L’écume des choses : la polémique lancée par le député LFI Louis Boyard, ancien employé de TPMP et de Bolloré essayant de mettre en porte à faux Cyril Hanouna vis-à-vis de son employeur Vincent Bolloré. Insultes, départ piteux, cris dans les chaumières.
La réalité des choses, cette sortie préméditée cache une proposition de loi de LFI déposée le 11 octobre 2022, visant à « mettre fin à la concentration dans les médias et l’industrie culturelle et qui sera peut-être examinée à l’occasion de la niche LFI-NUPES le 24 novembre. Une loi explicitement anti-Bolloré.
« Concentration » médiatique et culturelle
L’initiative a été lancée par le député Clémentine Autain et suivie par nombre de ses collègues de la LFI : le titre laisse à lui seul songeur : quelle est la nature de la « concentration » dont parle donc le député Insoumis ? S’agit-il de dénoncer la concentration de journalistes aux orientations politiques relativement uniformes et loin d’être toujours hostiles à NUPES ? Une remarque qui aurait pu être pertinente : en 2012, le second tour opposant François Hollande et Nicolas Sarkozy incarnait l’engouement certain du corps journalistique pour le candidat socialiste, qui avait totalisé 74% des voix des journalistes. Au premier tour, ils n’étaient « que 39% » à avoir choisi ce candidat et 19% à avoir opté pour Jean-Luc Mélenchon, contre … 3% pour Marine Le Pen. La concentration idéologique ne semble pas le souci des Nupesiens…
À la lecture de la proposition, la « concentration » déplorée par la LFI est plutôt de l’ordre de la mainmise financière. Dans le viseur ? Préserver la presse d’une « indépendance des milieux économiques » à laquelle elle serait subordonnée. S’appuyant sur un article de Check News de Libération, la proposition de loi s’inquiète ainsi que « huit milliardaires (Arnault, Dassault, Drahi, Kretinsky, Lagardère, Niel, Pinault et Safa) et deux millionnaires (Weill et Perdriel) possèdent une vingtaine de titres de presse française. [Et que], dans le détail, ils pèsent 81% de la diffusion des quotidiens nationaux ». Les cas des médias régionaux ne sont pas cités, renforçant le caractère éminemment politique de la PPL visant essentiellement des titres nationaux susceptibles de « [peser] sur l’agenda politique et médiatique », ainsi que le soulignait l’auteur de l’article dénonçant l’emprise des milliardaires sur la presse, Agnès Rousseaux.
Traiter les groupes privés comme des officines publiques (article 4)
À la lecture de la proposition de loi, il apparaît que, dans son obsession pour la lutte contre Vincent Bolloré, les députés LFI veuillent faire de l’ensemble des entreprises médiatiques un service public sous perfusion. Car en dénonçant l’investissement de personnalités du privé dans différentes officines de presse ou du milieu de l’édition, le groupe politique dénonce en réalité un mode de gestion : à l’inverse de médias sous perfusion de subventions publiques, les investisseurs privés sont en quête d’une rentabilité légitime ou du moins à la recherche d’un équilibre financier acceptable. N’en déplaise à l’auteur de la proposition de loi, qui souligne naïvement qu’il « serait extrêmement trompeur de penser que les milliardaires qui se partagent nos médias et notre industrie culturelle […] par seul goût pour le mécénat, par passion pour le journalisme ou par pur intérêt économique », le secteur privé ne peut se permettre d’être déficitaire au risque de mettre la clef sous la porte.
Un couperet aux mains du gouvernement
En privant, en son article 4, tout investisseur d’accéder à « plus de 20 % du capital dans les médias les plus significatifs », le groupe de parlementaires ouvre deux brèches extrêmement dangereuses : d’une part, il condamne certaines institutions de la presse ou du domaine culturel en général au regard de leur diffusion, créant une iniquité de traitement entre les différents titres de presse ou d’édition. Une iniquité d’autant plus inquiétante que le seuil de diffusion visée sera définie a posteriori, par décret. Il est donc laissé aux mains du seul gouvernement une décision qui pourrait bien se transformer en couperet politique. Car en somme, le choix de laisser un investisseur monter de manière monopolistique au capital d’un titre dépendrait du seul bon vouloir d’un gouvernement qui pourrait condamner un journal dont l’orientation lui est défavorable au seul prétexte des chiffres de sa diffusion.
D’autre part, il engendre la mise à mort presque certaine de certaines institutions : pour certains titres de presse, notamment les rares titres engagés à droite sur l’échiquier politique, cumuler différents investisseurs au capital peut apparaître comme un pari difficile. Et ce, en dépit d’aides à la presse qui, eu égard à la crise du papier, paraissent bien ténues. La limitation d’un actionnaire à hauteur d’une frange aussi basse que 20% du capital risquerait donc d’être pour ces titres synonyme d’une mort assurée. Or, en dépit de l’opinion portée à ces titres en termes politiques, ces médias garantissent un certain équilibre sur la scène médiatique et concourent donc au pluralisme des médias tel qu’il est défendu à l’article 34 de la Constitution de 1958 auquel se réfère d’ailleurs la proposition de loi. De là à penser que Clémentine Autain et ses collègues de la France Insoumise veuillent encourager la chute de certains journaux qui ne conviendraient pas à ses opinions personnelles…
Faire des maisons d’éditions, de la presse et des médias audiovisuels des officines syndicales (articles 1,2,3)
En conditionnant l’accès d’un actionnaire au capital des médias, des sociétés éditrices en matière de communication audiovisuelle ou des maisons d’édition, à un agrément du Comité Économique et Social de l’entreprise, l’auteur de la proposition de loi entend concentrer aux mains des salariés ayant pris l’initiative de s’inscrire dans ces instantes « représentatives » du personnel des décisions d’ordre financière sur lesquelles ils n’ont pourtant aucune emprise ou pour lesquels ils n’ont aucune compétence. Un journaliste, un salarié d’une maison d’édition, un personnel d’un média audiovisuel n’a par nature pas les prérogatives requises pour diriger une entreprise et donc donner son agrément à une personne susceptible de le faire. Qu’une instance représentative du personnel statue sur les compétences (ou non) d’une personnalité aguerrie aux affaires relève au mieux d’un idéalisme béat, au pire d’une aberrante aspiration déconnectée des réalités d’un marché en grave difficulté.
