Rediffusion. Première diffusion le 15 janvier 2018
La chaîne publique franco-allemande Arte ayant suspendu sa coopération avec la télévision publique polonaise dès le mois de janvier 2016, soit seulement deux mois après l’arrivée au pouvoir du PiS, c’est Arte qui se charge seule de produire ses films documentaires sur la Pologne gouvernée par le PiS. Et quand les journalistes d’Arte produisent des documentaires sur la Pologne actuelle, ils s’adressent toujours aux opposants les plus radicaux au PiS, c’est-à-dire à ceux qui voient dans ce gouvernement démocratiquement élu une quasi-dictature.
Quand Arte choisit soigneusement ses témoignages
Le documentaire de 30 minutes « Tourmente polonaise – L’engagement de Róża Thun pour son pays » diffusé en décembre s’inscrit dans cette ligne, puisque le journaliste et le cameraman suivent les pas d’un des six députés européens au Parlement polonais qui ont voté en faveur de sanctions lors du débat sur la Pologne le 15 novembre dernier au Parlement européen.
La présentation sur le site d’Arte (où « Tourmente polonaise – L’engagement de Róża Thun pour son pays » peut être visionné en replay jusqu’au 20 janvier) de la version francophone de ce documentaire produit par Arte Allemagne donne le ton, puisqu’elle explique que « l’ancienne militante de Solidarnosc, la députée européenne Roza Thun compte bien se battre pour sauvegarder les libertés de ses concitoyens » contre la « mise au pas des médias », la « fin prévue de l’indépendance de la justice », « le régime polonais actuel » qui est « clairement autocratique », etc.
Les premiers mots du reportage : « Varsovie, automne 2017, un pays qui se détourne de l’Europe de l’Ouest ». On passe d’emblée à la commémoration mensuelle de la catastrophe de Smolensk, le journaliste explique que « tout en priant, les manifestants suivent un homme qui leur répète que la Pologne est encerclée par des ennemis extérieurs ». Cet homme, c’est Jarosław Kaczyński qui ne dit rien de tel, bien sûr, mais c’est comme cela que les journalistes d’Arte comprennent son discours, car « Jarosław Kaczyński, le président du PiS, veut à nouveau isoler le pays ». La parole est ensuite donnée à Róża Thun, qui appartient au parti libéral Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO) de l’ancien premier ministre Donald Tusk. C’est une des opposantes les plus radicales au gouvernement actuel et c’est elle qui guidera les journalistes allemands d’Arte dans leur périple polonais. D’emblée, Mme Thun explique aux téléspectateurs d’Arte que la Pologne est en train de devenir une dictature.
Traduction mensongère
Puis l’on a à nouveau droit à Kaczyński lors d’une des commémorations mensuelles de la catastrophe de Smolensk et à une grossière manipulation par une traduction mensongère de son discours, la voix française couvrant presque complètement celle de Kaczyńśki (mais son discours en polonais peut être trouvé par exemple ici). Version française d’Arte (à partir de 1’49) : « Nous ne nous laisserons rien imposer par des gens venus de l’étranger. Quand nous serons enfin isolés en Europe, nous serons tranquilles. Je vous le répète, notre victoire est proche. » La vraie traduction : « Personne ne nous imposera sa volonté de l’extérieur. Même si nous nous retrouvons seuls en Europe sur certaines questions, nous resterons cet îlot de liberté, de tolérance, de tout ce qui est si fortement présent dans notre histoire. Je le répète : la victoire est proche. »
Et fausses nouvelles
Arte explique ensuite que les contre-manifestants présents depuis quelques temps à ces commémorations « sont régulièrement interpellés et poursuivis, même lorsque leur manifestation a été déclarée aux autorités », mais omet de préciser que les interpellations et les poursuites concernaient les contre-manifestants qui cherchaient à bloquer physiquement le passage des manifestants de la commémoration de Smolensk, dont la manifestation avait également été déclarée aux autorités. Bloquer une manifestation légale est illégal en Pologne, et comme partout en Europe, de tels contre-manifestants qui refusent d’obtempérer aux ordres de la police sont interpellés et poursuivis.
