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Coalition gouvernementale au Schleswig-Holstein : une presse française trop superficielle

20 août 2017

Temps de lecture : 11 minutes
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Coalition gouvernementale au Schleswig-Holstein : une presse française trop superficielle

Temps de lecture : 11 minutes

[Red­if­fu­sions esti­vales 2017 – arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 31/05/2017]

On comprendra parfaitement que l’élection présidentielle française ait quelque peu occulté aux yeux du grand public les élections au parlement régional du Schleswig-Holstein en Allemagne, qui se sont déroulées le 7 mai dernier. Celles-ci sont pourtant riches en enseignements.

La presse nationale française s’est fait briève­ment l’écho de cette élec­tion : Le Figaro ; Le Monde ; Le Parisien ; Les Échos ; France 24 ; Europe 1. La lec­ture de ces arti­cles ne peut pour­tant que sus­citer un sen­ti­ment mit­igé chez un con­nais­seur de la langue, de la cul­ture, de l’histoire et de la poli­tique alle­man­des. Les ténors de la presse nationale française ne font-ils appel qu’à des jour­nal­istes dilet­tantes ? Ou les papiers de ces derniers sont-ils seule­ment biaisés par le poli­tique­ment cor­rect ? Voilà de quoi inter­roger sur le décrochage qual­i­tatif de la presse française par rap­port à cer­tains de ses homo­logues d’Europe du Nord et du monde anglo-saxon.

On ne peut en effet qu’être frap­pé par quelques traits com­muns à tous ces articles :

  • leur car­ac­tère trop suc­cinct, voire superficiel ;
  • quelques inex­ac­ti­tudes ou tout au moins des absences de nuances ;
  • une absence qua­si com­plète de réflex­ion en pro­fondeur et de mise en per­spec­tive de ladite élec­tion sur la poli­tique alle­mande en général.

La teneur des arti­cles parus en France est en effet sen­si­ble­ment la même :

  • nette vic­toire de la CDU qui rem­porte cette région ;
  • un SPD (dont c’était un des fiefs) en fort recul ;
  • un échec de l’AfD (Les Échos : « Le scrutin de ce dimanche con­tient une autre vic­toire pour la chancelière avec la faible per­for­mance d’Alternative pour l’Allemagne. Le par­ti pop­uliste dépasse certes tout juste la barre des 5% et entre ain­si dans un nou­veau par­lement région­al en Alle­magne mais les scores de plus de 10% affichés l’année dernière dans plusieurs élec­tions régionales parais­sent loin.»).

Tout cela est glob­ale­ment juste à pre­mière vue, mais de façon assez super­fi­cielle. La sit­u­a­tion issue de cette élec­tion est net­te­ment plus com­plexe et délicate.

Les chiffres

Voici en effet les résul­tats effectifs :

Par­ti politique Résul­tats Évo­lu­tion
Ancien score Nou­veau score
CDU (chré­tiens-démoc­rates) 30,8% 32% +1,2%
SPD (soci­aux-démoc­rates) 30,4% 27,2% -3,2%
Verts 13,2% 12,9% -0,3%
FDP (libéraux) 8,2% 11,5% +3,3%
AfD - 5,9% +5,9%
Linke (gauche radicale) 2,3% 3,8% +1,5%
SSW (par­ti de la minorité danoise) 4,6% 3,3% -1,3%
Pirates 8,2% 1,2% -7%
Autres divers 2,3% 2,2% -0,1%

Avant de com­menter ces chiffres, il con­vient d’abord de rap­pel­er que cette région était aupar­a­vant gou­vernée par une coali­tion désignée par le terme de Küstenkoali­tion (Coali­tion côtière) ou encore Ampelkoali­tion (coali­tion feu tri­col­ore). Cette dernière com­pre­nait le SPD, les Verts et le SSW (par­ti des minorités danoise et frisonne, région­al­iste, gauchiste nordique, écol­o­giste et mul­ti­cul­tur­al­iste). Ce dernier par­ti est excep­tion­nelle­ment dis­pen­sé de la barre des 5% pour être représen­té au Par­lement. L’Allemagne démoc­ra­tique est en effet très respectueuse des minorités eth­no­lin­guis­tiques, con­traire­ment à la France jacobine. Ensem­ble, ces par­tis coal­isés réu­nis­saient 48,2% des voix mais, grâce à l’élimination des par­tis n’ayant pas franchi la barre des 5% et à la répar­ti­tion des voix de ces derniers au pro­ra­ta des résul­tats des par­tis qual­i­fiés pour le Par­lement, total­i­saient tout juste 35 députés sur 69, soit une majorité courte d’une seule voix, mais tout de même une majorité absolue, poli­tique­ment cohérente, qui pou­vait en out­re béné­fici­er du sou­tien de petits par­tis au cas par cas.

