Ce qui ressemble bien (sous réserve de vérification) à un enlèvement aérien pour mettre à l’ombre un opposant au régime biélorusse entraîne de justes condamnations… qui oublient généralement le précédent de 2013 où les États-Unis ont fait détourner par les Européens l’avion d’un président sud-américain avec la complicité très active de l’Union européenne.
Juillet 2013, l’avion du président bolivien détourné à la demande des Américains
2013, c’est si loin déjà… Edward Snowden le lanceur d’alerte était bloqué dans la zone de transit de l’aéroport de Moscou, essayant de quitter la Russie par avion pour un pays de l’Amérique du sud, Cuba, Bolivie ou l’Équateur. Joe Robinette Biden, alors vice-président de Barack Obama, fit pression sur ces pays pour qu’ils refusent tout droit d’asile : Cuba et l’Équateur obtempérèrent. Evo Morales, le président bolivien (à Moscou pour une conférence internationale sur le gaz) donne le 1er juillet une interview à un média russe annonçant la possibilité que la Bolivie accorde l’asile à Snowden. Le lendemain 2 juillet l’avion présidentiel décolle avec un plan de vol survolant entre autres, Pologne, Tchéquie, Autriche, Italie, France, Espagne avec un arrêt aux iles Canaries espagnoles pour reprendre du carburant. C’est là que les choses se compliquent.
Volant au-dessus de l’Autriche, l’avion présidentiel reçoit l’avertissement que la France, l’Italie et l’Espagne refusaient leur accès aérien, contraignant l’avion à s’arrêter à Vienne pour reprendre du carburant. Morales et sa suite sont retenus pendant douze heures et sont informés que les trois pays ayant refusé leur espace aérien l’ont fait à la demande d’un « pays non spécifié » pour vérifier que Edward Snowden n’était pas à bord. L’avion est fouillé, les autorités autrichiennes ayant constaté l’absence de Snowden, l’avion peut repartir.
Qui était au pouvoir début juillet 2013 dans les trois pays qui ont obéi à l’ordre de Biden/Obama ? France : François Hollande président, Jean-Marc Ayrault premier ministre, Laurent Fabius ministre des affaires étrangères. Italie : Enrico Letta (PD, gauche) premier ministre, Emma Bonino (parti radical) ministre des affaires étrangères. Espagne : Mariano Rajoy (PP, conservateur) premier ministre, Jose Maria Garcia (PP) ministre des affaires étrangères. Droite et gauche se sont donc rendus complices de ce que l’ambassadeur bolivien aux Nations-Unies a nommé un kidnapping, la même piraterie que celle observée avec l’enlèvement de l’opposant biélorusse. Voyons qui en a parlé.
Biélorussie/États-Unis, deux sons de cloche
Médiapart, sous la signature de Ludovic Lamant, le 25 mai met l’accent sur « le débat sur l’efficacité des sanctions de l’Union européenne » envers la Biélorussie. De l’enlèvement de 2013 ? Pas un mot. Libération du même jour consacre trois articles au sujet. Anna Novak parle de « piraterie organisée » sans en dire plus, ni Bernard Guetta dans une tribune intitulée « piraterie d’État », ni Nelly Didelot dans un troisième papier ne disent un mot de 2013. Le Monde du même jour consacre un éditorial non signé à l’enlèvement « Les violations du droit international se multiplient et la répression sans frontières s’intensifie… Le monde démocratique se doit de réagir avec fermeté et unité. L’impunité n’est plus une option ». Un autre article, signé source AFP, mentionne « la figure de l’opposition appelle Washington (sic) à passer à l’action ». Et 2013 ? Toujours pas un mot.
Anne Rovan dans le Figaro suit la même ligne que ses confrères appelant à « isoler la Biélorussie de l’UE », sans la moindre allusion au brigandage de 2013. Mathilde Visseyrias dans le même quotidien et surtout Alain Barluet rappellent le précédent avec Evo Morales et sauvent un peu l’honneur. Parmi les formes du mensonge, le mensonge par omission est la plus efficace.