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[Rediffusion] Analyse de la presse allemande

23 décembre 2016

Temps de lecture : 10 minutes
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[Rediffusion] Analyse de la presse allemande

Temps de lecture : 10 minutes

Dossier. L’inébranlable identité bavaroise fait pièce aux dérives mondialistes… dans une région par ailleurs très bien intégrée globalement. La Bavière est, à l’inverse du Mecklembourg-Poméranie Occidentale, sans doute la région la plus connue d’Allemagne. C’est sans doute aussi paradoxalement la plus incomprise, tant les symboles de son identité sont devenus ceux de l’Allemagne aux yeux du monde entier. Alors qu’ils sont justement ceux d’un particularisme prononcé.

L’histoire et la cul­ture d’une nation naturelle sont inscrites dans la géo­gra­phie. La Bav­ière, c’est avant tout le bassin du Danube et de ses afflu­ents, cet immense fleuve européen qui se jette dans la Mer Noire. Cette influ­ence ori­en­tale est pro­fonde. Elle ne relie pour­tant pas la Bav­ière à l’Est polon­ais ou russe, mais à l’Europe Cen­trale et du Sud-Est voire à la Méditer­ranée ori­en­tale. C’est de là que sont venues les prin­ci­pales vagues de peu­ple­ment ancien des peu­ples indo-européens. La Bav­ière est bien plus anci­enne que l’Allemagne : le Roy­aume de Ger­manie, cet embry­on d’Allemagne né de la fusion de la Fran­cie Ori­en­tale et de la Lotharingie n’apparaît qu’au Xème siè­cle et l’État alle­mand mod­erne qu’en 1871. L’archéologie a prou­vé que l’espace bavarois actuel était en revanche déjà con­sti­tué en tant que con­fédéra­tion cel­tique homogène dès l’époque de Hall­statt (750 – 450 av. JC., soit 1 500 ans avant l’Allemagne), une cul­ture dont la Bav­ière con­stitue le cen­tre névral­gique avec le Sud alé­manique ger­mano-suisse et autrichien.

Les clans tur­bu­lents issus de l’espace bavarois qui font irrup­tion dans le Nord de l’Italie au IVème siè­cle av. JC pour razz­i­er le pays, jusqu’à piller Rome en 390 av. JC., avant de s’y installer, por­tent déjà le nom de Boïens (Boii), que l’on rap­prochera aisé­ment de l’allemand Baier (les « bœufs »). Cette liai­son avec la Lom­bardie ital­i­enne toute proche (ain­si que la Suisse et l’Autriche qui font la soudure entre ces espaces) est elle aus­si mul­ti­sécu­laire. En témoignent l’intensité des échanges com­mer­ci­aux entre espaces bavarois et lom­bard depuis les temps les plus anciens ; les alliances mat­ri­mo­ni­ales récur­rentes entre Wit­tels­bach au Nord et Vis­con­ti au Sud ; l’exubérance baroque des églis­es catholiques et de l’art archi­tec­tur­al bavarois, large­ment portée par des artistes ital­iens. La ger­man­i­sa­tion de cet espace longtemps qual­i­fié de « gaulois » (comme la Suisse et l’Autriche, qui suiv­ent la même évo­lu­tion) par les Romains est tar­dive (vers 250 – 150 av. JC). Le duché de Bav­ière sera plus tard, avec la Souabe (Alé­manie), la Fran­conie, la Saxe et la Lotharingie, l’un des cinq duchés nationaux du Roy­aume de Ger­manie (quinque nationes reg­ni ger­mani­ci), préex­is­tant à cette Alle­magne (roy­aume tudesque) primitive.

La Bav­ière est farouche­ment catholique. Elle est, sous le duc et prince-électeur Max­im­i­lien Ier, le fer de lance de la Ligue Catholique con­tre-réformiste pen­dant la Guerre de Trente ans (1618 – 1648), aux côtés de l’empereur.