Par con­séquent un gou­verne­ment région­al en mesure de gou­vern­er. Or c’est juste­ment l’une des con­clu­sions frap­pantes de ces élec­tions, com­plète­ment man­quée par la presse française : la mise sur pied de la future coali­tion va s’avérer un exer­ci­ce aus­si ardu que périlleux, et l’avenir de cette dernière, quelle qu’elle soit, sera a pri­ori très incertain.

L’AfD au parlement régional den Kiel : un chien dans un jeu de quille

Le pre­mier résul­tat con­stat­able est effec­tive­ment le désaveu de la coali­tion au gou­verne­ment. L’ensemble de ses mem­bres a en effet per­du des plumes, essen­tielle­ment le SPD, mais aus­si – certes dans une moin­dre mesure – ses alliés d’hier. Les Verts ont pu se main­tenir dans une région qui regarde comme un mod­èle la poli­tique d’énergie renou­ve­lable menée con­séquem­ment par le Dane­mark voisin.

C’est bien l’ensemble de la droite qui a rem­porté les élec­tions et non la seule CDU qui ne gagne en fait ici qu’un petit point. Car le FDP a remar­quable­ment pro­gressé… mais tout de même aus­si l’AfD, même si elle avait pu espér­er mieux encore !

Le score de l’AfD est en effet trop rapi­de­ment évo­qué par la presse française : il est certes inférieur aux scores de 10% à 20% précédem­ment engrangés, mais engrangés dans d’autres régions. Le cli­vage Est-Ouest (jamais évo­qué par la presse française alors qu’il représente un phénomène struc­turel fon­da­men­tal pour l’évolution poli­tique de l’Allemagne, les idées post-soix­ante-huitardes n’ayant guère d’écho à l’Est) a pour con­séquence que l’AfD engrange des suc­cès bien plus con­sid­érables à l’Est qu’à l’Ouest. Enfin, l’AfD se présente à ces élec­tions pour la pre­mière fois, y obtient tout de même d’un seul coup 5,9% des voix et entre au Par­lement région­al – il serait plus juste de par­ler d’un résul­tat en demi-teinte que d’un échec pur et simple.

Car l’autre phénomène essen­tiel de cette élec­tion absol­u­ment ignoré par la presse française est que l’arrivée de l’AfD au par­lement de Kiel vient boule­vers­er l’équilibre poli­tique dans cette région. Il va en effet être très dif­fi­cile d’y met­tre sur pied une coali­tion viable et surtout capa­ble de met­tre en œuvre une poli­tique couron­née de suc­cès dans cet État fédéré. Une con­fig­u­ra­tion que nous avons déjà décrite à pro­pos des élec­tions berli­nois­es et que l’on peut con­stater sou­vent lorsque l’AfD parvient à envoy­er des députés dans des Par­lements régionaux : ce phénomène con­traint alors les par­tis de l’establishment à créer des grandes coali­tions ou des coali­tions hétéro­clites, qui ont pour­tant, à quelques excep­tions près, rarement fait leurs preuves historiquement.

Le casse-tête de la for­ma­tion d’une coali­tion gou­verne­men­tale viable après les élec­tions au Schleswig-Hol­stein : l’avenir du gou­verne­ment région­al est très incertain

C’est ce dont une grande par­tie de la presse alle­mande, plus nuancée que la française, s’est sou­vent fait l’écho ces derniers temps : Kiel­er Nachricht­en (1), Kiel­er Nachricht­en (2), FAZ (1), FAZ (2), FAZ (3), FAZ (4), NDR, Köl­ner Stad­tanzeiger.

