[Première diffusion le 13 avril 2016] Rediffusions estivales 2016
Les attentats commis à Paris et à Bruxelles ont suscité beaucoup d’émotion en Allemagne comme ailleurs. Notre voisin d’Outre-Rhin s’est donc posée avec une acuité grandissante la question de savoir si de tels événements pourraient se produire chez lui. Les débats animés dans ce cadre ont porté sur le devant de la scène un autre bastion méconnu de l’islamisme en Europe : Berlin.
Le point de vue de la CDU
C’est dans ce contexte que le quotidien Die Welt, l’un des « 3 grands », réputé conservateur et libéral, est allé récemment interviewer Frank Henkel, membre de longue date de la CDU (Union Chrétienne-Démocrate), maire de Berlin depuis 2011 et sénateur berlinois (on appelle Sénat berlinois le gouvernement du Land de Berlin par opposition à la commune de Berlin) chargé des sports et de l’intérieur. Cet entretien permet de constater l’état d’esprit attentiste des politiciens aux commandes issus des partis traditionnels face au péril islamiste en Allemagne, comme dans le reste de l’Europe de l’Ouest.
Frank Henkel le concède volontiers : le milieu islamiste de Berlin compte 710 membres, dont 360 sont considérés comme « prédisposés à la violence ». Près de 100 « Berlinois » sont allés se battre en Syrie aux côtés de l’État Islamique, dont la moitié sont revenus aguerris et endurcis. 65 des 450 islamistes considérés comme hautement dangereux (un peu à l’instar de nos « classés S ») en Allemagne vivent à Berlin. Ce milieu connaît, de l’aveu même de Henkel, une croissance exponentielle. Face à ces menaces, l’attitude adoptée par le ministre de l’intérieur du land de Berlin chargé de la sécurité de ses compatriotes est stupéfiante. Henkel commence d’abord par rassurer son interlocuteur : le gouvernement espère bien qu’il n’y aura jamais, sur le Kurfürstendamm, de scène semblable à celle du Bataclan et de Zaventem, l’espoir fait vivre. La police berlinoise s’est préparée à intervenir dans ce type de situation en organisant des exercices cet été. À réagir, pas à prévenir ? Si bien sûr, les services de renseignements observent attentivement différentes « associations » extrémistes. Des moyens humains importants ont été mobilisés pour ce faire. Mais les mosquées islamistes, que fréquentaient 90% des « Berlinois » partis combattre en Syrie, ne se trouvent pas au centre de ce dispositif de surveillance… La situation berlinoise ne serait pas celle de Bruxelles. Il est vrai que les quartiers fortement islamisés de Neukölln, de Wedding ou de Moabit ne sont pas comparables à Molenbeek, le gouvernement attend apparemment ce basculement !
Les contradictions et la faiblesse libérales
Questions du journaliste:
- Pourquoi les mosquées islamistes ne sont-elles pas davantage surveillées ?
Parce que cela représenterait une atteinte à la liberté de religion. - Pourquoi n’est-il pas pénalement punissable en Allemagne de partir rejoindre une organisation terroriste, soupçonnée d’avoir commis des crimes contre l’humanité ?
Parce que l’Allemagne est un État de droit, et qu’il faut prouver l’intention du partant !
La seule destination n’est pas une preuve. Rien ne démontre après tout qu’un homme fiché comme membre d’associations islamistes et fréquentant une mosquée islamiste ne se rende pas finalement en Syrie en touriste, dans l’espoir sans doute de pouvoir admirer les ruines de Palmyre ou la mosquée des Omeyyades. La Syrie regorge de trésors antiques et la période est propice ! Le gouvernement berlinois a certes mis en place une arme impressionnante contre le salafisme : un réseau de « déradicalisation », dans lequel des travailleurs sociaux expliquent à des personnes soupçonnées de sympathies islamistes que ça n’est pas bien d’égorger les gens et que la religion ne doit pas être dévoyée…
Les historiens allemands utilisent, pour désigner cette phase de la seconde guerre mondiale que nous appelons la « drôle de guerre », l’expression plus imagée de « Sitzkrieg » — la « guerre assise ». Pendant que le gros des troupes allemandes était en effet occupé à écraser la Pologne, les troupes françaises sont restées en quelque sorte « assises sur leurs fesses » en attendant que ça se passe, au lieu de profiter de la faiblesse des défenses allemandes à l’ouest. Les Français ont préféré attendre gentiment que l’Allemagne en finisse à l’est, puis regroupe ses troupes à l’ouest et choisisse le moment et le lieu de l’attaque. Le résultat de cette stratégie attentiste fut clair à l’époque.