Heureusement, la députée PO Róża Thun (prononcer : rouja toune) est là et se bat contre les violences policières et les abus du pouvoir. La voilà qui part à la rencontre d’élèves d’un lycée de province entrés en conflit avec « le parti ultra-conservateur PiS » qui n’apprécierait pas que ces lycéens organisent des rencontres avec des députés de l’opposition dans l’établissement scolaire. L’inspecteur d’académie leur aurait interdit ce genre de rencontres politiques dans l’enceinte de l’école, et pour Mme Thun, cette situation « n’est pas sans danger ». Ces lycéens prennent « un énorme risque » en acceptant de s’exprimer devant la caméra d’Arte, car « ce que le PiS déteste par dessus tout, c’est qu’on parle de la Pologne en Europe de l’Ouest, ils ne veulent pas que les médias occidentaux parlent de ce pays ». En pleine conspiration, les journalistes décident donc « d’attendre l’après-midi pour rencontrer Patrick et ses amis dans leur lycée, un moment où l’établissement est quasiment vide ». Pourtant, Arte nous montre ensuite Patrick en conférence de presse dans la cour du lycée en présence de plusieurs caméras de télévision.
Manque de professionnalisme ou mensonge ?
Ensuite, Róża Thun emmène les téléspectateurs d’Arte à la rencontre d’un groupe d’enseignants ayant reçu un prix à Bruxelles « parce qu’ils font honneur aux valeurs défendues par [feu] Józef Tischner », « prêtre, humaniste et esprit éclairé », c’est-à-dire prêtre progressiste et libéral.
Ces enseignants se désolent des nouveaux manuels de géographie où l’on apprend que l’afflux d’immigrants en Pologne peut avoir des effets positifs et négatifs, les effets négatifs étant par exemple « les tensions que l’on observe actuellement dans de nombreux pays d’Europe ». « Mais qu’est-ce qu’on fait apprendre aux enfants ? », s’inquiète une enseignante. Puis Arte montre des phrases intolérables, racistes, que l’on trouve dans un manuel de catéchisme pour lycéens. La couverture est montrée subrepticement, sans doute pour rendre le manuel difficile à identifier car il a en fait été publié pour la première fois en… 2013, et donc à l’époque du gouvernement libéral de Donald Tusk, avec une réédition en 2015, avant l’arrivée au pouvoir du PiS ! Cela ne veut pas dire que le gouvernement PO était un gouvernement raciste d’ailleurs, car les phrases « intolérables » citées par ces enseignants sont sorties de leur contexte plus large d’une réflexion sur le rapport à l’autre. Mais pour Róża Thun et pour Arte, ces passages sont « destinés à nourrir la peur vis-à-vis de l’étranger » et sont très dangereux. La députée européenne n’a pas vérifié la date d’édition ni lu l’ensemble du texte proposé aux lycéens et c’est bien dommage, ou alors elle mentait volontairement, de même que les journalistes d’Arte.
Résumé du commentateur d’Arte : la Pologne aurait bien besoin d’une personne comme le père Tischner « capable de freiner le repli sur soi et le rejet de l’autre. Au lieu de cela, on sème la haine et la discorde, en particulier à la télévision, depuis longtemps rangée derrière la ligne politique du gouvernement ». C’est l’hôpital qui se moque de la charité.
Arte omet par ailleurs de préciser que, outre la télévision publique, il existe en Pologne deux grands groupes médiatiques avec plusieurs chaînes de télévision qui dominent le paysage audiovisuel, et que ces médias sont très anti-PiS.
Vient ensuite un passage obligé sur la Marche de l’Indépendance du 11 novembre censée démontrer une inquiétante dérive nationaliste polonaise qui serait encouragée par l’inquiétant Jarosław Kaczyński. Puis Arte nous parle d’une supposée haine anti-allemande dans la Pologne actuelle et nous explique que Róża Thun est « souvent prise pour cible » à cause de son nom complet, Róża Gräfin von Thun und Hohenstein, qu’elle tient de son mari allemand. En réalité, si Róża Thun est prise pour cible, c’est sans doute plutôt pour ce qu’elle raconte sur son pays au Parlement européen et dans les médias allemands comme la chaîne Arte. « Qui guerroie par l’épée meurt par l’épée », dit le proverbe polonais.
