde s’engage sur une réflexion similaire quant aux pouvoirs exceptionnels accordés au Gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et sa prolongation, insistant sur le fait que « la peur de la contamination, très sensible dans la société, ne saurait être compensée par un excès de mesures autoritaires ».
À gauche toujours, le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire catholique La Vie, Jean-Pierre Denis, s’est aussi prononcé sur cette question le 5 mai 2020, par un éditorial où il revient sur l’altération de certaines évidences démocratiques, notamment l’indépendance de la presse et celle des cultes. Il y dénonce également l’érosion manifeste des libertés publiques à laquelle on assiste : « s’il faut sauver nos vies et protéger notre corps, il faut préserver notre vie démocratique et défendre notre corpus de libertés publiques. Et s’il se trouve des gens pour penser que l’on peut sacrifier la liberté sur l’autel de la sécurité, ce sont eux, les irresponsables ».
Cette inquiétude est également partagée par Stéphane Germain, par le biais d’une tribune publiée le 6 mai sur Causeur. Dans son papier, cet ancien collaborateur de nombreux titres de presse parmi lesquels Le Figaro, L’Obs, Libération ou encore Le Point relève que « dans l’ensemble, les « irréductibles Gaulois », notamment les quadras en pleine forme, ont consenti puis réclamé à cor et à cri un confinement liberticide autant qu’économiquement suicidaire », ajoutant même ensuite : « Après avoir abdiqué ses droits individuels et ses libertés publiques en huit jours, une partie de la France rechigne à déconfiner. Elle lorgne désormais vers un contrôle social qu’on ne rêve pas ouvertement « à la chinoise », mais qui repose sur des technologies cousines que l’on prétend maîtriser ».
Applications sanitaires, masques, drones
Des technologies réellement au cœur de ce sujet brûlant, ainsi que l’illustre une certaine inquiétude autour de l’application StopCovid et plus généralement du traitement des données de santé, mais également la question de l’utilisation de drones pour surveiller le bon respect du confinement, l’usage de caméras pour détecter le port de masques, ou encore la proposition de fournir un bracelet électronique aux personnes qui ne disposeraient pas de smartphone.
Autant de sujets d’importance qui ne semblent pas faire l’objet d’une réflexion approfondie par la plupart des médias de grand chemin. Cette réflexion est plus développée au sein de la presse d’opinion, et notamment parmi quelques titres à sensibilité conservatrice. Parmi cette tendance, le magazine L’incorrect a publié le 7 mai 2020 un long papier dans lequel sont décortiquées la plupart des atteintes aux libertés publiques provoquées par la crise sanitaire, en avertissant sans ambages que « Peu à peu, l’État, pour masquer son incurie, grignote nos libertés au nom de la lutte contre le virus. Attention au déconfinement, qui pourrait bien révéler une dictature larvée ». Dans cet article très étoffé, il est notamment question de la nature juridique même du confinement et de ses possibles conséquences futures en matière de libertés individuelles, notamment la liberté d’aller et venir : « la mesure a très certainement réduit la circulation du virus mais elle a surtout habitué les gens à demeurer assignés à résidence », ainsi que de l’atteinte à la liberté religieuse : « aucune atteinte à la liberté du culte ne devra être tolérée sous peine qu’elle ne devienne, elle aussi, une habitude ».
Un virus plus efficace que les terroristes ?
Au milieu d’un silence relatif assez général sur cette question des libertés publiques, une petite exception reste cependant à noter. Dans l’émission Les Grandes Gueules du 5 mai 2020 sur RMC, Frédéric Beigbeder a déclaré ne pas comprendre « cette soumission des citoyens qui ont obéi de manière aussi docile » ajoutant même « Quand des terroristes ont descendu tout le monde au Bataclan et ont attaqué les terrasses des cafés, on a continué à vivre comme avant, on n’a pas arrêté d’aller aux terrasses des cafés. Un virus obtient plus de résultats que des terroristes assassins ».
Une comparaison pas vraiment au goût de ses interlocuteurs, mais qui a le mérite de poser une véritable interrogation quant à la capacité de notre société à accepter une remise en cause progressive — mais censée être temporaire — de ses droits les plus fondamentaux.