Dossier. Célèbre site de critique des médias et pionnier du genre, ACRIMED est en quelque sorte un OJIM d’extrême-gauche. Si certaines des analyses peuvent sembler pertinentes, sa grille de lecture idéologique est cependant tellement prégnante qu’il arrive souvent, sur les sujets les plus critiques au plan idéologique, qu’ACRIMED reproche aux médias la paille que ceux-ci ont dans l’œil, non parce qu’ils devraient l’ôter pour y voir clair, mais parce qu’ils seraient censés y substituer la poutre entière de l’utopie multiculturaliste.
En effet, voilà tout le paradoxe d’un site comme ACRIMED, il s’agit d’un contre-pouvoir qui, une fois sur deux, reproche au pouvoir médiatique son manque de rectitude dans la profération d’une idéologie que le pouvoir en question, pourtant, se targue en général de professer. Cette confusion provient du fait que le site ne saisit ni son rôle ni le panorama. Il relève, politiquement parlant, de la gauche dupe d’elle-même, à demi-consciente de ses métamorphoses et des nouvelles perspectives où elle évolue. Et cet article est donc propice à une salutaire mise au point. Comme la plupart des sites de critiques des médias qui ont été nombreux à se développer ces dernières années, ACRIMED part d’un constat d’époque : la presse et ses dérivés, qui constituaient à l’origine un contre-pouvoir, puis un « quatrième pouvoir » (à côté de l’exécutif, du législatif et du judiciaire) est devenu, dans une société de communication massive, l’un des principaux pouvoirs, dominant bien souvent l’exécutif devenu plus dépendant que jamais de la réputation médiatique. Sauf que la nature de ce pouvoir et ses transmutations n’ont pas été prises en compte par une certaine gauche ultra, nostalgique et réactionnaire, qui n’y retrouve plus son étoile rouge.
Le sabre et le goupillon
Comme l’a parfaitement démontré Mathieu Bock-Côté, jeune et brillant intellectuel québécois, dans l’un des essais les plus importants de cette année, paru au Cerf : Le Multiculturalisme comme religion politique, la gauche utopique, après la déstalinisation puis la chute de l’URSS a, en quelque sorte, réinvesti sa libido utopiste dans un nouveau projet : le multiculturalisme. Celui-ci n’a rien à voir avec le simple constat d’une « société ouverte » dans un monde marchand aux frontières poreuses, mais tout avec un désir messianique de faire advenir l’Homme nouveau par d’autres moyens que la dictature du prolétariat, mais en programmant la rédemption de l’Occident criminel par sa dissolution salvatrice sous les revendications des anciennes minorités, cela afin de parvenir à accoucher d’un homme indifférencié arraché à tous ses anciens conditionnements et attachements traditionnels ; un Homme nouveau qui, quelle bonne surprise, correspond par ailleurs au producteur et consommateur interchangeables dont rêve, par ailleurs, le capitalisme mondialisé. Ainsi l’utopie néo-communiste se retrouve-t-elle à collaborer étrangement avec l’utopie marchande sur les décombres d’une civilisation européenne à achever de détruire. Constat que Christopher Lasch ou Jean-Claude Michéa, dénonçant la collusion « libérale-libertaire », avaient déjà établi à leur manière, chacun avec ses propres analyses. Voilà qui pourrait paraître très étrange et qui prend à rebours des habitudes de pensée bien ancrées, certes, mais ce genre de recombinaisons historiques ne sont en réalité pas si rares. Il n’y a qu’à songer à l’empire romain christianisé sous Constantin, quand, après avoir persécuté les chrétiens, Rome se fera l’arme politique de propagation du christianisme, tandis que l’Église se constituait quant à elle sur le modèle de la bureaucratie impériale. Cette alliance n’en entraîna pas moins une longue rivalité qui se poursuivit ensuite sous différentes formes à travers les siècles, entre pouvoir politique et autorité spirituelle, entre le pape et l’empereur, entre le trône et l’autel.