La députée au Parlement européen nous accompagne ensuite dans le bureau de Viviane Redding, qui s’était distinguée par ses attaques contre la Hongrie de Viktor Orban quand elle était Commissaire européenne à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté. « La Pologne cherche à détruire l’Europe », explique Mme Reding devant une Róża Thun du même avis qu’elle. « Consciemment ? », demande le journaliste d’Arte. « Oui », répond l’ancienne commissaire.
Fausses nouvelles sur un conflit forestier comme sur les allocations familiales
Vient ensuite un long passage sur la forêt de Białowieża, également source de conflit avec Bruxelles. Arte explique à ses téléspectateurs que, malgré l’inscription en 2004 de la zone au réseau Natura 2000, il y a un an le PiS a décidé d’augmenter l’abattage d’arbres en dépit des règles européennes. Pas un mot par contre sur le problème au centre du conflit qui motive l’abattage de ces arbres : la lutte contre la propagation d’un parasite, le bostryche typographe, qui est en train de détruire des zones entières de cette forêt de Białowieża. Les habitants qui défendent la politique du PiS sont présentés comme des imbéciles et des nationalistes. Ils ont forcément dû parler aux journalistes d’Arte du fléau du bostryche typographe, et Arte a donc forcément dû couper les passages non conformes à sa thèse centrale : le PiS est en train de transformer la Pologne en dictature et cherche à la faire sortir de l’Union européenne par tous les moyens, y compris en abattant des arbres dans la forêt de Białowieża.
Puis l’on apprend que le PiS doit sa surprenante popularité à la mise en place d’allocations familiales qui permettraient aux Polonais, avec l’équivalent d’environ 120 € par mois et par enfant à partir du deuxième enfant, de ne plus travailler, ce qui est une suggestion absurde pour toute personne qui connaît le coût de la vie en Pologne. Le PiS selon Arte devrait aussi sa popularité au sein de la partie pauvre et mécontente – et pas trop futée – de la population à l’agitation politique qu’organiserait l’Église catholique en sa faveur.
Cerise sur le gâteau de ce document de pure propagande bien lourdingue : si les manifestations de l’opposition attirent de moins en moins de gens, ce n’est pas à cause de la popularité du PiS (que confirment tous les sondages, y compris ceux publiés par les nombreux médias polonais hostiles au PiS), mais parce que les Polonais ont peur ! La preuve par Alina, qui a organisé une manifestation dans la ville de Kielce contre un projet de loi citoyen contre l’avortement, et a justement été traduite en justice. Le juge, forcément au service du gouvernement – ce qui n’arrive jamais en France –, l’a condamnée à une amende de 2000 zlotys, une très grosse somme par rapport à ses revenus. Le spectateur d’Arte n’est pas informé de la raison de la condamnation (« une broutille ») : en tant qu’organisatrice de la manifestation, Alina a en fait été sanctionnée pour les délits d’outrage aux symboles nationaux commis pendant la manifestation. Arte omet aussi de préciser que l’amende a été ramenée à 500 zlotys (environ 120 €) en appel.
Propagande style soviétique…en pire
Conclusion caricaturale à la fin de ce document de propagande anti-polonaise d’Arte : « À l’heure actuelle, difficile de voir comment empêcher la progression de ceux qui rêvent d’une Pologne pure, blanche et catholique et veulent entrer en conflit ouvert avec l’Europe ». Un petit groupe de nationalistes a pendu à des potences les photos des 6 députés qui ont voté en faveur de sanctions contre la Pologne au Parlement européen, continue Arte, et « ce jour-là, la police n’est pas intervenue ». L’on ne précisera pas non plus aux téléspectateurs d’Arte que le parquet polonais a ouvert une enquête en novembre pour menaces contre les six députés à raison de leur appArtenance politique.
Cela fait beaucoup d’omissions et manipulations pour un « documentaire » de seulement 30 minutes, avec aussi plusieurs éléments constituant ce que l’on appelle des fausses nouvelles, ou fake news (manuel de catéchisme attribué au PiS, traduction mensongère des propos de Kaczyński, allocations famililales…). Une Polonaise connaissant le français qui a vu ce documentaire et qui a connu l’époque communiste en Pologne a déclaré au correspondant de l’Observatoire que ce film d’Arte sur son pays lui rappelait la propagande soviétique… en pire !