Les « jeunes de banlieue » ne se contentent pas de « niquer la police », ils aiment également s’en prendre aux journalistes. Ces derniers, pourtant, n’ont cessé de caresser le délinquant dans le sens de la casquette, et même lynchés en retour, ils continuent de lui lécher les Nike. Les journalistes sont-ils masos ?
Durant les émeutes de 2005, Serge Michel, du magazine suisse L’Hebdo, inaugure le Bondy Blog, un média en ligne ayant pour vocation de raconter la France de la diversité, en envoyant se relayer des journalistes en immersion dans une cité. Reprochant à ses confrères français de ne pas connaître la réalité des banlieues de l’intérieur, il prétend ainsi donner une autre image de ces territoires perdus.
Il faut en effet se souvenir qu’au tournant des années
2000, les grands médias – notamment TF1 — commencent enfin à se faire l’écho de la situation dramatique des banlieues françaises, lesquelles se sont pourtant enfoncées depuis une bonne dizaine d’années déjà dans la violence, la haine anti-française et la dictature des caïds, sans qu’aucun journaliste n’assume de relayer une réalité coupable de ne pas cadrer avec le « politiquement correct ». Alors que l’omerta idéologique commence à être en partie levée face à l’énormité des faits, la gauche accuse les médias qui succombent au réel de créer un « sentiment d’insécurité », en somme de fomenter un pur fantasme. Elle paiera du reste cet ultime déni par un échec retentissant aux élections de 2002.
Pierre n’a pas de chance, il est grand, blond et blanc…
Durant l’automne 2005, quand ce prétendu fantasme tourne à l’ébauche de guerre civile, des journalistes suisses se relaient ainsi dans un local de la cité Blanqui pour devenir la voix de la diversité et parler depuis l’intérieur des banlieues. Un mois après le début de l’expérience, le journaliste Paul Ackerman se fait agresser, sort naturel de tout intrus, blanc de surcroît, dans un tel environnement, aussi divers soit-il. Mais cela, il fallait en effet être journaliste (suisse ou parisien) pour l’ignorer… ou s’en étonner. Quoiqu’il en soit, Ackerman, en accord avec sa rédaction, ne porte pas plainte et le blog est lancé avec un succès décuplé par l’affaire de cette agression. Témoignant en effet de la banlieue vue de l’intérieur, d’autres agressions de journalistes seront relatés par les bloggeurs du Bondy Blog, comme celle de Pierre, en 2007, un journaliste de 20 minutes : « Pierre n’a pas de chance, il est grand, blond et pour tout dire blanc. Ses vêtements aussi font de lui le bouc émissaire idéal. Ce matin, il ne savait sans doute pas qu’il devait se rendre en banlieue. » Depuis, tout de même, le journaliste parisien a appris à se méfier du « jeune » : « L’envoyé de 20 Minutes qui visiblement l’avait repéré avant moi, accélère le pas et baisse la tête en faisant semblant de ne pas le voir. » Cela ne l’empêchera pas de finir gazé et lynché par trente personnes sans même qu’un début de dialogue ou de dispute ait pu s’amorcer, et sans qu’on sache, de sa blancheur de peau ou de sa « sacoche de journaliste », ce qui lui est essentiellement reproché.
Reporters de guerre
En fait, depuis que les journalistes sont allés voir ce qui se passait vraiment dans les banlieues françaises, ils se font laminer par ceux-là même qu’ils redoutent plus que tout de « stigmatiser ». Et la situation a tellement dégénéré que la moindre enquête en « zone de non-droit » paraît s’apparenter à un reportage en zone de guerre. C’est en tout cas ce que rapportent ces journalistes de Valeurs Actuelles en mission à La Villeneuve (Grenoble) : « Une militante associative prévient : « Depuis le départ des RoboCop [les policiers en tenue antiémeute, NDLR], si vous débarquez avec vos appareils ou posez des questions, vous risquez l’agression. Pour circuler dans la cité, il faut recourir à un protecteur, comme en zone de conflit. Le nôtre est un géant noir qui préfère ne pas être nommé : “Si on sait que je vous ai aidés, je passerai pour un traître” ». Charmante ambiance de travail…
C’est notre métier !
