Une dépêche de l’AFP en date du 2 avril 2020 a été reprise par quelques médias : il faudrait « régulariser les sans-papiers ». Très peu de médias en fait, voilà une étrangeté à regarder de plus près.
Deux remarques préliminaires
Le sujet est délicat : évoquer cette proposition de manière trop forte, cela revient à convenir qu’il y a beaucoup de clandestins sur le territoire national, et donc à reconnaître que la question de l’immigration et de la reconduite aux frontières est mise sous le tapis depuis de nombreuses années.
Par ailleurs, il n’est pas difficile d’imaginer ce qui pourrait (conditionnel) avoir lieu en temps normal, en dehors de la pandémie que vous vivons : des députés proposeraient une mesure de « régularisation massive », un gouvernement suivrait, Zemmour s’y opposerait, se retrouvant alors accusé d’être le fils caché de Pétain, tandis que des hommes dits de droite et de droite nationale lutteraient contre la proposition à l’Assemblée nationale et dans les médias, étant rappelés à leur très grand âge (une date de naissance supposément située entre 1933 et 1945 du côté de Nuremberg), le tout aux sons du clairon de la démocratie et de Sibeth N’Diaye, exposant combien tout cela serait le fruit d’un dialogue véritable, durant lequel le président aurait parlé (seul), les Français auraient écouté en silence et le gouvernement aurait mis en oeuvre un projet dont toutes les ficelles étaient déjà jouées par avance.
Tout cela aurait pu avoir lieu, hors pandémie, mais nous vivons une pandémie. De fait, les réactions médiatiques sont différentes. Revenons sur la proposition et sur ces quelques réactions.
La source de l’idée se situe au Portugal. Libération le rapporte le 30 mars 2020 : « Le Portugal régularise temporairement ses sans-papiers » (les « siens », c’est osé), « le gouvernement socialiste d’Antonio Costa a pris la décision de prolonger les droits des immigrés en cours de régularisation pendant la crise du coronavirus ». Cette décision est une réalité mais la présentation contient une ‘fake news’ : il n’y a pas, dans cette décision, d’immigrés en cours de régularisation, pas plus au Portugal qu’en France, mais des clandestins, personnes ayant outrepassé la loi pour être présentes sur le territoire, autrement dit des délinquants. Pour Libération, l’objectif n’est cependant pas de glorifier le gouvernement portugais mais d’en profiter pour continuer son obsessionnel combat contre toutes les formes du mot « droite » : « alors que chez son voisin ibérique, le parti populiste de droite Vox a réclamé que les sans-papiers paient de leur poche les soins de santé, le Portugal a accepté l’octroi des droits à tous ses immigrés en cours de régularisation ». De nouveau le mot « ses », déni évident du réel.
D’autres réactions ?
France bleu, dans la foulée de la décision portugaise, indique que sept députés français (Jean-Michel Clément, Bertrand Pancher, M’Jid El Guerrab, Sandrine Josse, Frédérique Dumas et Paul Molac) proposent la même chose : « régulariser provisoirement les sans-papiers », les mêmes clandestins donc. Nous sommes le mardi 31 mars 2020 et c’est l’occasion d’apprendre que pour ces députés, tous de gauche ou LREM, ayant donc tous défendu l’idéologie de la société ouverte et liquide qui a conduit à toutes les crises mondialisées que nous connaissons, à commencer à celles des migrants, « ces hommes et ces enfants sont entrés illégalement dans notre pays ». Ce sont des propos de François-Michel Lambert, à l’origine de la proposition, député écologiste indépendant, mais ancien socialiste élu sous l’étiquette LREM, des Bouches-du-Rhône.
Ils sont vite devenus 15, ces députés, dont Olivier Faure, secrétaire national du PS, ou Marie-Georges Buffet, ancienne ministre communiste sous Jospin, tout un monde qui a milité pour que la France se peuple de clandestins qu’elle ne peut pas (et ne veut pas) accueillir.
Comment ne pas y perdre son latin ? Voici donc qu’un député écologiste, ancien socialiste puis LREM, parle « entrée illégale » et de « son pays ». Ne nous y trompons pas, très vite dans l’entretien le naturel revient au galop : « Nous devrons reconstruire la France dans quelques semaines ou quelques mois. Nous pourrons alors nous appuyer sur ces personnes. Elles seront un atout pour notre pays. Cette régularisation est donc dans l’intérêt de tout le monde. »
Précisons que la France, avant la crise sanitaire, allouait 935 millions d’euros environ pour les 320 000 (estimation) clandestins officiellement présents sur le territoire français au titre de l’AME, en particulier des soins, et que dans le même temps il était demandé aux hôpitaux de réaliser 800 millions d’économie. Les chiffres parlent d’eux-mêmes en un moment où la France court après des masques de protection et des blouses pour ses soignants.
Quand RTL relaie l’information le 2 avril 2020, de quinze ils sont devenus une vingtaine de députés, idéologiquement progressistes. Ils ont été rejoints par Sonia Krimi, député LREM. Extrait de RTL :
« Ils estiment que la mesure prise par le Portugal qui donne aux sans-papiers « les mêmes droits » pour l’accès aux soins et aux aides financières que les citoyens portugais est « une mesure de salubrité publique qui protège tous les habitants ». Mettant en avant « la situation dramatique des sans-papiers et des sans-abris », ils ajoutent que la crise sanitaire « rend encore plus cruciale la prise en compte de ce problème qui n’a que trop duré ».
Des ficelles habituelles : l’apitoiement ; la victimisation ; l’amalgame, ici entre sans-papiers (clandestins) et sans-abris, dont nombre sont Français ; la culpabilisation ; le côté « positif ».
Il est vrai qu’un reportage de BFM en date du 8 avril apportera de l’eau au moulin des bien-pensants. L’action se passe à Montreuil, « près de Paris », la journaliste ne pouvant pas dire « dans le 9–3 », le Président de la République en revient et il a constaté que tout allait encore mieux que dans le meilleur des mondes. La parole est à Boubou, « jeune Malien ». Qui juge que les conditions de confinement sont « inacceptables ». Un autre « travailleur sans-papier » réclame des logements. À part Sonia, militante associative qui veut « les protéger » les images ne montrent que des personnes objectivement noires et en très grande partie habillées à l’africaine. Difficile de prime abord de croire que les images ont été tournées en France, « près de Paris ». Mais si, pourtant.
Une question n’est pas posée ; que font-ils là ? À Montreuil, bien sûr. Mais aussi, en France. Après tout, sait-on jamais, peut-être firent-ils partie des ouvriers clandestins employés sur le chantier du quotidien Le Monde ? Car les moralisateurs, comme ces députés et les médias qui relaient leurs paroles, donnent parfois ce drôle d’exemple.