L’arrivée de l’AfD au par­lement région­al de Kiel fait l’effet de celle d’un chien dans un jeu de quille. Cette présence com­binée aux con­séquences du poli­tique­ment cor­rect, a en effet trois con­séquences immé­di­ates (rai­son pour laque­lle elle est loin d’être un insuccès) :

  • aucune des coali­tions clas­siques (SPD-Verts ou CDU-FDP) ne peut être mise en place faute de majorité absolue, même après péréquation ;
  • le poli­tique­ment incor­rect empêche de met­tre en place la coali­tion des droites logique­ment issue des résul­tats aux élections ;
  • aucune des autres coali­tions pens­ables ne paraît bien satisfaisante.

L’avenir poli­tique à moyen terme de l’État fédéré de Schleswig-Hol­stein paraît pour le moins incertain.

Examinons cela en détail

Les véri­ta­bles vain­queurs des élec­tions sont bel et bien la CDU (+1,2%), mais davan­tage encore le FDP (+3,3%)… et quoi qu’on en dise l’AfD (+5,9%). La coali­tion la plus logique au vu de ces résul­tats serait donc une coali­tion des droites CDU-FDP-AfD. Une telle coali­tion serait d’autant plus logique que l’AfD est un par­ti certes con­ser­va­teur et hos­tile au mul­ti­cul­tur­al­isme, mais aus­si libéral comme le FDP et con­ser­va­teur au plan socié­tal comme la CDU. Or il serait fou de nier que les Alle­mands souhait­ent aujourd’hui une poli­tique d’immigration raisonnable. Une telle coali­tion (coali­tion des vain­queurs) pos­sèderait enfin une majorité très con­fort­able au Par­lement de 49,4% avant redis­tri­b­u­tion des 7,2% de voix qui se sont portées sur les par­tis non qual­i­fiés au par­lement. Soit, après péréqua­tion, une majorité absolue bien plus con­fort­able encore que celle dont dis­po­sait feu la coali­tion « feu tri­col­ore » sous l’égide du SPD…

Seule­ment voilà : l’idéologie post-démoc­ra­tique portée par le poli­tique­ment cor­rect empêche cette solu­tion logique. Elle con­traint donc à choisir entre des solu­tions ban­cales… Lesquelles ?

  1. Une coali­tion de droite réduite à la CDU et la FDP ne peut, avec seule­ment 43,5% des voix avant répar­ti­tion, con­stituer de coali­tion majori­taire viable. À gauche, la Küstenkoali­tion tri­col­ore est morte ;
  2. Une solu­tion de sec­ours serait une GroKo (Grosse Koali­tion = grande coali­tion) alliant les par­tis d’establishment CDU-SPD ; de telles coali­tions régionales ont été vues à Berlin (jusqu’en 2016), au Meck­lem­bourg-Poméranie occi­den­tale (voir), en Sarre (depuis 2012, renou­velée il y a quelques jours), en Saxe (depuis 2014), en Saxe-Anhalt (jusqu’en 2016) ou encore en Thuringe (jusqu’en 2014) ; ce type de coali­tion, surtout si elle allie entrants et sor­tants, n’a pour le moment pas du tout fait ses preuves ; tâchant trop de ménag­er la chèvre et le chou, les GroKo finis­sent par mécon­tenter tout le monde en fin de man­da­ture ; ni la CDU ni le SPD ne parais­sent y être favor­ables à court terme dans cette région, mais cela peut chang­er… la Sarre a fait ce choix en 2012 et l’a con­fir­mé il y a quelques jours seule­ment (mais en Sarre, CDU, FDP et SPD sont arrivés large­ment devant tous les autres par­tis avec près de 70% des voix, c’est plutôt l’extrême-gauche qui a été désavouée, con­traire­ment à ce qui vient de se pass­er à Kiel) ;
  3. La CDU et le FDP pour­raient alors préfér­er s’allier, dans le cadre de ce qui porte déjà le nom de « Jamai­ka-Koali­tion » (coali­tion jamaï­caine, soit noire-bleue-verte), aux Verts – seuls capa­bles d’apporter l’appoint néces­saire à une majorité absolue. Or si une par­tie des Verts (les « Rea­los », réal­istes) est réputée mod­érée, une autre par­tie des Verts (les « Fundis », fon­da­men­tal­istes) est assez juste­ment con­sid­érée comme une éma­na­tion d’éco-staliniens à la française (on se sou­vient de la sor­tie récente du député AfD Rain­er Podeswa à Stuttgart) ; en out­re, les Verts provi­en­nent d’une coali­tion sor­tante et désavouée et vien­nent d’enregistrer une série de revers en Sarre ou encore en Rhé­nanie du Nord-West­phalie… cette coali­tion serait donc assez ban­cale, out­re le fait qu’elle n’enthousiasme guère les­dits Verts ; mais elle a ses chances d’aboutir (bien moins de réussir) ;
  4. Mais le pire serait encore une nou­velle mou­ture revue et cor­rigée, encore élargie, de la Küstenkoali­tion (Coali­tion côtière) ou encore Ampelkoali­tion (feu tri­col­ore dev­enue quadri­col­ore) ; ce type de coali­tion des vain­cus faite de bric et de broc unis­sant des opposants hétéro­clites a par­fois suc­cédé à des grandes coali­tions en échec ; il n’est pas impos­si­ble que le SPD, les Verts, le SSW tente de remet­tre une coali­tion des sor­tants alliée au FDP ou (ou exclusif) à la Gauche rad­i­cale (Linke) ; le FDP ne sem­ble guère y être favor­able, les Linke (gauche rad­i­cale à l’instar de notre Front de Gauche) sem­blent dubi­tat­ifs, mais sait-on jamais… Berlin a fait un tel choix hasardeux l’an dernier…

