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[Rediffusion] Élections à Berlin : l’analyse des médias allemands

23 décembre 2016

Temps de lecture : 7 minutes
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[Rediffusion] Élections à Berlin : l’analyse des médias allemands

Temps de lecture : 7 minutes

Dossier. Les élections à Berlin ont été une fois de plus l’occasion pour la presse française de produire analyses superficielles et phrases toute faites semblant sortir mécaniquement d’un traitement de texte robotisé : nouveau revers de la CDU, percée du parti « d’extrême-droite » AfD, Berlin reste à gauche… Aucun journaliste français n’a examiné à la loupe ces résultats afin d’en tirer des analyses un tant soit peu pertinentes. Et de s’étonner de cette « percée nationaliste » dans cette capitale pourtant si « multiculturelle »…

Les gros titres sont glob­ale­ment justes si on reste à la sur­face des choses :

  • les par­tis insti­tu­tion­nels (la CDU, mais aus­si le SPD et les Verts) ont enreg­istré de lourds revers,
  • l’AfD, mais aus­si le libéral FDP (par­ti libéral-démoc­rate) ont enreg­istré des pro­gres­sions, très fortes dans le cas de l’AfD (de 0 à 14%),
  • l’extrême-gauche (Die Linke, d’une cer­taine manière com­pa­ra­ble à notre Front de Gauche) se main­tient ou enreg­istre une faible progression,
  • la gauche reste glob­ale­ment au pou­voir, mais l’ancienne « grande coali­tion » SPD-CDU devra céder la place à une coali­tion SPD-Grüne-Die Linke, c’est-à-dire rose-vert-rouge. Une anci­enne coali­tion improb­a­ble de per­dants sera donc rem­placée par une nou­velle coali­tion improb­a­ble de perdants,
  • l’abstention a par ailleurs été forte, con­traire­ment aux dernières élec­tions régionales à l’Est.

Une sociologie politique très particulière

Les médias alle­mands ont été plus loin dans l’analyse aus­si bien his­torique que sociale et géographique.

Pour mieux com­pren­dre la poli­tique locale berli­noise, il con­vient de com­pren­dre la soci­olo­gie très par­ti­c­ulière de cette ville au passé récent tumultueux : Berlin a été, de 1949 à 1990, coupée en deux entre Berlin-Ouest (RFA) et Berlin-Est (RDA). La par­tie ouest de la ville, con­sti­tuée comme une île démoc­ra­tique cap­i­tal­iste dans la mer du par­adis col­lec­tiviste com­mu­niste, n’a jamais eu de soci­olo­gie nor­male : coupée de son arrière-pays et d’une économie rentable du fait des coûts de trans­port, elle a été sous per­fu­sion finan­cière pen­dant des décen­nies, peu­plée d’une part de fonc­tion­naires et autres employés para­publics sous sub­sides de l’État, et d’autre part d’une faune d’étudiants, d’artistes et de mar­gin­aux en rup­ture de ban dont la présence a été longtemps mar­quée par un puis­sant mou­ve­ment de squat­ters (165 immeubles occupés dans les années 70). La ville, dont le futur chance­li­er SPD Willy Brandt a été le maire de 1957 à 1966 avant d’être propul­sé chef du gou­verne­ment alle­mand de 1969 à 1974, a été gou­vernée sans inter­rup­tion par la gauche jusqu’à aujourd’hui. Mais dans des con­di­tions qui ont désor­mais forte­ment évolué : dans les années 60 et 70 le SPD recueil­lait régulière­ment plus de la moitié des suf­frages. Ça n’est plus du tout le cas actuellement.

Les élec­tions berli­nois­es ne sont en rien com­pa­ra­bles aux dernières élec­tions qui ont eu lieu en Meck­lem­bourg-Poméranie Occi­den­tale ou en Saxe-Anhalt. Elles n’en sont pas moins très emblé­ma­tiques de l’évolution poli­tique alle­mande vers l’éclatement et l’ingouvernabilité – non pas « mal­gré » le radieux « Mul­ti­kul­ti », mais à cause de l’éclatement provo­qué par le « Mul­ti­kul­ti ». La soci­olo­gie de Berlin a en effet rapi­de­ment évolué après la chute du mur (1990) : une classe moyenne de com­merçants, d’artisans et de pro­fes­sions libérales a vu le jour, repous­sant en par­tie les fonc­tion­naires et les mar­gin­aux. Par ailleurs, les « Ossis » ont pu se main­tenir dans cer­tains quartiers. D’autres quartiers ont été mas­sive­ment investis par une immi­gra­tion musul­mane turque et arabe.

Un vote éclaté entre groupes socio-ethniques et religieux

Les dif­férentes tribus qui peu­plent désor­mais Berlin (Gen­try, Wes­sis, Ossis, mar­gin­aux et musul­mans) ne se sont nulle­ment répar­ties de façon uni­forme dans la ville. Comme partout ailleurs en Europe de l’Ouest, elles se sont regroupées par affinité dans les dif­férents quartiers de la ville. Les résul­tats des élec­tions sont extrême­ment représen­tat­ifs de cet éclate­ment, qui empêche désor­mais tout con­sen­sus raisonnable.

