[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 03/03/2017]
Emmanuel Macron se présente devant les Français comme un candidat anti-système (« je ne suis pas contre cette terminologie »). Pourtant, l’ancien banquier de Rothschild & Cie bénéficie du soutien implicite ou explicite de la plupart des propriétaires de presse : Vincent Bolloré (Canal+, i>Télé, C8), dont le fils Yannick Bolloré était présent à l’un de ses rassemblements en juin 2016 et Martin Bouygues (Groupe TF1) dont le directeur général adjoint de Bouygues Telecom, Didier Casas, a rejoint le mouvement En Marche ! en janvier 2017. Chacun d’entre eux essaie de placer ses hommes dans l’entourage d’Emmanuel Macron en espérant avoir un retour sur investissement en cas de victoire lors des présidentielles.
À ce petit jeu d’influence, Patrick Drahi, nouvel homme fort de la presse (BFM, RMC, Libération, L’Express, etc), a pris une longueur d’avance sur ses concurrents car la garde rapprochée d’Emmanuel Macron (Jacques Attali, Grégoire Chertok ou Bernard Mourad) ont tous des liens directs avec le milliardaire franco-israélien.
Le soutien de Patrick Drahi, un simple renvoi d’ascenseur ?
Le soutien des médias de Patrick Drahi à Emmanuel Macron s’apparente à un renvoi d’ascenseur pour l’aide apportée par le candidat d’En Marche ! au milliardaire franco-israélien lors de son rachat de SFR en 2014. À cette époque, Emmanuel Macron était secrétaire général adjoint de l’Élysée et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Si ce dernier s’est davantage impliqué dans le dossier en affichant une préférence pour l’offre de Martin Bouygues, Macron va réussir à imposer une ligne de « neutralité vigilante » à l’Élysée (. La suite est connue, Patrick Drahi va réussir s’imposer face à ses concurrents. Ce qui l’est moins, c’est que l’un des protagonistes de cet achat historique, le banquier Bernard Mourad (« SFR : les deux semaines folles qui ont chambardé le paysage des télécoms », lesechos.fr, 16/03/14), clé du système financier de Patrick Drahi est un ami d’Emmanuel Macron. C’est d’ailleurs l’ex-banquier de Rothschild & Cie, devenu ministre de l’Économie, qui donnera l’assentiment du gouvernement au rachat d’une entreprise française de télécommunication par une entreprise étrangère comme Altice, un groupe luxembourgeois lui-même propriété d’une holding immatriculée à Guernesey.
Les hommes
Jacques Attali
L’économiste et conseiller des présidents (François Mitterrand, Nicolas Sarkozy ou François Hollande) est devenu au fil des années l’une des personnalités les plus importantes de l’arrière boutique de la vie politique française, un quasi-président de la République bis, « non élu, sans réelles prérogatives, mais avec un programme de réformes, né sous la droite et appliqué largement sous la gauche. » Jacques Attali est l’un de ceux qui font les carrières des uns s’ils vont dans le sens de sa vision politico-économique (libéral-libertaire) et défont les carrières des autres s’ils ont le malheur d’être souverainiste ou protectionniste. Le conseiller des présidents a immédiatement remarqué le potentiel d’Emmanuel Macron, ce jeune inspecteur des finances tout juste sorti de l’Ecole Nationale d’Administration (2004), le prenant rapidement sous son aile en le nommant, en 2008, rapporteur adjoint de la Commission pour la libération de la croissance française (« commission Attali »). « Elle va lui servir à la fois de tremplin professionnel et de corpus de pensée. Macron s’y constitue un épais carnet d’adresses qu’il fera fructifier en tant que banquier. » Jacques Attali tombe sous le charme de cet ex-inspecteur des Finances devenu banquier d’affaires chez Rothschild & Cie (il l’avait recommandé à François Henrot, le bras droit de David de Rothschild) en 2008 et le présente à François Hollande en 2010. Le courant passe immédiatement et une fois à l’Élysée, le chef de l’État le nomme secrétaire-général adjoint en charge des dossiers économiques, puis ministre de l’Économie. La loi Macron, qui a été promulguée en août 2015, s’inspire très largement des 316 mesures proposées par la Commission Attali. Leur relation ne s’arrête pas en si bon chemin, Jacques Attali a confié au magazine GQ « être extrêmement proche (de Macron), on se parle tout le temps. »
En effet, Jacques Attali a compris qu’avec Emmanuel Macron il pouvait placer ses pions et ceux de ses amis, notamment du milliardaire franco-israélien Patrick Drahi. Car le conseiller des princes n’est que la face émergée d’un iceberg d’oligarques contents d’avoir trouvé en lui un homme capable de susurrer à l’oreille des présidents de la République les bonnes orientations économiques pour faire avancer leurs affaires.
