[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 14/03/2017]
À bientôt 30 ans, Arte veut toujours être une chaîne de télévision culturelle libérale/libertaire et pro-européenne. N’est-elle pas le bébé de Fabius et de Bernard-Henry Lévy ? Depuis 2012, Élisabeth Quin, formée à SOS racisme, y tient le haut du pavé pour les questions politiques, économiques et sociales. Regarder le Journal et le magazine 28 minutes du 28 février 2017 indique une étrange manière de faire du journalisme : l’information/amalgame…
Le budget alloué par l’État français à Arte était de 264 millions en 2016. Trois fois le budget de BFM. Arte, « l’une des plus couteuses du paysage audiovisuel français si on rapporte son budget à son audience », selon Challenges. La chaîne atteint 2 % d’audience près de 30 ans après sa création. Elle est connue pour son cinéma d’auteur, ses émissions franco-allemandes mais aussi pour ses séries, Cannabis ou Beau séjour. Sa tête de gondole demeure le documentaire : 40 % du temps d’antenne. L’audience aurait augmenté de 50 % en 5 ans. Arte ne dépasse pourtant pas ce plafond de verre des 2 %. Pourquoi ?
Arte, une chaîne qui vous veut du bien…
En 2016, le PDG du holding Arte GEIE, Peter Boudgoust, le disait : face au « repli sur soi », Arte veut « une Europe de l’intégration et du métissage ». Pour faire vivre « l’Europe de la culture ». La présence d’Elisabeth Quin est donc logique. Quin ? Journaliste de Ça bouge dans ma tête, radio de SOS Racisme, présidente du jury de la Queer Palm à Cannes en 2011, elle arrive sur Arte en 2012 pour animer 28 minutes, magazine qui suit le Journal. Quin, militante libérale-libertaire. Les dominantes de l’information d’Arte ne surprendront donc pas : les migrations, les réfugiés maltraités, le danger Front National, les menaces autoritaires (Poutine, Erdogan, Trump), le racisme, l’antisémitisme, le capitalisme prédateur. Dominantes parfois portées par des blogueurs à la mode, ainsi Mehdi Meklat et Baroudine Saïd Abdallah, les kids de Pascale Clark. Ces thèmes sont au rendez-vous de la soirée d’informations du 28 février 2017.
… en luttant contre l’autoritarisme politique d’Erdogan…
Le Journal est présenté par la journaliste issue de la diversité Kady Adoum-Douass, auparavant sur Canal +. Il comporte une dizaine de sujets, un seul consacré à la France, et s’ouvre sur un incident diplomatique entre Berlin et Ankara. Le correspondant de Die Welt en Turquie, Deniz Yücel, placé en garde à vue le 14 février, est maintenu en détention. Soupçonné d’appartenir « à une organisation terroriste ». Le visage de Kady Adoum-Douass est incrédule. Le 21 février, Die Welt a titré « Wir sind Deniz ». Pour un syndicaliste turc, le but est d’intimider les journalistes européens : « Si vous rendez compte de ce qui se passe ici, il pourrait vous arriver la même chose ». Matin brun en Turquie. Ce reportage prélude à l’information principale : la Turquie devient autoritaire. Un procès « d’une ampleur inédite » s’ouvre. 2e reportage. « 330 accusés comparaissent pour leur implication présumée dans la tentative de coup d’État contre le président Erdogan en juillet dernier. Des militaires pour la plupart, qui encourent la prison à vie. Depuis le putsch, 43 000 personnes ont été arrêtées et 1200 sont accusées d’y avoir participé ». Depuis juillet 2016, Arte enquête peu sur le coup d’État. Beaucoup sur la répression.
… avant d’exposer la lutte contre le salafisme à Berlin…
Les méthodes d’Erdogan contrastent avec celles exposées par le reportage suivant : « En Allemagne, fermeture à Berlin de la mosquée salafiste présentée comme étant la mosquée de l’EI ». L’attentat de Berlin a « accéléré l’interdiction de l’association gérant cette mosquée, dans le collimateur des autorités depuis deux ans ». Kady Adoum-Douass ne relève pas que l’Allemagne enquête longuement avant de procéder à des arrestations. Cependant, « pour la ville de Berlin cette opération est une petite victoire car cela permettrait de connaître réellement ce réseau… ». Reste que « pour les autorités, le risque est que l’association salafiste poursuive ses activités sous un autre nom ».