On con­state ain­si que la CDU n’existe poli­tique­ment qu’à l’Ouest, tout comme d’ailleurs le libéral FDP. À l’inverse, le par­ti d’extrême-gauche Die Linke n’existe pra­tique­ment qu’à l’Est. Seul l’AfD enreg­istre d’excellents scores à l’Est, mais aus­si de bons scores à l’ouest. Mais un exa­m­en plus minu­tieux des résul­tats quarti­er par quarti­er per­met d’éviter toute con­clu­sion trop hâtive d’un cli­vage Ouest/Est clas­sique. C’est tout autre chose que l’on con­state bien au con­traire à la lumière de ce dernier :

  • les quartiers Est doivent être en effet soigneuse­ment divisés entre les quartiers de la pre­mière couche en par­tant du cen­tre, par exem­ple Friedrichshain-Kreuzberg ou Neukölln. Ces quartiers ont très net­te­ment voté à gauche voire à l’extrême-gauche. Le pre­mier compte 22% d’immigrés musul­mans, le sec­ond 15% de Turcs et 10% d’Arabes. Les mar­gin­aux, alter­nat­ifs et autres représen­tants de la gauche cul­turelle y sont égale­ment fort nombreux.
  • Les quartiers Est de la sec­onde couche, tels que Marzahn-Hellers­dorf, Trep­tow-Köpenick, Licht­en­berg et Pankow, net­te­ment plus excen­trés, ont accordé entre 20 et 25% de leurs suf­frages à l’AfD. Ils ne comptent que 4 à 5% d’immigrés musul­mans en moyenne. Ce sont les quartiers typ­ique­ment « Ossis ».
  • Mais les quartiers ouest « gen­tri­fiés », tels que Span­dau, Reinick­endorf et Neukölln, ont égale­ment accordé leurs suf­frages à l’AfD et aus­si au FDP – d’où de bons scores de l’AfD, mais moin­dres que dans les quartiers « Ossis »

Con­clu­sion ? Con­traire­ment à ce qu’on a pu lire çà et là, la per­cée de l’AfD ne s’est pas faite « en dépit du mul­ti­cul­tur­al­isme berli­nois ». C’est tout à fait autre chose que l’on observe : la poli­tique à Berlin est en voie de trib­al­i­sa­tion. Elle ressem­ble de plus en plus à ce que l’on observe dans ces faux pays arabes ou africains, dans lesquels une mul­ti­tude de tribus qui ne for­ment pas de nation eth­nique ni civique (chrétiens/musulmans et ani­mistes ou bien nomades/sédentaires en Afrique, ou bien encore sunnites/shiites/minorités religieuses dans le monde arabe) ne votent pas pour des par­tis défen­dant des options de gou­ver­nance, mais des intérêts eth­ni­co-politi­co-religieux, ce qui con­traint à des alliances improbables.

À Berlin, la gen­try de l’ouest a fait bas­culer en par­tie son vote du CDU vers le FDP et l’AfD. À l’Est, les quartiers mar­gin­aux-immi­grés ont fait bas­culer en par­tie le leur du SPD vers Die Linke, qui s’affirme de plus en plus comme un par­ti islamo-gauchiste. Et à l’Est encore, les quartiers « Ossis » ont eu ten­dance à délaiss­er le SPD pour l’AfD, qui s’affirme donc comme le par­ti des « petits blancs », démoc­rate et libéral, mais aus­si euroscep­tique et islamosceptique.

Berlin c’est déjà un peu poli­tique­ment (non mil­i­taire­ment) Bag­dad à cause de l’éclatement mul­ti­eth­nique, dans le cadre duquel s’affrontent des groupes que ne peut unir aucun con­sen­sus parce que leurs visions même de la société sont incom­pat­i­bles. La fin de la dom­i­na­tion absolue du SPD dans cette ville avait con­traint ce dernier par­ti à for­mer, lors des avant-dernières élec­tions, une grande coali­tion avec la CDU. Désor­mais, c’est une autre coali­tion ban­cale que les soci­aux-démoc­rates devront for­mer avec les Verts et les islamo-gauchistes.

L’éclatement eth­ni­co-religieux de Berlin rend la ville ingou­vern­able : la dernière grande coali­tion avait déjà été inca­pable de pren­dre à bras-le-corps les prob­lèmes qui, selon les enquêtes récem­ment effec­tuées, con­tin­u­ent à préoc­cu­per les Berli­nois : le loge­ment, les écoles et les crèch­es, l’emploi et la sécurité.

La prochaine coali­tion rose-vert-rouge sem­ble ain­si vouée à l’échec. Les Berli­nois ne sont d’ailleurs pas dupes : un très grand nom­bre d’entre eux a voté « avec les pieds »… en s’abstenant de se déplac­er. Con­traire­ment à ce qui s’est passé au Meck­lem­bourg-Poméranie Occi­den­tale en effet, l’abstention est restée élevée lors de ces élec­tions dans la cap­i­tale allemande.

Sources :

Crédit pho­to : Taxiarchos228 via Wiki­me­dia (cc)

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