Et la Bav­ière est très jalouse de son indépen­dance et par­tic­u­lar­iste. Men­acée his­torique­ment par la Prusse protes­tante au Nord et l’Autriche, certes catholique mais impéri­ale au Sud, c’est tout naturelle­ment que la Bav­ière s’est tournée très tôt vers la prin­ci­pale puis­sance européenne capa­ble de faire con­tre­poids : la France. Une alliance qui per­dure sur trois siè­cles et qui a lais­sé une pro­fonde fran­cophilie dans cette région. Même la Révo­lu­tion Française ne rompt pas cette alliance française: la Bav­ière réac­tion­naire est LA grande prin­ci­pauté alle­mande à être ren­trée de son plein gré et non con­trainte dans l’alliance avec la France révo­lu­tion­naire puis con­sulaire con­tre la Prusse et l’Autriche. C’est en tant que prin­ci­pale alliée de la France au-delà du Rhin qu’elle est envahie par l’armée autrichi­enne en 1805. Et c’est au sec­ours de l’allié bavarois que vole la Grande Armée dans la cam­pagne con­tre la 3ème coali­tion qui mèn­era à la vic­toire d’Ulm (20 octo­bre 1805) en atten­dant Austerlitz.

C’est avec regret que l’extravagant Louis II (1864 – 1886) s’est vu con­traint d’accepter l’intégration de son roy­aume dans l’empire alle­mand en 1866 – 1871. La Bav­ière a cepen­dant con­servé jusqu’à aujourd’hui une large autonomie, sauf pen­dant la péri­ode nazie jacobine (1935 – 1945). C’est un des deux Freis­taat (« État libre ») alle­mands avec la Saxe.

Rares sont les régions d’Europe ayant une entité aus­si affir­mée au quo­ti­di­en : il n’est pas rare de voir en Bav­ière des hommes porter la culotte de cuir tra­di­tion­nelle dans la rue, même en ville ; les Bavarois met­tent un point d’honneur à par­ler l’allemand avec un accent incon­fond­able et on y enten­dra sou­vent par­ler bavarois, y com­pris occa­sion­nelle­ment dans les assem­blées générales et aux con­seils d’administration de BMW ou au par­lement muni­chois ; les fêtes célébrant la joie de vivre et l’exubérance bavarois­es, comme l’Okto­ber­fest, ont acquis une répu­ta­tion mon­di­ale. La Bav­ière a la répu­ta­tion d’un Schlaraf­fen­land, un Pays de Cocagne. Ses lacs mag­nifiques pren­nent, dans les étés chauds, des airs et des par­fums de mers du sud ; le plateau bavarois, les Préalpes et les Alpes offrent des paysages grandios­es d’une beauté à couper le souf­fle. La Bav­ière, c’est un peu le Midi de l’Allemagne…

Mais il y a plus encore : l’absence de char­bon et de fer dans son sous-sol a épargné au pays les affres des crises char­bon­nières et sidérurgiques dans les années 70. L’économie bavaroise, car­ac­térisée par un mix idéal de grands groupes d’envergure mon­di­ale et de nom­breuses PME-PMI, fait de cet État fédéré le plus riche d’Allemagne. La ges­tion libérale et ultra-con­ser­va­trice du CSU en a fait un État mod­èle : bud­get équili­bré, faible endet­te­ment, plein emploi et excé­dent com­mer­cial sont tout autant iden­ti­taires que ses églis­es baro­ques. Le bon sens paysan bavarois fait mer­veille face aux pos­tures abstraites d’autres con­trées moins fortunées.

