Les difficultés de la presse communiste deviennent un marronnier. L’Humanité ne vit que sous perfusion. Le quotidien La Marseillaise va de redressement judiciaire en redressement judiciaire et pourrait (?) un jour tomber dans l’escarcelle de Jean-Luc Mélenchon. Nous publions une analyse de fond sur ce dernier journal avec un ton un peu différent, plus personnel, celui d’un témoin qui a été aussi un acteur proche.
Un passé brillant
« Fondé le 9 décembre 1943, le journal est né de la volonté du Front national — région sud (réseau de résistance communiste, à ne pas confondre avec l’actuel parti !), de se doter d’un organe de presse. Clandestin, il paraîtra d’abord mensuellement, puis en 1944, et au fur et à mesure de l’avance des armées alliées, chaque semaine, et enfin, quotidiennement dans les jours qui précèdent la libération de Marseille » (Wikipedia).
Ce quotidien marseillais qui a connu ses heures de gloire accompagnant celles du PCF se meurt depuis de nombreuses années, et en arrive à présent au bout du bout, si l’on en juge par ces chiffres de mars 2018, dont FR3 Provence s’est fait l’écho : 8 millions de dettes — 2 mois de sursis avant liquidation — 40 licenciements immédiats dont 16 journalistes. Or, déjà en novembre 2014, « La Marseillaise a déposé le bilan au tribunal de commerce de Marseille, dans le but de permettre une procédure de mise en redressement judiciaire”. En novembre 2016, La Marseillaise dépose encore le bilan « et dit espérer un placement en redressement judiciaire ».
On peut donc considérer que, faute d’un lectorat suffisant, ce quotidien bien connu des Marseillais (et pas plus mal fait que La Provence ‑originellement « socialiste » à la mode Defferre), dont le siège est un magnifique immeuble XVIIIe siècle sur le très central Cours d’Estienne d’Orves, un espace jadis voué à l’arsenal des galères, n’a plus guère d’avenir. Il a en tout cas un passé brillant comme nombre de quotidiens d’opinion qui ont fait la fierté de la vie démocratique en France par leurs querelles et débats de fond, à présent un lointain souvenir.
La Marseillaise enracinée dans la Résistance
Le lendemain de la Libération, le 24 août 1944, « paraît le premier numéro légal de La Marseillaise. Les rédacteurs du journal, tous membres du FN CR, rédigeront ce premier numéro depuis les locaux du Petit Marseillais, journal collaborationniste, saisis, (…) Par la suite, François Billoux, député communiste des Bouches-du-Rhône en sera son directeur politique » (François Billoux, stalinien pur jus, notons-le). Le journal a donc longtemps été un organe de presse communiste. Ses journalistes étaient des « permanents » du PCF, et, à ce titre, touchaient de maigres salaires si l’on se réfère à la grille des salaires définie par la « convention collective des journalistes », ce qui était leur contribution volontaire au travail militant qui structurait alors l’action du Parti communiste français et lui permettait d’entretenir plusieurs titres de presse en France (tous ont disparu). Il va de soi que la rigueur était essentiellement supportée par les sans grade, les chefs et autres cadres « de haut niveau » se réservant le droit de vivre sur ce qui apparaissait alors comme un « grand pied » (voitures de fonction, primes, avantages en nature en tout genre.) La supposée volonté révolutionnaire s’arrêtait apparemment aux salaires des militants, ceux des dirigeants restant, aussi loin que l’on se souvienne, un secret bien gardé ou en tout cas peu partagé.
Mais dans un contexte aujourd’hui largement oublié, le feu du combat politique faisait passer bien des choses, et la fête annuelle du journal à Gémenos (commune verdoyante proche d’Aubagne) a longtemps drainé des foules considérables. Le quotidien a été distribué « dans les Bouches-du-Rhône, les Alpes-de-Haute-Provence, le Var, le Vaucluse, le Gard et fait paraître une édition héraultaise sous le titre “L’Hérault du jour” ». La Marseillaise a pesé sur la vie politique régionale. Difficile aujourd’hui de savoir si cette diffusion ambitieuse est toujours d’actualité, du fait par exemple de la diminution du nombre de journalistes, phénomène qui ne date pas d’aujourd’hui.
Le siège du journal, un centre d’animation et de résistance politique
La vie de La Marseillaise était scandée par l’actualité politique nationale et internationale à l’ombre de la Guerre froide et du grand frère soviétique. Depuis un balcon du 1er étage, on y égrainait les résultats électoraux pour les scrutins d’importance devant une foule compacte. Chacun savait qu’en fonction des scores dans tel bureau de vote, la tendance prédominante du scrutin, au moins à Marseille, pouvait être prévue sans grand risque.
Le PCF et donc La Marseillaise étaient opposés à la « guerre d’Indochine », ce qui a conduit dans les années cinquante des parachutistes et des légionnaires de passage pour embarquement sur le Pasteur (paquebot transformé en transport de troupes), à tenter de donner l’assaut contre le journal, lequel était pour l’occasion devenu une forteresse protégée par des ouvriers et des dockers. La violence de ces affrontements en ville (il y eut mort d’hommes) scandaliserait aujourd’hui.