Et dans le cas de Jacques Attali, c’est sa famille qui pourrait bénéficier de plus larges retombées financières, son frère jumeau, Bernard Attali, siégeant au conseil d’administration du groupe SFR, propriété de Patrick Drahi. Un mélange des genres détonnant et passé pour l’instant totalement inaperçu….
Grégoire Chertok
Emmanuel Macron, ancien banquier de Rothschild & Cie, « est très soutenu dans son ancienne banque. Grégoire Chertok, associé gérant de Rothschild, conseiller régional et très proche de Jean-François Copé, a déjà organisé plusieurs rencontres avec des investisseurs intéressés par Emmanuel Macron. » (« Emmanuel Macron intéresse les investisseurs », Le Figaro, 26/01/2017) Grégoire Chertok est lui aussi lié au magnat de la presse Patrick Drahi puisque le banquier star de chez Rothschild est l’un de ses « relais » dans le monde des affaires. Chertok est aussi influent à l’hebdomadaire Marianne où il tient… la rubrique cinéma.
Bernard Mourad
Le franco-libanais Bernard Mourad, ex-banquier star de Morgan Stanley, est l’homme-clé dans les relations entre Emmanuel Macron et Patrick Drahi.
Depuis leur première rencontre en 2004, Bernard Mourad est devenu un intime du milliardaire franco-israélien, Patrick Drahi. L’ex-banquier résume ainsi leur relation : « J’étais tout jeune. Il [Patrick Drahi] n’était pas encore connu. Je le trouvais brillant. On a un peu grandi côte à côte et nous avons travaillé ensemble à la plupart de ses opérations. Il combine deux talents rares : une vision industrielle de long terme, très claire, d’une fibre optique irremplaçable, alliée à une excellente anticipation des cycles courts financiers.» (« Patrick Drahi, la fibre hermétique », Libération, 05/04/2014) Homme de confiance du nouvel homme fort de la presse, il a participé à pratiquement toutes les transactions financières d’Altice : fusion de Numéricable et Noos, entrée en bourse d’Altice, rachat de SFR pour 17 milliards d’euros par Numéricable et celui de Portugal Telecom par Altice pour 7,4 milliards d’euros.
« Fidèle parmi les fidèles du patron d’Altice », Bernard Mourad quitte la banque américaine Morgan Stanley en février 2015 pour rejoindre Patrick Drahi et prendre la présidence d’Altice Media Group. Considéré comme le bras droit de Patrick Drahi dans les médias, il devient, dès lors, directeur général adjoint de SFR Media en charge du développement, regroupant SFR Presse, SFR RadioTV et SFR Sport, sous la direction d’Alain Weill. Outre sa place de cogérant de Libération, Bernard Mourad assurait la vice-présidence (Mourad) et avec Alain Weill la présidence (Weill) de SFR Presse (anciennement Altice Media Group) et les fonctions de responsable du développement d’Altice Media International. En octobre 2016, Bernard Mourad démissionne de toutes ses fonctions pour rejoindre le mouvement politique En Marche ! lancé par son ami, Emmanuel Macron. Dans un communiqué, Altice indique que l’ancien président d’Altice Media Groupe souhaite se « consacrer pleinement à un engagement citoyen. » Pour Patrick Drahi et Michel Combes : « Bernard, en tant que conseil, puis au sein du groupe Altice nous a accompagnés avec talent et fidélité pendant plus de 10 ans. Nous le remercions très chaleureusement pour sa contribution au développement du groupe. » Outre son envie de s’engager politiquement, une autre raison a semble-t-il poussé Bernard Mourad à démissionner : les polémiques qu’auraient suscité sa double casquette de dirigeant de groupe de presse et de militant politique alors que le magazine L’Express (propriété de SFR Média) s’engage déjà pour Emmanuel Macron.