Les nouveaux Guelfes
Dans l’Italie médiévale, deux partis principaux s’affrontaient à l’intérieur d’un même monde, celui de la Chrétienté. Les Guelfes et les Gibelins, lesquels, pour faire vite, défendaient avant tout les intérêts de la papauté pour les premiers, de l’empereur pour les seconds. Le contre-pouvoir d’un site comme ACRIMED est comparable à un contre-pouvoir Guelfe. Il ne s’oppose aucunement au système, dont il incarne une composante majeure, il défend contre l’autre l’un des deux hémisphères du système, en se référant en général à la phase antérieure qui structurait celui-ci. Il reproche à la dimension capitaliste du pouvoir médiatique capitalisto-multiculturaliste de transiger sur le message multiculturaliste en raison des contraintes capitalistes, et tente de perpétuer artificiellement une opposition qui n’a plus lieu d’être entre ces deux utopies purement économistes qui sont désormais combinées. Une fois qu’on a admis cet état des lieux et la nature d’un tel positionnement, tous les paradoxes d’ACRIMED deviennent lisibles. Habiles à démasquer les corruptions de l’information qu’implique le cadre capitaliste, ses journalistes rabattent cependant tout sur une pureté idéologique encore plus allergique à l’objectivité que les biais qu’ils dénoncent, désignant la paille capitaliste dans l’œil du média ausculté, le collaborateur d’ACRIMED y plonge aussitôt sa poutre idéologique.
L’Insécurité : du déni au maquillage fantasmatique
L’un des thèmes où s’affirme le plus clairement le biais cognitif idéologique d’ACRIMED en particulier et de l’extrême-gauche en général, est celui de l’insécurité. Pour l’idéologie multiculturaliste, la violence corrélative aux sociétés trop hétérogènes et fracturées, quand bien même le Brésil, multiculturel et hyper-violent, en serait l’évident paradigme, cette violence n’existe pas parce qu’elle ne peut pas exister, sans quoi s’affirmerait une dérogation tout à fait intolérable au dogme fondamental sur quoi repose leur foi millénariste (le Royaume adviendra enfin quand chacun sera totalement dilué dans l’Autre pour le bonheur de tous). Par conséquent, puisque les médias, au début des années 2000, après dix ans d’un déni farouche, finissent par faire enfin remonter le réel d’une violence nouvelle en train de ravager la société française qu’il est devenu trop dur de dissimuler, l’extrême-gauche prétend que la violence en question vient d’être « inventée » par les médias. Et si elle n’est pas inventée, elle est « dramatisée ». La rubrique : « Les pyromanes de l’insécurité » déroule de manière limpide l’axe de lecture qu’ACRIMED superpose aux articles ou émissions dont le site prétend critiquer les méthodes. « L’exploitation racoleuse de faits divers tragiques hissée au premier rang de l’information nationale est une manifestation quasi quotidienne de ces dérives. » peut-on y lire. En vérité, il suffit de visiter le site fdesouche.com ou de lire La France Orange mécanique de Laurent Obertone (Ring), le site comme le livre se contentant de compiler des faits divers relevés dans la presse officielle et généralement relégués dans l’ombre, pour se rendre compte que si les médias voulaient vraiment se laisser aller à une exploitation racoleuse des faits divers, les Français en tireraient l’impression de vivre dans un remake de Mad Max au quotidien.
Un axe idéologique aberrant
C’est quand l’étouffement du fait divers est impossible, et uniquement dans ce cas-là, qu’il est relayé dans les médias. Toujours selon ACRIMED, ce pouvoir médiatique, grande antienne de l’extrême-gauche, « dramatise les comportements illégaux ou déviants des classes populaires, mais fait preuve d’une tolérance sélective en minimisant les dommages sociaux produits par la délinquance économique ou financière caractéristique des classes aisées. Enfin, à quelques exceptions près, il passe sous silence la grande variété des formes d’insécurité, à commencer par l’insécurité professionnelle et salariale. En dépit de leur variété, la plupart des médias produisent ainsi une représentation partielle et superficielle, voire trompeuse, des causes et des formes de l’insécurité. Si bien que la focalisation sur l’insécurité sert volontiers d’écran à la question sociale. » Il ne semble pourtant pas que l’affaire Cahuzac ait été minimisée… Mais il s’agit toujours de relativiser pour noyer le poisson en se livrant à toutes les comparaisons possibles. D’ailleurs, si l’on compare l’insécurité actuelle due à la délinquance à l’insécurité sanitaire qu’avait entraîné la Peste noire en France au XIVe siècle, il