[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 29/05/2017]
Fort d’un lectorat mensuel de 45 millions de personnes, d’accointances éclectiques, et d’une approche quasi-trotskiste qui désarme, l’iconoclaste Breitbart est devenu un acteur incontournable de la médiasphère, comme de la politique américaine. Breitbart « a fait » Trump, et représente son système immunitaire.
Breitbart News Network « Créé aux États-Unis, conçu en Israël » (Larry Solov)
La droite radicale américaine a su propulser un site distinct des sites conservateurs pro-républicains, un site qui promeut une vision du monde « révolutionnaire », et non le soutien à un parti ou une église. Breitbart News Network a été fondé en 2007, avec un objectif clair : le renversement des idoles dans un monde en crise. Tout a commencé à Jérusalem. Andrew Breitbart, déjà actif dans les « nouveaux médias » américains, y faisait une tournée de relations publiques. Il y rencontra l’avocat d’affaires américain Larry Solov (aujourd’hui président de Breitbart News). Andrew Breitbart lui demanda de l’aider « à changer le monde ».
Andrew Breitbart (1969–2012) après une période gauchiste avait suivi le parcours du combattant du journalisme libre, au sein de sites d’information conservateurs (Drudge Report, Washington Times), actif dans de nombreux talk-shows. Il lança de nouveaux concepts pour son amie Arianna Huffington, dont le prototype du Huffington Post. Ce fut lui qui déclencha le (premier) scandale portant sur les SMS à caractère sexuel d’Anthony Wiener (l’époux d’Huma Abedin collaboratrice d’Hillary Clinton, aujourd’hui plaidant coupable dans une deuxième affaire identique). Et il fut au cœur de la mise au pilori de l’Association of Community Organizations for Reform Now (ACORN), une bureaucratie caritative qui fit faillite après le retrait des financements gouvernementaux, suite à de multiples controverses financières. La méthode pitbull contre les tabous.
Adopté, Andrew Breitbart a été élevé dans un foyer juif de Los Angeles. À sa mort soudaine (causée par une brutale insuffisance cardiaque), le Jerusalem Post rappelait la ferveur de son engagement au service d’Israël, citant entre autres Joel B. Pollak (actuel rédacteur en chef de Breitbart News) : « On n’aurait pu rencontrer meilleur Juif ou être humain que lui, qui créait les opportunités chez ceux en lesquels il voyait l’étincelle… ce que Maïmonide nommait la plus haute forme de charité ». L’étincelle lui est venue en 1991 (« son épiphanie ») au moment des débats houleux sur la nomination du juge conservateur noir Clarence Thomas à la cour suprême. Andrew Breitbart passait désormais du gauchisme à la droite libertaire, s’engageant dans le reaganisme.
Steve Bannon, idéologue de synthèse
Solov et Pollak sont toujours là, canalisant, avec Breitbart News un marché original agrégeant sionisme, populisme et nouvelle droite alternative. Ce prolongement libertaire avait besoin d’un idéologue de synthèse. Ce fut Steven Bannon, co-fondateur et troisième terme de la « trinité » Breitbart. Bannon, ancien officier de marine (avec un bref passage au Pentagone), a eu une riche carrière dans la finance (fusions et acquisitions), d’abord chez Goldman Sachs (New York, Los Angeles), puis au sein de sa propre firme (Bannon & co).
Bannon & co a ainsi pu réaliser des transactions lucratives (ex : la vente, pour le compte de Westinghouse Electric, de Castle Rock Entertainment à CNN, alors contrôlée par Turner). Roué, Bannon ne s’était pas fait payer en honoraires mais en royalties sur cinq émissions. La Société Générale a racheté cette rente à Bannon & co en 1998 (toutefois, Bannon continue toujours de percevoir des droits sur le show légendaire Seinfeld).
