L’attaque de Nice n’aura pas échappé à la règle. Comme après chaque attentat, les chaînes d’information en continu et les autres médias ont reproduit un schéma désormais habituel : on commence par rater la couverture de l’événement, on continue en passant à côté des conclusions à tirer, puis on termine en beauté par la désignation du coupable idéal.
Ne retenant aucune leçon du passé, alors que dans la France de 2016, les attentats sont devenus une occasion fréquente de redorer ses statistiques d’audience, nos médias continuent à s’enfermer dans une idéologie coupée du réel qu’ils sont censés couvrir…
Phase 1 : rater son direct
S’il y a bien une chose que la plupart des téléspectateurs retiendront de cette triste nuit du 14 juillet, c’est que l’épisode « attentat terroriste » a commencé par un beau feu d’artifice. Bien que cela soit assez paradoxal, c’est en effet sous la forme de simples bandeaux diffusés sous les images du feu d’artifice de Paris que les téléspectateurs de BFMTV et i>Télé ont appris la nouvelle. L’information en continu nous a ainsi offert, le temps de longues minutes, cette scène surréaliste où l’on annonce un attentat et des morts dans un décor de fête avec Björk en fond sonore. Un décalage qui a indigné de nombreux internautes alors que l’ampleur de l’attaque était déjà largement connue sur les réseaux sociaux.
#Nice attentats présumés et #itele et #bfm sen foutent et continuent à diffuser malgré un bandeau le feu d’artifice! pic.twitter.com/8rQnryLslk
— Eşref (@yeftale) 14 juillet 2016
Vers 1 heure du matin, lorsque les chaînes d’information en continu ont pu appeler leurs « experts » en terrorisme et que TF1 est passé en mode direct (retransmission de sa filiale LCI), les choses sérieuses ont commencé. Dans la panique, de nombreux médias ne se sont pas gênés pour diffuser des photos trash montrant des corps. Sans aucun doute la chaîne la plus engagée dans cette voie lors de cette soirée, France 2 est allée jusqu’à interviewer un témoin… juste à côté du cadavre de son épouse fauchée par le camion.
Shocking interview to survivor just by a dead body on France2. We are getting accustomed to brutality, breathless pic.twitter.com/zauiDi1tsH
— Tancredi Palmeri (@tancredipalmeri) 14 juillet 2016
Dans un communiqué, la chaîne publique s’est bien vite excusée de cette bourde. Pour le groupe, ces images brutales « n’ont pas été vérifiées selon les usages ». France 2 reconnaît « une erreur de jugement » et jure que « la diffusion de ce type d’images ne correspond pas à la conception de l’information des journalistes des équipes et de l’entreprise ». De son côté, Slate.fr s’interroge sur le caractère peu déontologique consistant à interroger des personnes en état de choc. Dans ce genre de situation, c’est en effet « au journaliste de décider de ne pas faire cette interview ».
Aussi, France 2 a été critiquée pour s’être lancée, avec TF1/LCI, dans une course à qui diffusera le plus, et le mieux, l’image du camion blanc en train de rouler sur la promenade des Anglais. Comble de l’info-spectacle, France 2 s’est vanté de diffuser la vidéo « au ralenti », histoire que les téléspectateurs puissent bien voir les détails… Une vidéo dont la chaîne elle-même ignore par ailleurs la source. « Alors que les comptes des forces publiques comme Place Beauvau nous enjoignaient, à nous internautes, de cesser de diffuser des images du massacre, France 2 contrevenait à toutes ces demandes », déplore Slate.fr.
Concernant LCI, la chaîne du groupe TF1 a carrément diffusé des rumeurs sans aucune vérification ni même précision. Sur les réseaux sociaux, après le drame, des rumeurs de prise d’otage dans un restaurant ont commencé à circuler. Alors que BFM TV et I‑Télé se sont bien gardées d’en faire état, faute de sources suffisantes, LCI l’a mentionné en direct sans jamais précisé qu’il s’agissait d’une rumeur totalement infondée. Dans cette soirée, « la palme de l’horreur revient à France 2. La palme de la rumeur à LCI/TF1 », conclut Slate. Enfin, pour dire un mot de BFM TV, on peut mentionner cette publication indécente partagée sur les réseaux sociaux. On peut y lire : « Oui je suis au courant, je regarde BFM TV. » Une manière assez odieuse de faire sa promotion sur des corps encore chauds…
#Nice06 Indécence de #BFM qui à 01h20 fait sa #pub sur facebook alors que les cadavres sont encore chauds. pic.twitter.com/RrhaYzY9XT
— Napoléon (@tprincedelamour) 14 juillet 2016
Suite à ces nombreux débordements, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a rappelé les chaînes à l’ordre, les invitant à « la prudence et la retenue, protectrices de la dignité humaine et de la douleur des personnes ».