C’est bien l’impression que laissent les mesures de lutte contre le salafisme du sénat berlinois. Le gouvernement « observe attentivement » et « prend des mesures de rééducation sociale » d’un ridicule achevé. Face à l’ampleur de la menace, des mesures vigoureuses à la hauteur consisteraient sans doute à fermer les mosquées islamistes ou à expulser leurs imams ainsi que les partants ou anciens combattants en Syrie, et à interdire les associations islamistes. Le délit de « Verfassungswidrigkeit » (atteinte à la constitution démocratique) existe et des dizaines d’organisations extrémistes ont été interdites par le passé à ce titre, et leurs dirigeants condamnés. Rien de tel avec le salafisme : le gouvernement a décidé de se contenter de réagir et de laisser l’initiative aux terroristes. C’est eux qui choisiront le temps et le lieu de leurs attaques. Les Allemands ont décidé d’expérimenter si une politique de « guerre assise » leur permettra d’obtenir de meilleurs résultats que ceux qu’avaient obtenus les Français en 1940…
Pegida plus réprimé que les islamistes
Mais il est une autre interprétation que la seule naïveté à l’attitude timorée des politiciens des partis traditionnels, en Allemagne comme ailleurs en Europe de l’Ouest, dans la lutte contre le salafisme. L’extraordinaire inaction vis-à-vis des mouvements islamistes, qui ont déjà tué des centaines de personnes en Europe, présente en effet un net contraste par rapport aux dures actions de répression entreprises contre le mouvement PEGIDA, qui est pourtant loin d’être une organisation terroriste : interdiction de manifestations, procédures judiciaires contre les dirigeants pour « incitation à la haine » voire « constitution d’une organisation terroriste »… du fait d’incendies volontaires de foyers de migrants. On notera que l’absence de lien direct prouvé entre lesdits incendies et le mouvement PEGIDA en soi n’a pas suscité les mêmes scrupules que l’absence de preuve directe qu’un islamiste, même connu des services de police, ne soit pas parti en Syrie faire du tourisme. On a donc, en Allemagne comme en France, le phénomène des « deux poids et deux mesures » que nous connaissons bien de la justice française. Mais s’agit-il là seulement de naïveté ou d’aveuglement ? Peut-être, nul ne pouvant prouver le contraire. Une autre hypothèse, nettement plus inquiétante, pourrait cependant être risquée : les politiciens des partis institutionnels allemands pourraient aussi craindre qu’une répression trop brutale du mouvement islamiste n’ouvre la boîte de Pandore… Les organisations terroristes d’extrême-gauche des années 70 – qui comptaient quelques dizaines de membres – ne disposaient en effet d’aucune base sociale en dehors de quelques groupusculaires milieux estudiantins. Il en va tout autrement des mouvements islamistes : non seulement ceux-ci comprennent des centaines de membres aguerris, c’est-à-dire infiniment plus que ce qu’avait jamais mobilisé la RAF, mais ils disposent, en dépit de tous les dénis des politiques, d’une véritable base sociale, culturelle, ethnique et religieuse réelle et significative : une frange, certes difficile à estimer mais qui n’est sûrement pas négligeable, des 3 à 5 millions de Musulmans vivant en Allemagne éprouve une réelle sympathie pour ces mouvements, même si elle n’approuve ni ne participe aux violences. Le mouvement islamiste n’est nullement groupusculaire et marginal, en dépit de ce qu’affirment des politiciens qui savent pertinemment le contraire. Un fil rouge relie d’ailleurs la montée en puissance cette sympathie islamiste avec le déclassement social des Turcs, résultat de leurs difficultés d’intégration culturelle, économique et sociale que nous avons eu l’occasion d’évoquer lors d’un précédent article. Les nombreux déclassés de la communauté musulmane constituent un terreau fertile de recrutement islamiste. Ce déclassement turc a par ailleurs des raisons profondément culturelles. Certains choisissent dès lors le repli sur soi-même. Il se crée alors un cercle vicieux.
Les peurs de la CDU
Dès lors, on peut imaginer que des politiciens cyniques ne craignent qu’une répression trop brutale des islamistes ne suscite un mouvement de sympathie d’une partie au moins de la communauté musulmane, voire même d’une majorité de cette communauté massivement déclassée et en panne, à part quelques rares éléments doués… éléments intégrés qui font d’ailleurs, comme l’écrivain d’origine turque Akif Pirinçci, l’objet de répression sous la forme de procédures judiciaires pour « incitation à la haine »… contre sa propre nation d’origine ! Il est vrai que celui-ci avait, lors d’une de ses allocutions devant les manifestants de PEGIDA qu’il soutient, accusé délicatement le gouvernement allemand d’agir « en Gauleiter contre son propre peuple », suscitant l’ire de l’establishment. Un soulèvement de toute ou partie de la communauté turque par solidarité ethnique, religieuse, culturelle et sociale dans le cadre d’une escalade, quelle qu’en soit la forme, dévoilerait définitivement l’ampleur des mensonges dont on a abreuvé la population au cours de ces quarante dernières années. Les mensonges du multiculturalisme, le caractère totalement idéologique et honteux de l’accusation forfaitaire de « racisme » porté envers tous ceux qui voulaient susciter des interrogations par rapport aux conséquences sur la paix civile d’une immigration de peuplement extra-européenne ou par rapport à la compatibilité de l’islam avec la démocratie, voire le caractère strictement politique, idéologiquement construit et partant criminel des procédures judiciaires « d’incitation à la haine », parfaitement incompatibles avec la démocratie parce que violant les principes fondamentaux de la liberté de conscience, de la liberté d’expression et des droits de l’homme dont les bien-pensants ne cessent de se réclamer, mais visiblement sans trop comprendre leur sens.
La peur de faire exploser les clivages grandissants qui gangrènent la société allemande en révélant ainsi leur faillite pourrait expliquer que les élites politiques identifient les mouvements d’opposition comme PEGIDA ou l’AfD comme les ennemis à combattre en priorité : ils ménagent les islamistes pour ne pas susciter de réprobation d’ampleur au sein de la communauté musulmane et combattent leurs opposants politiques, parce que ces derniers seraient sans doute appelés à les remplacer au pouvoir en cas de vive réaction des Allemands autochtones suite à une situation de quasi-guerre civile. Cette stratégie d’accaparement coûte que coûte du pouvoir est d’une part d’un cynisme achevé, et d’autre part extraordinairement court-termiste : le gouvernement allemand semble considérer son propre peuple autochtone comme l’ennemi principal ; il court le risque, en ne menant pas d’action préventive suffisamment vigoureuse contre les islamistes, de sacrifier la vie de centaines voire de milliers d’innocents ; il court enfin le risque à terme de ne faire guère que reculer pour mieux sauter…
Source : welt.de