C’est donc dans les médias et le divertissement que Bannon s’est affirmé. Avec la télévision d’abord (et la musique), au sein d’un partenariat avec Jeff Kwatinetz (dans la société de production et de talents The Firm inc). Et dans le cinéma : investissant non seulement dans des projets commerciaux hollywoodiens traditionnels (par exemple The Indian Runner, avec Sean Penn, ou Titus, avec Anthony Hopkin), il a également su rendre profitable le documentaire politique, avec plusieurs productions (In The Face of Evil; Fire From The Heartland : The Awakening of The Conservative Woman; etc.). Cela le conduisit à faire connaissance avec le dirigeant du Government Accountability Institute (GAI), l’écrivain politique et producteur à succès Peter Schweitzer (Reagan Wars, Clinton Cash) et surtout, en 2004, avec Andrew Breitbart…
Une préoccupation majeure : le radicalisme islamiste
Le 3 février 2017, le Washington Post rappelait que le dernier projet filmographique de Bannon (Destroying the Great Satan: The Rise of Islamic Fascism in America), écrit en 2007 mais inachevé (création de Breitbart News), avait pour objet de dénoncer le risque de voir les États-Unis se muer en État Islamique. Le Washington Post précisait : « Le scénario décrit la façon dont Bannon – des années avant de devenir le stratège du Président Trump […] — tentait de lancer un avertissement sur la menace posée par les musulmans radicaux et “leurs facilitateurs parmi nous”…Car, bien qu’animées des meilleures intentions, des institutions telles que les medias, la communauté Juive, et les agences gouvernementales en étaient à apaiser les djihadistes de peur de les voir créer une république islamique ». Puis le quotidien expliquait : « L’ébauche de huit pages… propose un film en trois parties, retraçant “la culture de l’intolérance” soutenue par la charia, examinant la “cinquième colonne” constituée par le paravent des “associations Islamiques”, puis identifiant les facilitateurs américains pavant “le chemin sur terre de cet unique enfer”»
Une vision « européenne » de l’Histoire
Le Breitbart News Network a ainsi fusionné plusieurs courants précédemment cloisonnés, grâce à un adversaire fédérateur : le djihadisme. Breitbart s’est voulu organe de presse « révolutionnaire », et non protestataire, intégrant la panoplie des méthodes de contre-attaque de l’agitprop marxiste. De fait, Bannon a été à plusieurs fois cité sur son léninisme, son désir de renverser et détruire l’establishment. De là à conclure qu’il est un agent du KGB…
À moins qu’il ne soit agent mussolinien : le 10 février 2017, le New York Times lançait l’alerte, révélant que lors de sa dernière visite au Vatican, Steve Bannon avait invoqué un penseur italien « qui inspira les fascistes ». Le journal précisant: « Ceux qui tentent de saisir les racines de la sombre vision du monde, parfois apocalyptique, de Stephen Bannon, passent et repassent au crible […] son discours de 2014 au Vatican où il s’est étendu sur l’Islam, le populisme, et le capitalisme. Or […] une allusion faite en passant par M. Bannon à un philosophe ésotérique Italien, a été bien peu remarquée, à l’exception peut-être de ceux des lettrés qui suivent le penseur Julius Evola, profondément tabou et affilié au nazisme ».
Le journaliste précisait toutefois : « Bannon… est un lecteur avide et éclectique. Il a parlé éloquemment de l’Art de la guerre de Sun Tzu, ou encore du Fourth Turning de William Strauss et Neil Howe, qui voient l’histoire en cycles de changement cataclysmique et de renversements de l’ordre établi. Sa référence à Evola est un reflet de ces lectures… ».
Le contre-feu des frontières ouvertes
Devenu conseiller stratégique du président Trump, Bannon est le mouton noir, car il est un vrai stratège appliqué. Josua Green (Bloomberg Business week), avait d’ailleurs bien compris la stratégie Bannon-Solov dès le 18 octobre 2015, dans un excellent article prémonitoire : « The New Vast Right-Wing Conspirator Wants to Take Out Both Clinton and Bush ».