… pour enfin évoquer des dangers plus prégnants…
« La communauté juive de nouveau prise pour cible aux États-Unis. Des centaines de pierre tombales ont été profanées dans un cimetière juif de Philadelphie. Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, les menaces et les attaques antisémites ont redoublé d’intensité, à tel point que la Ligue Anti diffamation a offert une récompense de 10 000 dollars pour toute information qui conduira à l’identification et à l’arrestation des auteurs ». Ensuite : « Plus de 500 sépultures juives profanées, les pierres tombales renversées, certaines brisées, des scènes inimaginables en Amérique, du moins dans l’Amérique d’avant Trump (c’est nous qui soulignons). Car depuis son investiture une vague d’actes antisémites ébranle la communauté juive américaine, la plus importante du monde après Israël ». Le porte-parole de la Maison Blanche a indiqué qu’aux Etats-Unis « personne ne devait avoir peur de pratiquer sa religion ». Pourtant, insiste-t-elle « cette peur existe bel et bien chez les Juifs mais aussi chez les musulmans, de loin la communauté la plus exposée. Selon le FBI, les crimes anti musulmans ont augmenté de 67 % depuis que Trump a lancé sa campagne. Les démons racistes sont sortis de leur bouteille. Alors, contre les discours de haine, cette initiative lancée par des musulmans justement : une collecte de plus de 130 000 dollars pour réparer les tombes juives profanées ». Suit un reportage sur « Les souffrances des chrétiens Coptes d’Égypte », obligés de fuir leurs villages sous la pression de djihadistes dont la religion n’est pas indiquée. La Russie de Poutine ensuite : « Au pays de Poutine, plus de 10 000 femmes meurent chaque année sous les coups de leurs conjoints. Un constat édifiant alors que le parlement russe vient de décriminaliser certaines formes de violence faites aux femmes ». Lesquelles ? Sont-elles aussi des délits en France ? Des crimes ? Pas de mise en perspective. Erdogan, Poutine, Trump, les salafistes, les djihadistes sont les dangers qui nous menacent d’égale manière tandis que François Hollande, sous la pluie, inaugure la LGV Tours-Bordeaux. Vient alors Élisabeth Quin.
… avant d’abattre ses cartes en 28 minutes
28 minutes accueille le philosophe Pascal Bruckner et l’historien Pascal Blanchard pour débattre : « L’islamophobie est-elle un vrai racisme ? ». On comprend mieux l’enchaînement des reportages du Journal. Critiquer l’Islam est-il raciste ? Pour Blanchard, oui : « Dans la théorie, critiquer une religion doit être libre. Sauf quand la religion commence à ressembler à un discours qui identifie une population spécifique et la constitue avec des stigmates, comme une race ». Mots clés : stigmate, identité, race. Critiquer la religion musulmane est une façon de « racialiser », « tu es musulman, tu es une identité, comme on pourrait dire les noirs, les juifs ». Élisabeth Quin, Thomas Legrand et Nadia Daam opinent. Bruckner : « Je pense que la transformation de l’Islam en race est le fait de mouvements intégristes qui ont voulu protéger cette confession de toute critique et l’ont racialisée ». Quin, Legrand et Daam ? Dubitatifs. Blanchard insiste sur sa qualité de chercheur. Le téléspectateur le voit plutôt militant politique. L’historien du CNRS, auteur d’un ouvrage co-signé par Claude Askolovitch et Renaud Dély surnommé « délit d’opinion » qui vient de rejoindre l’hebdomadaire Marianne (le hasard veut qu’ils soient les deux collaborateurs réguliers de 28 minutes), Les années 30 sont de retour, développe : « Le mot islamophobie correspond aujourd’hui à un transfert idéologique dépendant du discours du Front National. On est passé d’un discours interdit sur la haine de l’arabe (…) à celui sur le musulman (…) Il est évident que vous avez aujourd’hui des électeurs du FN qui qui détestent l’Islam et le musulman ». Mais la vraie question est posée par Quin : « La fracture coloniale a‑t-elle été importée dans les banlieues ? ». Blanchard « démontre » alors que l’islamophobie est un racisme postcolonial. Les banlieusards issus de l’immigration sont dans la même situation que leurs ancêtres des colonies. La preuve : « On le sait, en France, vous êtes 6 fois plus arrêté par la police quand vous êtes noir ou arabe ». Thomas Legrand n’intervient pas. Légalité ou non des statistiques ethniques en France ? « Ce sont les mentalités qui doivent changer », à commencer par l’Éducation Nationale qui doit « enfin enseigner la colonisation ». « Et la décolonisation », essaie Bruckner. Le philosophe, seul face à ses interlocuteurs, parviendra à placer un ou deux arguments. Ainsi : « L’Islam a un retard à rattraper en raison de son incapacité à avoir un regard critique sur lui-même ». Le plan sur ses interlocuteurs ne laisse alors aucun doute sur la nature « islamophobe » d’une telle phrase. Finalement, il est peut-être préférable qu’Arte ne dépasse pas son plafond de verre, tant ses informations sont éloignées du pays dans lequel les téléspectateurs vivent. Information ou militantisme ? A vous de choisir.