faut bien reconnaître que notre inquiétude est tout à fait exagérée. Mais outre cet aspect, l’expression : « les classes populaires » ne recouvre aucune réalité sociologique pertinente dans le cas qui nous occupe. Ces journalistes usent de concepts qui n’ont de signification qu’en termes idéologiques périmés. Il y a en réalité les « classes populaires » traditionnelles qui ont été reléguées dans la France périphérique décrite par Christophe Guilluy, et qui sont les premières à souffrir de la délinquance et de la dénaturation de leur cadre de vie par l’immigration de masse. Ces classes populaires pensent que la délinquance est un sujet minimisé, justement, et elles sont passées du vote communiste au vote Front National. En outre, elles lisent très rarement les papiers d’ACRIMED et se passeraient volontiers d’un tel soutien. Et puis, il y a les populations immigrées ou d’origine immigrée, c’est-à-dire le prolétariat néo-adamique de substitution de la gauche, que la gauche fantasme, n’ose pas vraiment côtoyer pour autant, et surtout ne comprend absolument pas, et dont les préoccupations divergent grandement parce que deux univers culturels sont ici inconciliables. Si bien que les populations immigrées n’entendent pas du tout la « question sociale » comme les contributeurs d’ACRIMED (notamment sur le travail des femmes, la place des minorités sexuelles, ou un idéal collectif dont aucun dieu ne viendrait assurer la cohérence). En somme, la « question sociale » n’existe plus au sens où elle est ici posée, c’est-à-dire au sens des années 50, au sein d’une société homogène et cohérente, ou plutôt, cette question est aujourd’hui fragmentée et brouillée par des questions identitaires. Donc quand ACRIMED parle de « classes populaires », ACRIMED ne parle strictement de personne.
Obsessions pathologiques
Cette traque à une supposée fabrique d’un « sentiment d’insécurité » qui n’aurait rien à voir avec le réel (la preuve par le Bataclan), prend chez ACRIMED les allures d’une obsession, au point que leurs journalistes en arrivent à écrire n’importe quoi sur le sujet. Exemple récent, un simple sondage (pas une tribune, un sondage) de 20 minutes (pas Minute tout court, 20 minutes), s’en serait rendu coupable en juin dernier ACRIMED critique ce sondage du sentiment des Français avant l’Euro de la manière suivante : « Enfin, si “71 % des sondés estiment que les stades qui accueilleront l’Euro sont bien protégés”, comme l’annonce la manchette de Une, on apprend néanmoins, en consultant le sondage, que 73% d’entre eux “craignent un attentat pendant l’Euro”.
Comment rendre compte et illustrer un tel gloubiboulga qui dit tout et son contraire ? » Ce soi-disant « gloubiboulga » ne dit pas tout et son contraire, il dit quelque chose de simple et de sensé : oui, les Français estimaient que les mesures nécessaires de protection des stades avaient en effet été prises pour l’Euro, mais aucune mesure de sécurité n’étant capable d’éviter pour autant tout attentat, ils demeuraient inquiets quant à la possibilité qu’il s’en produise un. Etait-ce « anxiogène » de rapporter un état des lieux finalement très cohérent ? Les 82 personnes qui ont achevé leur existence sous les roues d’un poids-lourd deux jours après la fin de l’Euro auraient-ils eu tort de se montrer anxieux ? C’est ce que laisse sous-entendre ACRIMED, qui promeut ainsi ouvertement le déni de réel comme fonction prioritaire du journalisme.
Complot fasciste partout
Ils sont partout. Dans la finance et le cinéma, dans les postes clés, dans les coulisses des grands partis et aux commandes des principaux médias. Qui ? Les fascistes. Et en fonction d’un complot concerté et permanent, insidieusement, sans qu’on y prenne garde, ils tamisent peu à peu la lumière sociale-démocrate pour faire advenir à nouveau Les Heures Les Plus Sombres. Alors, ces fiancés des Ténèbres laisseront enfin voir leur vrai visage : celui de la Haine, de la Peur, du Repli-sur-soi, et surtout, du Rejet-de‑l’autre. Voilà ce qui se lit entre les lignes des critiques d’ACRIMED sur le traitement de l’insécurité dans les médias, toutes leurs analyses procèdent en fait d’un fond complotiste telle que nous venons de le présenter et sans même que cette présentation puisse être taxée de caricaturale… Les difficultés d’intégration d’une immigration massive, les fractures socio-culturelles qui en découlent, l’aggravement de la violence dans la société française, ces faits, finalement assez mécaniques et fatals, du point de vue de l’indiscutable dogme multiculturaliste, ne peuvent pas exister. Aussi, si on