On ne saurait évoquer La Marseillaise sans l’associer au tissu industriel alors bien fourni de la cité phocéenne dont les quartiers Nord abritaient une nombreuse population ouvrière, qui majoritairement lisait… La Marseillaise. A cette époque, la prospérité et le tirage (important) de la presse communiste étaient les reflets de la puissance des idées et de l’influence du PCF. L’effondrement ultérieur du parti entrainant celui de sa presse.
« Mitterandisme » et disparition de la presse d’opinion
Cette presse d’opinion était la règle. A Marseille se côtoyaient sur le fameux Cours d’Estienne d’Orves La Marseillaise et Le Méridional, propriété du très droitier armateur Freyssinet (anti communiste compulsif), dans les vastes locaux (partagés pour l’occasion) de feu Le Petit Marseillais interdit à la Libération pour cause de collaboration, tandis qu’à deux pas, rue Francis Davso, gîtaient Le Provençal et Le Soir de Gaston Defferre en lieu et place du Petit Provençal, également fermé à la Libération pour cause de collaboration.
Mais les temps changeaient. Les usines disparaissaient peu à peu, et avec elles les ouvriers et les électeurs communistes. La Marseillaise s’est adaptée tant bien que mal à l’union de la gauche (qui allait conduire François Mitterrand au pouvoir) tandis que Le Provençal, migrait vers le Canet en investissant un siège flambant neuf construit sur le site d’une huilerie disparue, site qui allait accueillir aussi la rédaction du Méridional, (racheté par Gaston Defferre en 1997) pour former, avec le Provençal, La Provence, aujourd’hui propriété de Bernard Tapie (fusion malheureuse en terme de diffusion).
Pour ce qui est de La Marseillaise, « En 1997, sa ligne éditoriale s’est ouverte à ” toutes les composantes du mouvement social”. Il reste un journal indépendant des puissances financières dans un paysage médiatique en pleine recomposition, où ses concurrents sont au cœur de fusions et de rapprochements de grands groupes de presse régionale (comme le Groupe Hersant Média, longtemps propriétaire de La Provence en région PACA ou le Groupe Sud-Ouest en Languedoc-Roussillon avec le Midi libre). Il est assez clair que l’épisode Robert Hue à la tête du PCF n’a pas aidé à clarifier une ligne politique et idéologique susceptible de séduire des citoyens de moins en moins tentés par « le communisme ». Et « toutes les composantes du mouvement social », cela signifiait très concrètement quoi ? Le PS ne devait pas être loin ! On connaît la suite du cursus de Robert Hue.
Une indépendance relative ?
Comme ce fut le cas généralement dans la presse écrite française, la régie publicitaire de La Marseillaise a pris une importance croissante dans la vie du journal, non sans un certain brio, au gré des difficultés financières qui s’accumulaient. Et devant l’effondrement du PCF et des ventes, il a bien fallu trouver des ersatz pour maintenir à flot le journal, qui, dans l’esprit de ses dirigeants et des (maigres) troupes PC, représente encore de toute évidence un symbole vital si l’on en juge par certains reportages de FR3 Provence en ce début 2018.
Le journal a ainsi organisé annuellement, chaque premier week-end de juillet, « le plus grand concours de pétanque du monde, le Mondial la Marseillaise à pétanque. Près de 12 000 joueurs y participaient chaque année ». « … Cette épreuve a été créée en 1962 sur une idée originale du journal La Marseillaise et de Paul Ricard ». Aura-t-il lieu cette année ? Sur le site internet du quotidien, on en annonce la tenue en 2018.
Des liens ont été tissés entre Inter Provence Publicité (régie publicitaire de La Marseillaise) et Eurosud (régie publicitaire du Provençal) au moment de l’Union de la gauche, et nombre de journalistes de La Marseillaise sont alors passés au Provençal pour leur plus grand profit salarial.
Mais, La Provence elle-même ne brillant plus guère, il faut tenter de savoir pourquoi ces grosses machines à informer, ou à désinformer, autrefois si puissantes, s’étiolent, en province comme à Paris, à une ou deux exceptions près.
A travers l’exemple de La Marseillaise, tenter de comprendre un naufrage global
Les médias écrits, au moins nationaux, sont tenus à bout de bras par l’État et ses aides à la presse, fussent-ils la propriété d’oligarques richissimes. Mais leur diffusion baisse avec une régularité impressionnante. M. Charles Gave, célèbre et brillant éditorialiste libéral, attribue notamment cet échec à l’incompétence des directions concernées. Cette explication paraît courte.