On voit donc par­faite­ment à l’examen de ces hypothès­es que tout est loin d’aller pour le mieux dans le meilleur des mon­des au Schleswig-Hol­stein : l’impossibilité de réalis­er une union des droites CDU-FDP-AfD con­traint à envis­ager des coali­tions hétéro­clites faites de bric et de broc, comme cela a d’ailleurs été le cas dans d’autres pays d’Europe du Nord (Pays-Bas encore récem­ment). Des coali­tions toutes plus ou moins ban­cales, dont les suc­cès poli­tiques futurs ne peu­vent qu’être incer­tains. On voit cela aus­si en France depuis des années, avec les con­séquences que l’on con­naît en ter­mes de gou­verne­ments minori­taires depuis 1997, de cohab­i­ta­tions qui pour­raient être inter­prétés comme des GroKo à la française (et le gou­verne­ment Macron prend à sa manière de telles allures sous une forme renou­velée). Mais l’Allemagne n’est pas la France : les scruti­ns à la pro­por­tion­nelle rel­a­tive y sont net­te­ment plus démoc­ra­tiques et il n’est pas pos­si­ble de con­fis­quer les élec­tions ad vitam aeter­nam dans ce pays comme en France.

On assiste donc, au Schleswig-Hol­stein comme en Sarre, comme en Rhé­nanie du Nord-West­phalie récem­ment, et comme à Berlin, au Meck­lem­bourg-Poméranie Occi­den­tale l’an dernier et aupar­a­vant en Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe, à un boule­verse­ment pro­fond du jeu poli­tique alle­mand qui, à l’instar du sys­tème poli­tique française, tra­verse une crise pro­fonde. Partout, on voit que les par­tis de l’establishment réagis­sent aux boule­verse­ments par la mise en place de grandes coali­tions (GroKo) ou de coali­tions mul­ti­col­ores dont les appel­la­tions exo­tiques cachent mal le car­ac­tère hétéro­clite (coali­tions côtières, tri­col­ores, jamaï­caines…) et la fréquente impuis­sance politique.

Les boule­verse­ments des majorités régionales pour­raient annon­cer des boule­verse­ments des majorités fédérales, tant au niveau du Par­lement fédéral (élec­tions en sep­tem­bre 2017) que du Con­seil fédéral qui rassem­ble les députés des régions, dont la com­po­si­tion est donc influ­encée par chaque élec­tion régionale.

Par­ler seule­ment du suc­cès de la CDU et de la déroute du SPD ne représente donc qu’une par­tie des réflex­ions qu’aurait dû sus­citer cette élec­tion : le suc­cès d’Angela Merkel n’est pas sans ombres, et l’irruption de l’AfD sur la scène poli­tique con­tin­ue bel et bien à boule­vers­er et à désta­bilis­er le sys­tème poli­tique alle­mand en général, et celui de cet État en particulier.

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