Les Chrétiens-Sociaux bavarois à la manœuvre sur la question migratoire face aux Chrétiens-Démocrates après la percée de l’AfD à l’Est : la presse allemande s’interroge

Les vel­léités indépen­dan­tistes bavarois­es, encore réelles dans l’Entre deux guer­res, ont com­plète­ment dis­paru aujourd’hui. Les raisons sont sim­ples : la poli­tique fédérale ne peut pass­er out­re les avis bavarois. Après la guerre en effet, le par­ti auton­o­miste du Bay­erische Volkspartei (Par­ti Pop­u­laire Bavarois) a fusion­né avec le Katholis­ches Zen­trum (le Cen­tre Catholique issu du Kul­turkampf soit la « guerre cul­turelle » = con­flit poli­tique entre l’Église Catholique et le Reich wil­helminien entre 1871 et 1887) en con­sti­tu­ant la CSU (Christlich-Soziale Union, Union Chré­ti­enne-Sociale). Bien plus con­ser­va­teur que la CDU (Christlich-Demokratis­che Union, Union Chré­ti­enne-Démoc­rate), ce par­ti a refusé toute fusion CSU-CDU. Fidèle à l’esprit du pays, il a tenu à main­tenir l’exception bavaroise intacte.

Les con­séquences pour les poli­tiques menées par la droite alle­mande après 1949 sont con­sid­érables : la CDU ne peut générale­ment con­stituer de majorité au Par­lement Fédéral, le Bun­destag, et au Con­seil Fédéral, le Bun­desrat, qu’avec l’appui des élus CSU bavarois. Et ces don­neurs de majorité ne se privent pas de ce priv­ilège pour peser de tout leur poids sur la poli­tique fédérale dès lors que la droite est au pouvoir.

C’est dans ce con­texte que l’on mesur­era l’importance que prend, pour la poli­tique alle­mande glob­ale, un doc­u­ment d’orientation poli­tique de principe que le chef de la CSU, Horst See­hofer, vient de présen­ter publique­ment aux instances dirigeantes de son par­ti. Un véri­ta­ble brûlot analysé par les grands médias allemands.

Des réformes fondamentales de la politique migratoire, « compatibles AfD »

De quoi s’agit-il ? D’un change­ment rad­i­cal de la poli­tique migra­toire alle­mande visant à réguler cette dernière aux plans quan­ti­tatif et qual­i­tatif. Ça n’est pas tout à fait la grille de critères inspirée du Cana­da et de l’Australie voulue par l’AfD, mais ça s’en rap­proche forte­ment. « Ça n’est pas à nous de nous adapter aux nou­veaux venus, c’est à eux de se con­former à nos règles » déclare Seehofer.

L’hebdomadaire Spiegel et le Süd­deutsche Zeitung (SZ), l’un des trois grands quo­ti­di­ens alle­mand, résu­ment le con­tenu de ce doc­u­ment explosif comme suit dans leur édi­tion du 8 sep­tem­bre dernier :

Élé­ments quantitatifs :

  • Lim­i­ta­tion quan­ti­ta­tive de l’immigration à 200 000 per­son­nes par an. Et recon­duc­tion con­séquente à la fron­tière de tous ceux qui ont été déboutés du droit d’asile. Les fron­tières doivent être à nou­veau con­trôlées.

Élé­ments qualitatifs :

  • Inter­dic­tion de la burqa et autres « uni­formes de l’islamisme » (See­hofer, Süd­deutsche Zeitung (SZ) 08/09/2016). Et celles qui refuseraient de se con­former à cette règle ne seraient pas men­acées de vagues amendes comme en France : elles devront faire face à une expul­sion pure et simple.
  • Pas de libéral­i­sa­tion des visas avec la Turquie: l’évolution de la Turquie éloigne de plus en plus ce pays des valeurs démoc­ra­tiques. Munich ne croit pas non plus à la sincérité de ce pays quant à sa volon­té de couper la route des Balkans.
  • Abo­li­tion de la dou­ble nation­al­ité: la CSU ne veut plus de nat­u­ral­i­sa­tion automa­tique des enfants d’immigrés à leur majorité. Ceux qui veu­lent devenir Alle­mands doivent en faire la demande. Et renon­cer à toute autre allégeance.
  • Plus de déro­ga­tion à l’égalité de traite­ment de tous : donc, plus de voile dans le ser­vice pub­lic ou les tri­bunaux alle­mands, plus d’horaires séparés pour les musul­manes dans les piscines, plus de déro­ga­tion aux cours de sport pour les filles etc.