Heureusement, se faire systématiquement agresser est devenu une norme que certains semblent tolérer avec un flegme assez déroutant. Ainsi ces journalistes du Parisien, victimes d’un vol avec violence en 2009. A la question de savoir s’ils ont été surpris par l’agression, ils répondent : « Pas vraiment. Nous avons l’habitude d’évoluer dans ce genre de banlieue. C’est notre métier ! » D’autres fois, l’agression est plus pittoresque, comme pour ce journaliste de M6 venu faire un reportage à la bien nommée « cité des poètes » (93) qui, sans doute en hommage à Molière, s’est fait rosser de coups de bâton après avoir été séquestré dans un appartement désaffecté et avoir dû promettre de ne plus revenir.
Les journalistes des Inrocks, qui s’extasient à longueur de colonnes sur « la diversité » et trouvent généralement des excuses au comportement des caïds de banlieue n’arrivent pas pour autant en territoire ami. En janvier dernier, deux d’entre eux, en reportage à la cité des Courtillières à Pantin, se faisaient décrocher la mâchoire et dévaliser par des hommes cagoulés qui ne devaient pas lire le magazine branché. « C’est notre cité, vous avez cinq minutes pour dégager ! » leur avait-t-on pourtant expliqué, dès qu’ils furent sur place, avec sans aucun doute l’intention de montrer l’infondé du « sentiment d’insécurité ». À ce stade, on serait presque tenté de parler de pédagogie du réel.
Caillassage et coup du lapin…
À Lyon, en octobre dernier, les langues commençaient de se délier. En effet, un journaliste de Télé Lyon Métropole se fait d’abord raccompagner manu militari par les chefs locaux jusqu’aux limites de leur territoire. Le jour suivant, ils reviennent à deux journalistes, tôt le matin, pensant les esprits calmés et les « jeunes » encore au lit. Cette fois-ci c’est une voiture qui les emboutit par derrière, le choc blessant le conducteur d’un léger coup du lapin. Exaspérés, ils se décident enfin à porter plainte, Le Progrès publie un écho et la rédaction de France 3 Rhône-Alpes avoue avoir subi des jets de pierres. Tous ces gens donnent ainsi parfois l’impression d’être les victimes d’un même violeur qui doivent s’encourager les unes les autres pour avouer les sévices subis. Et on a pourtant affaire à des professionnels de l’information…
Aveuglement idéologique
Malgré les humiliations et les coups systématiques, l’invraisemblable sollicitude dont témoignent les médias français pour les « jeunes » semble toujours intacte, ce qui demeure un mystère pour le moins fascinant, à moins qu’elle ne prouve seulement la puissance infinie de l’aveuglement idéologique. Par exemple, lorsque est diffusé sur Arte, en septembre 2010, le documentaire La Cité du mâle, traitant du machisme dans les « quartiers », le film est vivement critiqué par l’ensemble des médias français et jugé caricatural ou à charge, quand bien même une telle critique n’est émise que du fond des rédactions parisiennes. Il faut dire qu’une controverse avec la « fixeuse » avait reporté la diffusion du documentaire et que celle-ci prétendait déjà que le film donnait, à tort, une mauvaise image des jeunes des quartiers. Question de montage. Pourtant, l’extraordinaire violence des propos émis par des garçons que la « fixeuse » avait elle-même castés, ne pouvait pas être produite par la seule magie d’un montage partisan ! Cette fixeuse fut condamnée par la suite à quatre mois de prison ferme pour menaces de mort sur la réalisatrice. Était-ce pour s’élever contre la caricature que l’on faisait des banlieues ? On ne le sait… Mais ce qui est certain, c’est que cette information qui donnait au débat une conclusion judiciaire, n’a guère été relayée avec autant d’énergie par ceux-là mêmes qui avaient d’emblée soutenu la cause de la « fixeuse » de banlieue.