Phase 2 : couvrir le coupable
Une fois le stade de la couverture en direct passé est venu le moment des analyses à chaud. Tout d’abord, les médias ont excessivement tardé à parler d’acte « terroriste ». Alors que la date était ô combien symbolique et que le mode opératoire ne laissait que peu de doutes, il aura fallu attendre un long moment avant que la piste islamiste, qui sautait aux yeux, soit à peine prononcée du bout des lèvres. Illustration parfaite, jusqu’au grotesque, de cette prudence inhabituelle en d’autres circonstances : le jusqu’au-boutisme d’Alain Marschall. Sur BFM TV, le journaliste a osé déclarer, sans crainte du ridicule : « J’ai l’impression qu’on a plutôt affaire à un déséquilibré, (…) un type qui était ultra-mal dans sa peau. » Et celui-ci d’ajouter, très sérieusement : « Je ne vois pas Daech là-dedans, très franchement. » 10 minutes plus tard, sa propre chaîne annonçait la revendication de l’État islamique. La vidéo vaut le détour :
Autre exemple : ce journaliste d’Europe 1 qui, face à Florian Philippot, a catégoriquement refusé de « faire le lien » entre l’attaque et l’islamisme.
Comme toujours, les journalistes ont rapidement été rattrapés par les faits, implacables. Face à cette impasse, il fallait bien trouver une échappatoire pour continuer à nier sans trop se ridiculiser. Dès lors, il a été question d’insister sur le profil de certaines victimes d’origine arabe. Évidemment, un tueur arabe ne tuerait pas des coreligionnaires ! La preuve, c’est « Fatima » qui est « tombée la première », nous dit Nice-Matin (repris par Le Parisien, le Huffington Post, Closer, L’Express…). Cette mère marocaine de 7 enfants était « forte, debout », et surtout, elle « pratiquait le vrai islam ». Après une soupe émotionnelle de plusieurs lignes, Nice-Matin nous parle d’une autre soupe : celle servie par la Fédération des musulmans du Sud aux sans-abris…
De leur côté, France 3 et FranceTVinfo insistent également sur Fatima, « première victime du tueur ». De façon subliminale, il est question de montrer que les premières victimes du terrorisme ne sont pas les Français mais les musulmans eux-mêmes. Ce qui peut être vrai à l’international finit, concernant la France, par tourner à la propagande grossière.
En première ligne, et de loin, dans ce travail consistant à supprimer tout lien entre l’attentat et l’islam, Libération n’a pas lésiné sur les moyens. Dans une tribune publiée sur leur site, un intellectuel « maroco-néerlandais » estime que c’est « cette médiocrité du Mal qu’il faut analyser au lieu de crier au calife comme on crie au loup ». Pour lui, « l’islam n’est qu’un prétexte » et il est ainsi « inutile de se focaliser sur la question religieuse ». Il est vrai que les actes de terrorisme de masse concernent aussi souvent des musulmans que des catholiques criant « Doux Jésus », crucifix à la main…
Servilement alignés sur les déclarations du gouvernement, les médias se sont ainsi évertués, durant plusieurs jours, à protéger l’islam, innocent par nature. Inlassablement, ces derniers ont répété que le tunisien auteur de l’attentat de Nice mangeait du porc, ne faisait pas le ramadan, buvait, se droguait… il n’était pas un pratiquant parfait, donc l’islam est hors de cause. Pour Jean-Patrick Grumberg, sur Dreuz.info, « même si son mode de vie éloigne Bouhlel de l’islamiste typique, cela ne contredit absolument pas que l’efficacité de l’État islamique est de faire commettre des attentats par des groupes ou des individus avec lesquels il n’a jamais été en contact, et n’a donc jamais participé à l’organisation des attentats, ni logistiquement, ni financièrement, ni tactiquement ».