L’abandon de la notion de « Mul­ti­kul­ti » (mul­ti­cul­tur­al­isme) pour celle de « Leitkul­tur » (cul­ture direc­trice) : la CSU ne veut plus enten­dre par­ler de société à la carte. « L’Allemagne doit rester l’Allemagne », un pays « de tra­di­tion occi­den­tale et chré­ti­enne ». Fini le « Mul­ti­kul­ti » (mul­ti­cul­tur­al­isme), le mot d’ordre devient désor­mais celui de « Leitkul­tur » (cul­ture direc­trice). Une révo­lu­tion ! « La Leitkul­tur est le con­traire du Mul­ti­kul­ti » souligne le doc­u­ment de la CSU. Tous les nou­veaux venus doivent accepter et se pli­er à la cul­ture dom­i­nante ou renon­cer à venir vivre en Alle­magne. Autre con­séquence : « (L’Allemagne) doit don­ner à l’avenir la pri­or­ité à une immi­gra­tion d’origine européenne et chré­ti­enne ». L’immigration illé­gale doit être rigoureuse­ment rejetée… et l’immigration afro-musul­mane stricte­ment lim­itée à ceux qui acceptent pleine­ment les valeurs allemandes.

Les propo­si­tions de la CSU ont bien enten­du sus­cité l’ire de la gauche: « La CSU présente un pla­giat du pro­gramme de l’AfD » titre le Süd­deutsche Zeitung (SZ) le 08/09/2016. Ce qui sépare désor­mais la CSU d’un par­ti pop­uliste de style AfD « n’est plus qu’une mince couche de glace » ; « Les xéno­phobes et les islam­o­phobes trou­veront à boire et à manger dans le papi­er de la CSU » ; « Les propo­si­tions de la CSU ren­for­cent la thèse que l’Allemagne fait face à une inva­sion » ; et d’ironiser sur les restric­tions cul­turelles voulues par la CSU : « Culotte de cuir : oui – Voile : non » (Süd­deutsche Zeitung (SZ), 08/09/2016) — un des trois grands quo­ti­di­ens de ten­dance social-démoc­rate. Quant au Zeit (grand heb­do­madaire alle­mand ouverte­ment social-démoc­rate), il par­le car­ré­ment, le 08/09/2016, « d’Orbánisation de la CSU » et trou­ve « des accents inquié­tants » au texte de See­hofer. Et de car­i­ca­tur­er les propo­si­tions de la CSU en ces ter­mes « (pour la CSU) la reli­gion doit rem­plac­er la qual­i­fi­ca­tion » — ce que n’a assuré­ment jamais dit la CSU, out­re le fait que plus de 90% des migrants récents ne pos­sé­dait juste­ment aucune qualification…

Nul doute que les propo­si­tions du par­ti de See­hofer vont soulever des vagues à la CDU. Merkel, qui a jusqu’à présent refusé de chang­er vrai­ment de cap dans sa poli­tique migra­toire, pour­rait devoir faire face à une fronde interne, voire même céder la place à d’autres dirigeants plus sou­ples en cas de pour­suite de l’écroulement de la CDU à l’Est. Le SPD, para­doxale­ment, a pris lui aus­si ses dis­tances vis-à-vis de la poli­tique migra­toire de la chancelière : « Merkel a com­mis des erreurs déci­sives » a déclaré la Secré­taire Générale du par­ti social-démoc­rate, Kata­ri­na Bar­ley, au Frank­furter All­ge­meine Zeitung (FAZ) le 8 sep­tem­bre dernier. Une poli­tique qu’il a vive­ment cri­tiquée sans toute­fois oser émet­tre de con­tre-propo­si­tions « pop­ulistes ». La CSU reste certes séparée de l’AfD sur la ques­tion de l’euroscepticisme et les jeux sont très ouverts. Mais comme nous l’avons analysé via les médias dans de précé­dents arti­cles, les lignes bougent en Allemagne.

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