La Marseillaise a été un porte parole, une voix régionale pour le PCF, et a apparemment suivi le parti dans sa chute. Autrement dit, tant que le journal représentait une idéologie pertinente pour beaucoup, il a trouvé ses lecteurs, qui cherchaient donc dans ses colonnes des arguments susceptibles de conforter leur propre idéologie et d’illustrer en conséquence leur vision du monde. La Marseillaise a sans doute été un instrument performant au service d’une idéologie elle-même performante en termes politiques à l’époque concernée. Le Provençal, journal de Gaston Defferre, était l’expression d’une ambition régionale, puis nationale de type social démocrate, et prospérait sur la très forte personnalité de son créateur, grand baron local dont Marseille subit encore l’ombre portée ne serait-ce qu’à travers M. Gaudin, qui a fait ses débuts en politique avec M. Defferre, précisément avant l’union de la gauche. Le Méridional, voix d’une droite affirmée (Algérie française comprise), maintenait sa position. Sa disparition dans le ventre mou de La Provence a fait perdre au groupe de presse la partie de l’électorat qui ne se retrouvait plus dans le centrisme social libéral qu’a développé La Provence. On doit donc en déduire (Euréka!) que les lecteurs ne sont pas captifs.
Trois enseignements
Premier enseignement, si l’on prend en compte que nombre de dirigeants de La Marseillaise avaient un passé modeste, souvent ouvrier, et que leur formation intellectuelle était essentiellement le fait des « écoles de section » voire au mieux de l’ « école centrale » du PCF, que beaucoup étaient autodidactes, on doit admettre que leurs résultats ne sont pas fondamentalement pires que ceux de leurs alter ego issus des grandes écoles de la République. Sans les aides publiques, où en seraient Le Monde, Libération et d’autres ? Ne parlons pas évidemment de l’Humanité, journal rescapé d’une épopée, qui un temps a fait vigoureusement front à « la presse bourgeoise ». Sic transit gloria.
Deuxième enseignement, plausible, les journaux sont lus quand ils véhiculent des idées claires et un regard en phase avec les interrogations ou les craintes des citoyens. Or, ces deux conditions exigent un niveau, une conscience, une probité intellectuelle forts, la presse étant à la fois un produit économique, on s’en rend bien compte, mais surtout intellectuel : ce qui se conçoit bien s’énonce clairement dit-on, et l’on pourrait ajouter que ce qui se cache sournoisement, à savoir des présupposés idéologiques non avouables, ne peut pas déboucher sur un discours audible et crédible. On appelle cela l’exigence de la déontologie. Présenter, expliciter, défendre des idées et une vision, cela seul de toute évidence intéresse sur le long terme les citoyens, par exemple quand le pluralisme de l’information garantit la liberté de conscience. Nous sommes loin du compte. Les journalistes sont en effet un peu les « prêtres » du temps présent. Malheur à ceux qui vendent leur voix et leurs écrits, et qui le font avec superbe et cynisme. C’est apparemment le cas trop souvent en ces temps du « tout fric ».
Troisième constat lié au précédent : considérer un journal comme un business, à savoir comme un outil de formatage des esprits, est une folie qui tue le business. Avec le recul, nul doute que dans le cadre médiatique, seule une information rigoureuse, fût-elle même partielle voire parfois partiale, retient l’attention. Une information muselée ou biaisée cesse d’être une information.
Moralité ?
Un journal qui perd massivement ses lecteurs ne répond plus aux conditions qui ont produit son apparition. Il ne rend donc plus le « service public d’information » que l’on attendait de lui.
Par hypothèse, quel service La Marseillaise pourrait-il rendre aujourd’hui aux citoyens ? Né dans une métropole industrielle, le voici qui meurt dans une cité appauvrie et tertiarisée. Sorti du combat de la Résistance, il n’a pas su, comme tant d’autres titres, prendre en compte les changements de mentalités nés des trente Glorieuses. Soumis (lui aussi) à une technocratie autiste, il a subi les évolutions politiques économiques sociales et sociétales sans pouvoir de manière autonome tenter de s’adapter. Était-ce par ailleurs possible ?
Ne lui jetons pas la pierre. France Soir n’a pas résisté, et ni le premier Libération (celui de D’Astier de la Vigerie) ni le second (July première manière et la suite) en voie d’extinction assez remarquable, ne peuvent servir de contre exemple. Il faudrait visiter l’hôpital et le cimetière des quotidiens et autres journaux en soins palliatifs ou disparus au champ d’honneur ou du déshonneur de la bataille pour l’ « information » pour prendre la mesure du désastre. Risquons donc que la presse qui prétend tenir un discours performatif et autoritaire a aujourd’hui peu de chance de perdurer.
La crise de la presse ? Sans doute la crise du discours shampouiné de la presse actuelle, qui a fini par croire que son existence ne dépend pas des lecteurs mais de l’autorité « naturelle » de ses journalistes et de la doxa de l’heure, dictée par les oligarchies toutes puissantes qui la possède (médias privés) ou qui l’influence (médias publics). Plus bien sûr, à la louche, la crise de l’Éducation Nationale et de l’éducation, le poids de la télé et l’abrutissement qui va souvent avec.
Une bonne information, un privilège pour des privilégiés qui ont le temps et l’envie de multiplier les sources. Ce qui est mieux que rien. Triste constat. En espérant un nouveau départ ?
Crédit photo : DR La Marseillaise, via Facebook