Un ramassis de clichés stigmatisants…
La palme de l’hypocrisie, sur ce sujet, est obtenue, comme souvent, par Libération. Le quotidien de la gauche parisienne, en effet, s’était particulièrement acharné sur ce documentaire censé être un ramassis de clichés stigmatisants. Mais quand Laurent Joffrin, le directeur de la publication de Libé, répond aux questions de Respect Mag quant aux relations de ses journalistes à la banlieue, en janvier 2010, celui-ci répond : « Il y a eu une période terrible où l’on avait du mal à trouver des gens pour y aller ! Au moment des émeutes de 2005, on a été obligé d’envoyer un grand reporter étranger… » Ce sont donc des gens qui n’osent pas y mettre les pieds qui donnent à ceux qui y enquêtent des leçons d’optimisme sur la banlieue…
Le symptôme d’une rupture
Pour expliquer cette situation aussi invraisemblable qu’inédite, où l’information réelle sur les banlieues est empêchée tant par une autocensure idéologique que par des tabassages en règle sur le terrain, on nous donne toujours les mêmes raisons : la faute reviendrait aux journalistes eux-mêmes qui, ayant donné une mauvaise image des banlieues, récolteraient aujourd’hui une fureur légitime. Vient d’abord l’argument que ne seraient rapportés de ces zones périphériques que les dysfonctionnements, jamais ce qui marche. Certes, sauf que c’est généralement le propre des médias de procéder de la sorte, et ce sur tout le territoire et sur tous les sujets. On parlera d’un train qui entre en gare avec trois heures de retard, rarement de celui qui arrive à l’heure. On nous parle également de complaisance spectaculaire pour la violence que sécrète la banlieue. Il serait tentant de se plier à un semblable argument tant les médias, pour se vendre, confèrent en effet systématiquement un relief spectaculaire aux évènements. Mais ce serait omettre un fait essentiel : c’est que ce que l’on nous rapporte — lynchages racistes, viols collectifs à répétition, féodalités de la drogue, meurtres barbares — est réellement spectaculaire aux yeux de n’importe quel type à peu près normal ! Que la voix off soit gutturale ou non !
Syndrome de Stockholm…
Enfin, les journalistes qui justifient ainsi leur propre maltraitance, au-delà du syndrome de Stockholm qui est la maladie mentale dont l’Europe paraît atteinte depuis au moins trente ans, les journalistes qui justifient ainsi leurs agresseurs par les arguments de ces derniers disent en somme : il est normal que des gens offensés parce qu’on les suspecte de violence vous défoncent la gueule pour vous passer l’idée de continuer à le faire ! Une rhétorique absurde qui rappelle ce réflexe ahurissant des musulmans fanatiques appelant à tuer sans pitié ceux qui osent insinuer que leur religion se montrerait souvent par trop brutale…
Des zones en sécession
Il n’est nul besoin d’analyser sérieusement un argumentaire aussi vide pour trouver les raisons du rejet des journalistes en banlieue. Il est simplement corrélatif au rejet des policiers, des pompiers, des médecins, en somme, de tout ce qui représente, aux yeux des bandes, l’« autre camp » vécu comme une puissance coloniale. Les médecins se font-ils caillasser parce qu’ils soignent les patients du 9.3 avec trop peu d’amour ? Les pompiers, parce qu’ils éteignent les feux avec un enthousiasme feint ? Non, le rejet des journalistes des zones pudiquement dites de « non-droit », et qui se transforment pour eux toujours davantage en zones de guerre, révèle simplement que celles-ci se constituent année après année en zones autonomes en sécession violente avec le reste de la société française. Un bilan dramatique qui aurait peut-être pu être évité si les médias n’avaient pas détourné si longtemps les yeux de la plaie de peur qu’elle ne s’infecte, ou s’ils n’y avaient posé inutilement le pansement bariolé de leurs bons sentiments.
Une nouvelle génération de journalistes ?
À force d’avoir cultivé un « fantasme de sécurité » au sujet des banlieues, un pur délire optimiste, les journalistes français, non seulement se prennent le retour du réel dans les dents quand ils ont le courage de quitter leurs rédactions pour traverser le périphérique, mais découvrent en plus, dans les rares occurrences où ils osent dresser un constat sans fard, une horreur qui dépasse les fictions les plus pessimistes. Ce que démontre avec effroi et brio le document de Laurent Obertone, se basant sur une simple et méticuleuse recensions de faits, La France Orange mécanique (Ring). Mais c’est sans doute parce que l’auteur n’a que 28 ans qu’il est capable de s’affranchir d’une vieille idéologie au service du mensonge d’état, et parce qu’à son âge, il est vrai qu’on a moins connu les raisons que les conséquences de ce mensonge. On peut donc espérer qu’une nouvelle génération de journalistes sera capable, à son exemple, de corriger avec courage les errements des précédentes, et de regarder enfin le réel en face, même, et surtout si celui-ci est odieux. Dénoncer les erreurs politiques et révéler les conditions de vie réelles du peuple, voilà qui se trouve être, au fond, la légitimation historique de ce qui fut longtemps un contre-pouvoir.
MD
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