Breitbart News est efficace. Son rédacteur en chef, Joel B. Pollak, a été considéré par ses pairs comme l’un des plus grands agents d’influence de l’année (2016). Il est également l’auteur d’un livre expliquant la victoire de Trump : « How Trump Won: The Inside Story of a Revolution ».
On ne peut ignorer un autre contributeur : David Horovitz, créateur (entre autres) du groupe de réflexion Freedom Center, et auteur du livre « Big Agenda : President’s Trump plan to save America ». Né de parents communistes (Communist Party USA), gauchiste activiste jusqu’à la fin des années 70, il a viré à la droite insurgée, et cible l’islamisme radical autant que George Soros (From Shadow Party To Shadow Government : The effort of George Soros To Change America).
Dramaturgie et gestion des contradictions
La méthode d’Andrew Breitbart reposait sur la dramaturgie, avec une scénographie, des rythmes, selon lesquels s’affrontent bons et mauvais, pour produire un sens, de l’information adaptée aux besoins de la cible comme aux évolutions structurelles de la société. Il ne s’agissait pas d’ahurir le public, mais de le réveiller, lui offrant carte et compas. Bannon, Solos, Polak ont ainsi mis en scène une victoire électorale : soixante-deux millions d’américains ont élu Trump, là où il fallait… avec 3 millions de voix de moins.
Une méthode faite pour rayonner, en Grande Bretagne (Breitbart London) et en Israël (Breitbart Jerusalem). À Londres c’est Raheem Kassam, proche de Nigel Farage, qui est à la manœuvre, décodant le déroulement du « drame » de l’islamisme, ou celui de l’implosion de l’atlantisme. À Jérusalem, c’est Aaron Klein qui aiguillonne et alerte les européens en matière de résistance au terrorisme.
Du conflit polémologique au billard à trois bandes
D’où vient l’argent ? Le MediaMatters proche de Soros le dit dans un réquisitoire bien structuré. La famille Mercer a fait de gros investissements dans l’affaire (plus de 10 millions de dollars). Il y aurait donc trois groupes d’actionnaires principaux : Larry Solov, Susie Breitbart, et surtout la famille multimillionnaire Mercer.
Or Trump est dans les tranchées. Les républicains du Congrès, intimidés par le « Deep State » n’osent cependant pas encore s’en débarrasser de peur d’une insurrection de leurs électeurs qui pourrait être attisée par Breitbart aux élections parlementaires de 2018. Le « Deep State » a pu obtenir la marginalisation de Steve Bannon dans l’administration Trump, mais pas son éviction. Il faut donc que Breitbart disparaisse : le 7 janvier 2017, le New York Times offrait sa propre version de la campagne de démolition, avec en titre : « Comment détruire le modèle d’affaires de Breitbart et des Fake News ».
La méthode est éprouvée, l’intimidation des annonceurs par des groupes « activistes », subventionnés par les réseaux « caritatifs » gravitant autour de George Soros, tel MediaMatters. Dès le 27 janvier 2017, Breitbart, sous la plume d’Aaron Klein, dénonçait ainsi le plan de MediaMatters visant à stopper Breitbart News. Un plan qui progresse : le 23 mai, le groupe Amazon, l’un des plus grands annonceurs de Breitbart, vient d’être la cible de manifestations coordonnées lors de son assemblée générale des actionnaires afin de couper les vivres publicitaires à Breitbart News.
Certes, mais faire tomber Breitbart (donnée connue) pour faire tomber Trump (donnée connue) équivaudrait à installer un « fondamentaliste » chrétien à la Maison-Blanche (donnée inconnue). L’actuel Vice-président Mike Pence, Robespierre du fondamentalisme chrétien, est peut-être la garantie du statu quo trumpien. Le billard à trois bandes ou plus est un sport compliqué.