Lors de la récente campagne présidentielle, France Télévision a diffusé une surprenante et généralement encensée websérie intitulée Et toi tu votes ? Une idée pleine de bonnes intentions ? En apparence.
Pour Grazia, « À deux jours du second tour de la présidentielle, voici la websérie à faire regarder à nos potes abstentionnistes ». Dans Le Figaro Madame, un épisode de la websérie accompagne un appel à voter de Karine Tuil. L’écrivain donne « en exclusivité » les raisons pour lesquelles elle vote le dimanche 7 mai 2017 : « Dans ma famille, l’extrême droite a toujours été l’incarnation de tout ce que nous rejetions : le repli, la tentation de l’exclusion, le refus de l’Europe. Notre France était grande, moderne, généreuse, ouverte sur le monde, fière de sa diversité culturelle. Le 23 avril, l’annonce de la présence du Front National au second tour de la présidentielle était déjà une tragédie ». Un parti-pris affirmé. Cet appel à voter pour Emmanuel Macron est accompagné d’un épisode de Et toi tu votes ?
Irl, plateforme libre emplie de bonnes intentions ?
Et toi tu votes ? est une websérie diffusée par France Télévision dans le cadre du projet Les nouvelles écritures du réel, irl en novlangue. Présentation : « IRL propose des films courts, originaux et innovants qui racontent le monde avec un parti-pris affirmé. Cette plateforme est un laboratoire et entend ouvrir un nouveau champ d’expérimentation pour inventer de nouvelles formes d’écritures du réel. Magazine, documentaire, reportage, animation… IRL n’épouse aucun genre. Elle préfère les torturer, les mixer, les revisiter, les délaisser aussi. Résolument libre, cette plateforme s’affranchit des contraintes éditoriales pour mieux rénover les écritures. En ce sens, IRL s’autorise tout avec une volonté : raconter le monde sans filtres, s’y engager avec son regard et être vu par la nouvelle génération ». Liberté de formes. Parti-pris affirmé ? C’est vrai. Un parti pris engagé en faveur des idées qui viennent de porter Emmanuel Macron à la présidence. À sens unique. Du reste, la plateforme pose des questions importantes comme : « Rouler un joint en public, c’est mal ? CamClash fait le test dans le métro ! ».
Les mêmes et on recommence ?
On ne sera donc pas étonnés de retrouver le Bondy blog ici, média où Mehdi Meklat fit ses premiers pas. Le Bondy blog bénéficie d’un espace pour des « éditos ». Celui de la présidentielle a comme titre L’islam, défouloir des candidats. Où l’on apprend en moins de 2 minutes que « en période de campagne, les politiciens ont une carte maîtresse pour gagner quelques points ». Quel est le problème selon l’édito ? « Taxe halal, interdiction du voile dans la rue, les musées ou les universités, obligation pour les imans de passer un diplôme universitaire, tous les sujets sont bons pour faire des propositions plus radicales les unes que les autres ». En effet, les propositions énoncées et issues des programmes de différents candidats sont à n’en point douter… « radicales ». Suite : « Et nos politiciens de nous expliquer à longueur de journées que nos quartiers seraient des zones de non droit où le radicalisme est présent à chaque coin de rue. Si on les écoutait on n’oserait presque plus sortir de chez nous ». Sans compter que dans ces quartiers « le vivre ensemble marche bien mieux qu’ils ne le disent » et que « c’est surtout sur internet et dans les prisons que se développe le terrorisme ». Les 300 morts des récents attentats en France apprécieront d’avoir été assassinés sur internet. Heureusement il y a « la vérité » : « c’est que dans nos quartiers, le problème ne s’appelle pas islam. Il s’appelle chômage, pauvreté, crise du logement, discrimination ». Il y a « instrumentalisation électorale ». Mais l’on ne saisit pas si l’éditorialiste parle toujours des candidats ou bien de sa vidéo et de la plateforme de France Télévision sur laquelle elle est mise en ligne. Par contre, nous sommes certains que France Télévision est une chaîne publique.
Vote, on te dit merde !
Du coup, c’est voter qu’il faut. La proposition/question est louable : Et toi tu votes ? Sauf que globalement il faut voter… en pensant dans le cadre d’éditos comme celui du Bondy blog. La websérie est réalisée par Amelle Chahbi dont les parti-pris sont affirmés. Les scénaristes sont : Walid Afkir, Hicham Harrag, Samir Harrag, Al Huynh, Chakib Lahssaini. Dix épisodes en tout, de moins de deux minutes chaque. « 10 épisodes drôles, dérangeants et caustiques qui plongent les protagonistes dans un monde où des lois complètement folles sont passées à cause d’une abstention record ». Donc : que risquons-nous si nous nous abstenons de voter ? La réponse en 10 thèmes : le monde de l’entreprise, la retraite, la justice, la gratuité de l’école, le travail des enfants, les droits des femmes, l’hôpital, les réfugiés, les langues autorisées sur le territoire (la « clause Molière »). Cela forme un ensemble édifiant. Trois exemples. Dans Langue interdite, prononcer un mot d’amour en arabe serait interdit et entraînerait un contrôle de la sécurité dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme ». Cela arrive à un jeune couple issu de l’immigration mais possédant des cartes d’identité. Le personnage désagréable est une française « de souche » qui utilise le mot « maboul », mot d’origine arabe et est donc prise à son propre jeu discriminatoire. On retient de l’épisode que nombre de mots arabes irriguent une langue française qui en est enrichie. Dans Dix euros, la question est la suivante : devra-t-on « payer son entrée pour aller à l’école comme si on allait en boîte de nuit ? ». L’entrée dans l’école coûte dix euros, la queue est constituée de jeunes issus de l’immigration, la dame patronnesse contrôlant l’entrée est de nouveau une femme européenne quarantenaire et la queue doit laisser passer un jeune garçon de type européen qui, lui, n’a pas de soucis car il paie à l’année. Le message est clair : les « blancos » chers à manuel Valls sont riches, la pauvreté c’est pour la jeunesse des quartiers. Pourquoi cette situation ? Car ces jeunes ne votant pas laissent passer des lois libérales, sous-entendu de droite. L’école est devenue une entreprise privée à laquelle les jeunes issus de l’immigration n’auront plus accès s’ils ne mettent pas le bon bulletin dans l’urne. L’épisode Réfugiés est symptomatique de l’idéologie de la plateforme Irl. Thème : « Des jeunes se font alpaguer par la police car ils aident des migrants ». Deux jeunes issus de l’immigration dans une voiture. Début : « Je comprends pas que des lois comme ça, elles passent. Tu vois si on avait tous été voter on n’en serait pas là aujourd’hui ». Ce sont des « résistants » qui interviennent en faveur de réfugiés, la bande son diffuse du rap. La police intervient violemment : « aider les réfugiés, ça va chercher dans les deux ans ferme ça ». Les « résistants » : « on se soulèvera, et on se soulèvera par les urnes ». Insoumis, les gars. L’ensemble de la websérie est à l’avenant.
Des lois liberticides, discrètement imputés aux diverses droites, dues exclusivement à l’abstention, en particulier celle des jeunes issus de l’immigration trop peu concernés par le vote. Le message est clair : votez, merde ! Et l’idéologie dominante demeurera en place. Une websérie pleinement démocratique et ouverte sur les conceptions du monde autres. Sans doute le ministère de l’Éducation Nationale veillera-t-il à ce qu’elle soit diffusée dans les établissements scolaires ?