Mais l’évidence est trop difficile à accepter, et on préférera dès lors parler de « déséquilibré » ayant vécu un divorce difficile. Rien de terroriste là-dedans. D’ailleurs, le 20 avril 2016, France Télévisions ne nous avait-il pas avertis sur le profil-type du terroriste ? Pour le groupe public, un terroriste est un homme portant un béret appelant à « libérer le cassoulet ».
Attention, travail journalistique sérieux :
Phase 3 : bien choisir son bouc-émissaire
Mais alors, si le terrorisme n’a rien à voir avec l’islam, qui est le vrai coupable ? L’extrême-droite, bien-sûr ! Grâce à ses « envoyés spéciaux » à Nice, Libération a pu interroger la communauté musulmane qui « redoute les effets pervers du 14 juillet » dans cette ville qui compte de nombreux « groupes identitaires ». Aujourd’hui, ces braves gens dont la religion n’a rien à voir avec les précédents attentats craignent d’être « montrés du doigt ». Pour les musulmans, « ça va être un handicap de plus pour trouver du travail », confie un témoin interrogé.
Pire : il n’y a « pas si longtemps », une copine de la mère du tueur s’est faite « agresser » par un groupe de jeunes dans le tramway. Elle transportait un gâteau d’anniversaire et « ils lui ont demandé si c’était une bombe et ont mis le gâteau en bouillie ». Tout s’explique ! Pour L’Humanité, même son de cloche : « l’attentat de Nice, la nationalité présumée du tueur, la situation politique, niçoise et nationale, fournissent à la droite extrême un prétexte à préciser ses propositions, amalgamant immigration, terrorisme et identité. » Et le quotidien communiste de dénoncer « la récupération politique de l’attentat de Nice par l’extrême droite » et Marine Le Pen. Ses torts ? Proposer des mesures pour lutter contre le terrorisme et l’islam radical. Quel toupet ! On pensait que seules les bougies et les fleurs étaient efficaces pour faire reculer Daech.
Toujours dans Libération, Jean-Yves Camus craint « une réplique de l’ultradroite » plus que l’organisation de nouveaux attentats. Quid des victimes de l’islam radical, dont la liste s’allonge toujours plus au fil des mois ? Elles sont apparemment déjà oubliées. Désormais, tous les projecteurs de la presse bien-pensante sont tournés vers la « communauté musulmane », première victime de ce drame, et vers la méchante « extrême-droite » qui n’a pourtant tué personne… Et le politologue de citer l’exemple d’interpellations récentes de « skinhead néonazis » à Marseille, qui présentent « une certaine dangerosité, notamment en matière d’atteinte aux biens et aux personnes »… Définitivement, l’extrême-droite est LE défi à venir pour « les groupes de renseignement ». Les terroristes, les vrais, peuvent continuer leurs petites affaires tranquillement.
Le plus urgent, pour nos médias, c’est cette « parole raciste qui se libère » (Le Parisien). Face au carnage du 14 juillet, de nombreux niçois expriment leur ras-le-bol par des mots très durs à l’encontre de l’immigration de masse imposée à la France depuis des décennies. Pour Le Parisien, comme pour d’autres, cela ne peut être que l’expression d’un racisme latent, maladif. Heureusement, le quotidien a trouvé « Sylvie » pour venir conclure son article sur une note d’espoir : « Ce que je retiens, moi, c’est que des innocents regardaient le ciel pendant le feu d’artifice et qu’ensuite ils sont montés au ciel à cause d’un humain pire qu’une bête. »
À n’en pas douter, nos médias ont, depuis le 7 janvier 2015 et le massacre de Charlie Hebdo, mis en place une mécanique aujourd’hui bien rodée. L’indécence d’abord, course à l’audience oblige, la manipulation ensuite, pour terminer avec la propagande pure et simple. Une mécanique aussi malhonnête que coupée du réel qui, si le train des événements continue ainsi sa route, ne fonctionnera plus pour très longtemps.