les rapporte, ce ne peut être qu’une invention ou une mise-en-scène du grand complot fasciste proliférant toujours, même après 45, depuis le ventre-encore-fécond-de-la-bête-immonde. Les idéologues se foutent complètement de la réalité. Seule importe la perpétuation de leur système de croyances, fût-ce au prix des recours artificiels les plus improbables, comme celui d’un complot fasciste. Et les contributeurs d’ACRIMED sont des idéologues de stricte obédience. Ils voient donc du complot partout et de plus en plus puisqu’il faut bien trouver une explication à la faillite désastreuse, sur le terrain, de l’utopie multiculturaliste. Aussi, quand ils font un article concernant les émissions sur la police, s’étonnent-ils, d’une manière a priori incongrue. « Un propos qui ne soulève aucune réaction du reporter de TV Magazine, sur qui il ne faut pas compter pour demander à Carole Rousseau pourquoi les chaînes de télé ne témoignent pas du même engouement pour les facteurs ou les enseignants, par exemple, auxquels la plupart d’entre nous ont tout de même affaire, plus quotidiennement qu’aux gardiens de la paix. Mais c’est précisément cette banalisation qui pose question, car l’on finit par s’habituer à une programmation télévisuelle qui instille auprès du public, à son insu, une vision sécuritaire de la société. » Le public réclame de l’action, du suspens, de la violence, et il réclame ces éléments autant au cinéma qu’au théâtre, autant dans les fictions que dans les reportages, d’où le fait que les médias privilégient la figure du flic plutôt que celle de l’enseignant ou du facteur ! Derrière ces évidences, ACRIMED renifle un complot.
Le complotiste étonné
Même étonnement absurde dans un autre papier, au sujet des enquêtes de TMC : « On remarquera également la redondance du vocabulaire, la tendance à l’inflation verbale et le goût pour l’hyperbole : les journalistes ne se contentent pas de suivre les policiers ou de tourner à leurs côtés, ils sont “au cœur” de “l’action” ; les héros des reportages ne sont pas de simples fonctionnaires des forces de l’ordre, ce sont des “flics de choc”, “l’unité d’élite la plus secrète”, les “motards de la loi”, “les anges gardiens”, ou mieux “les nouveaux justiciers” de la route, voire “les anges gardiens de la République” ; les lieux où ils interviennent sont systématiquement en “état d’alerte”, “sous haute surveillance”, en “alerte rouge” ‚“sous haute tension”, ou en “état d’urgence” ; et heureusement que “la police veille” car dans “la France des tricheurs”,“les consommateurs [sont] en danger” et “les délinquants volent votre vie” ! ». Nos acrimédiens découvrent la lune, que le spectacle se doit d’être spectaculaire, une audience captivée, un reportage dramatisé et un documentaire pourvu de reliefs, souvent, en effet, assez grossiers. Mais cet étonnement débile, encore une fois, appartient à la rhétorique complotiste, il en est même le levier le plus commun. « Ne trouvez-vous pas étrange, Madame Michu, tous ces Juifs dans les médias, ces Francs-Maçons à l’Assemblée, ces reptiliens au Vatican ? »
Renversement du réel
« Pourquoi le débat intellectuel dans les médias, et la télévision, se voit cadenassé par une petite poignée d’habitués ? » Le complotisme maniaque qui sévit dans ACRIMED permet à ses contributeurs de rédiger de telles phrases qui affirment sans vergogne l’exact contraire de la réalité médiatique française, puisqu’il aurait été juste d’affirmer : « Pourquoi le débat intellectuel dans les médias, et la télévision, n’est décadenassé que par une poignée de réfractaires toujours présentés en minorité ? » Les intellectuels ou journalistes échappant à l’idéologie libérale-libertaire sont quatre ou cinq (Zemmour, Lévy, Finkielkraut, Brunet, Rioufol), ils incarnent souvent à eux seuls face à des assemblées leur étant intégralement hostiles l’opinion très largement majoritaire de tout un pays (sur le refus de l’immigration de masse, par exemple), et c’est encore trop pour ACRIMED, voire, par la magie du tour de passe-passe complotiste, ce sont ces quatre ou cinq réfractaires qui tirent toutes les ficelles et il serait donc nécessaire d’en expurger la sphère médiatique ! Bref, inutile de passer en revue les milliers de papiers pondus sur le site depuis dix ans qui tous illustrent peu ou prou la même chose, on l’aura compris : se fier à des idéologues sectaires, jamais dégrisés de leurs passions totalitaires, obsédés, complotistes et, en définitive, affamés de censure, pour être informé sur le fonctionnement des médias, est pour le moins hasardeux. Préférez l’OJIM…