Par ailleurs, faire reposer cette compétence aux mains du CES et non entre celles des rédactions (pour l’exemple de la presse) trahit la volonté de la LFI d’inscrire les instances culturelles dont il est question dans une logique quasi syndicale, qui correspond davantage à une exigence sociale qu’à la représentativité d’une ligne rédactionnelle.
La NUPES a‑t-elle oublié les libertés des journalistes ?
« Tout journaliste […] a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d’émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à sa conviction professionnelle formée dans le respect de la charte déontologique de son entreprise ou de sa société éditrice ». En son article 1, la LOI n° 2016–1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias rappelle une évidence : les journalistes ont une clause de conscience qu’ils peuvent employer.
Proposant un réquisitoire assez convenu à l’encontre de Vincent Bolloré et de son « empire médiatique », le groupe NUPES semble oublier qu’il est encore possible aux journalistes ou filiales audiovisuelles en sa main de faire jouer cette clause de conscience en leur faveur. Il est également possible à des journalistes qui se sentiraient choqués par un traitement d’informations qu’ils jugeraient orientés de démissionner par souci déontologique.
Un problème de sources
La nature du procès mené contre l’« empire » médiatique de Bolloré au sein de la proposition de loi soulève par ailleurs une question : quelle est la composition exacte du Collectif StopBolloré sur lequel s’appuie la proposition de loi pour dénoncer « [l’asservissement] de l’information, en vue d’acquérir le pouvoir politique et d’instaurer une hégémonie liberticide et antidémocratique » auquel s’adonnerait le milliardaire est totalement opaque. Citer, au sein d’un texte parlementaire, une source qui se dit émaner de « membres et des organisations de la société civile qui s’inquiètent de la concentration des médias et de l’édition en France et des dangers que cela représente pour la démocratie » sans autres précisions est au mieux ridicule, au pire franchement malhonnête. Quoiqu’il en soit, le procès médiatique mené à l’encontre de CNEWS pourrait être contesté avec l’exemple du traitement des temps de parole à la présidentielle : pour la période du 28 mars au 3 avril 2022, le plus important temps de parole cumulé donné à cette antenne était pour Jean-Luc Mélenchon. A l’inverse de LCI, à qui il n’est pas fait de procès d’intention et qui donnait pourtant largement plus de temps de parole (2h31 contre 1h13 pour Marine le Pen ou 1h04 pour Jean-Luc Mélenchon) à la candidate Anne Hidalgo sur la même fourchette de temps.
Une initiative répétitive… mais en moins bien !
À l’occasion de la XVe législature, les députés Paula Forteza et Mathieu Orphelin avaient déjà déposé une proposition de loi relative à l’indépendance des médias, avec des propositions moins déséquilibrées et plus rationnelles que celles envisagées par la LFI.
De meilleur aloi, la proposition de « conditionner l’octroi des avantages liés à la presse à un taux d’investissement minimum de 35% du chiffre d’affaires de l’entreprise dans les charges de personnel [afin d’éviter] le recours trop important à des rédacteurs au statut d’auto-entrepreneur par exemple » pouvait apparaître plus sain que de limiter l’accès au capital d’un investisseur suivant le seuil de diffusion du média.
Les rapporteurs non-inscrits envisageaient également de renforcer la transparence du financement des entreprises éditrices de presse en rendant publique l’identité d’un « actionnaire détenteur d’au moins 5% des parts d’un média » et en signalant aux lecteurs « lorsqu’un article traite d’un sujet en lien avec un actionnaire détenant au moins 5% du capital de l’entreprise éditrice ». Une initiative qui avait au moins le mérite de la clarté et qui n’incitait pas les rédactions à statuer sur des domaines sur lesquelles elles n’ont pas de compétences.
On pourrait aussi remplacer le financement par subventions d’une partie des médias par un libre choix des assujettis à l’impôt. Chacun pourrait abonder avec un plafond (par exemple 138€, le montant de l’ancienne taxe audiovisuelle) en faveur du titre de son choix. Un moyen tout à fait démocratique de financement des médias plutôt que leur nationalisation rampante.
En guise de conclusion…
On peut ne pas goûter l’emprise de certains milliardaires sur l’information, qui ne sauvent vraisemblablement pas le secteur par goût de la philanthropie. Mais alors que la presse papier se meurt, à l’heure où les coûts du papier explosent, menaçant gravement les maisons d’éditions, la LFI dépose une proposition de loi qui pourrait s’avérer un frein supplémentaire, si elle venait à être adoptée, à ces institutions culturelles. Au lieu de proposer des perspectives constructives, à l’image de la construction de machines de production pour le papier dont on sait qu’il en restera plus qu’une d’ici les prochains mois en France, le groupe parlementaire préfère s’émouvoir à grands cris d’orfraie sur le péril que ferait peser Vincent Bolloré sur la démocratie. C’est un choix politique.