Bernard Mourad, l’ex-banquier star de Morgan Stanley, a rencontré Emmanuel Macron il y a plus de quinze ans. Selon un proche du franco-libanais, il y a « un coup de foudre amical » (« Bernard Mourad, le conseiller transfuge de chez Patrick Drahi », Le Monde, 6/10/2016) Leurs parcours est quasi-similaire, ils ont étudié dans des institutions prestigieuses (HEC pour Mourad ENA pour Macron) avant de s’orienter vers des banques d’affaires (Morgan Stanley et Rothschild) et se passionnent tout les deux pour l’écriture (la revue libérale Esprit pour Macron et l’écriture romanesque pour Mourad). Ils se sont par la suite plusieurs fois croisés dans leur vie professionnelle notamment lors du rachat par Patrick Drahi de SFR. A l’époque, Macron était secrétaire général adjoint de l’Élysée et Bernard Mourad conseillait Patrick Drahi.
Les principaux médias
L’Express
En mars 2016, un an après son rachat par Altice, propriété de Patrick Drahi, le directeur du journal Christophe Barbier, annonce que son quotidien va retrouver son « esprit militant » avec une nouvelle formule dont Emmanuel Macron fait la première couverture. Fondé en 1953 en soutien à l’ancien président du conseil Pierre Mendès‑France, L’Express s’engage aujourd’hui pour un libéralisme économique et sociétal : le droit de vote à 16 ans, le fédéralisme européen. Christophe Barbier souhaite remettre au goût du jour une « laïcité offensive » qui aide les religions à organiser leurs cultes et la gestation pour autrui (GPA), si celle-ci n’est pas « commerciale » car il faut avoir « foi dans l’homme, la science et le progrès. »
Or, « l’héritier contemporain le plus proche de l’esprit de « PMF » [Pierre Mendès France] est Emmanuel Macron, selon M. Barbier. » Il n’est donc pas étonnant de voir L’Express soutenir ouvertement l’ancien ministre de l’Economie car « c’est lui qui incarne le plus l’esprit de réforme en France aujourd’hui, avec modernité », assume Christophe Barbier.
Les différentes figures de proue revendiqués par la nouvelle formule de L’Express sont : Jacques Attali (mentor d’Emmanuel Macron, son frère Bernard Attali siège au conseil d’administration de SFR), l’écrivain fondateur d’un « mouvement citoyen » Alexandre Jardin, l’écologiste Nicolas Hulot, Nathalie Kosciusko-Morizet (présente lors du lancement de la chaîne i24News créée par Patrick Drahi à Paris en mars 2014) ou Daniel Cohn-Bendit.
Pour l’anecdote, Bernard Mourad, alors président d’Altice Media Group se défendait de la moindre ingérence dans la ligne éditoriale des médias en leur possession : « ni moi, ni Patrick Drahi, ni Marc Laufer, le directeur général, n’influons sur les contenus des journaux du groupe. » Difficile quand même de le croire quand quelques mois après cette déclaration, il quittera Altice pour rejoindre son ami… Emmanuel Macron pour l’aider à structurer son mouvement politique En marche !
BFMTV
La première chaîne d’informations française, propriété de Patrick Drahi et d’Alain Weill, a été épinglée en février 2017 par le magazine Marianne pour avoir « diffusé autant de réunions publiques d’Emmanuel Macron… que de l’ensemble de ses quatre concurrents principaux réunis ! » Car « depuis sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle, tous les grands meetings d’Emmanuel Macron sont en effet diffusés en intégralité et en grande pompe sur la première chaîne d’info en continu. Ce qui est bien loin d’être le cas pour ses concurrents… »
Sur #BFMTV : Macron, Macron, Macron, Macron, Macron, Macron, Macron, Macron, Macron.… https://t.co/Amxc24fcva #Macron
— Ojim (@ojim_france) 24 février 2017
SFR
Avec un tel matraquage pro-Macron de la part de BFMTV, il n’est donc pas étonnant de voir arriver sur la chaîne un autre partisan de l’ancien ministre de l’économie, Christophe Barbier…
Crédit photo : Gouvernement français via Wikimedia (cc)