Pas de neutralité qui tienne pour les pirates informatiques qui s’en sont pris à divers médias suisses, créant un vent d’inquiétude, pour ne pas dire de panique, qui a notamment entraîné l’intervention de la justice.
« Play » avec les médias
L’affaire a débuté le 24 mars dernier lorsque des pirates d’un groupe appelé « Play » ont pénétré les systèmes informatiques de NZZ (Neue Zürcher Zeitung, le journal de langue allemande considéré comme « de référence ») et de CH Media (qui édite notamment l’Aargauer Zeitung, la Luzerner Zeitung et le St. Galler Tagblatt). Selon un scénario désormais tristement classique, les « hackers » ont volé des stocks de données confidentielles avant de menacer les entreprises visées de les diffuser sur le net si ces dernières ne s’acquittaient pas d’une rançon (au montant non révélé). NZZ et CH Media n’ayant pas obtempéré à la demande des pirates, ce sont près de 500 gigaoctest de données qui ont donc été diffusées sur le DarkNet, en deux temps, les 3 et 11 mai derniers. Des données considérées comme « sensibles » concernant notamment les divers clients des deux groupes de presse mais aussi des collaborateurs.
La cyberattaque a également eu des répercussions directes sur les médias de CH Media et du NZZ qui ont dû renoncer temporairement à leurs pages régionales et paraître sous forme réduite plusieurs jours.
Des confrères évoquent l’affaire, la justice s’en mêle…
Cette attaque de grande envergure sur des médias emblématiques a évidemment fait beaucoup de bruit dans la confédération et de nombreux médias, non-visé par les pirates, s’en sont faits l’écho. Une publicité qui n’a pas été du goût des deux victimes considérant que ces publications pouvaient favoriser une plus grande diffusion des données volées et donc aggraver le préjudice subi.
Ainsi, plusieurs médias, dont le journal progressiste francophone «Le Temps» ont été sommés par les avocats de CH Media et la NZZ, de ne publier aucune information confidentielle liée à la cyberattaque subie voire de modifier ou de retirer des articles déjà parus en ligne sur ce sujet. Selon les rédacteurs du « Temps » cette démarche représente une première en Suisse et pose de nombreuses questions en termes de liberté de la presse et de droit à l’information. De leur côté, les avocats des groupes piratés arguent que «les atteintes à la personnalité ne peuvent être évitées qu’en s’opposant au traitement et à la diffusion d’informations confidentielles et parfois sensibles » et que leur démarche vise à « éviter la propagation d’informations strictement confidentielles résultant de ce vol de données et de protéger leurs partenaires contractuels et leurs collaborateurs»
Le tribunal saisi
Pour le moment, la justice semble suivre l’argumentaire des avocats, le Tribunal du canton d’Argovie affirmant notamment que «la disponibilité d’informations sur le darknet ne justifie pas la diffusion de ces informations par ailleurs confidentielles, d’autant plus que seul un petit cercle de personnes techniquement expérimentées peut accéder au darknet et peut y télécharger des informations. Une divulgation de ces informations par des médias plus traditionnels équivaudrait donc à augmenter considérablement le cercle de personnes qui peuvent en prendre connaissance.»
Cet appel au silence radio sur l’affaire passe assez mal auprès de certains médias qui voient là une tentative de censure. C’est notamment le cas de Zentralplus.ch dont trois articles sur ce sujet ont été supprimés et qui continue à « défendre l’idée qu’il était légitime de rendre compte du contenu de la fuite de données en raison de la forte implication en Suisse centrale des sociétés touchées et de l’intérêt public qui en découle.»
Voir aussi : « Le Temps », ou le journalisme comme épouvantail