La situation de l’espace médiatique n’a pas fondamentalement changé depuis 15 ans et l’ouvrage de Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, paru en 1997, est encore parfaitement d’actualité. La quarantaine de journalistes occupant une place disproportionnée dans le débat public est toujours là. Ce qui a changé, c’est la situation globale des médias (financiarisation, généralisation de la révolution numérique) mais également le développement de la critique des médias. Grâce à la multiplication des canaux d’information et de contre-information, on la trouve désormais partout.
« Informer sur l’information »
Quels sont ces supports qui participent à la critique des médias ? Si leurs moyens, leurs aspirations et leurs conclusions varient, ils partent pourtant d’un point commun : critiquer les médias, c’est d’abord le droit d’informer sans contrainte ni censure. Il s’agit donc « d’informer sur l’information », selon Claude Chollet, fondateur de l’Observatoire des Journalistes et de l’Information Médiatique (OJIM). Cette critique des médias est florissante depuis quelques années. Des « médiateurs » sont désormais présents dans un certain nombre de médias aux émissions de décryptage (Arrêt sur Images, Médias le Magazine). Pourtant, Pierre Carles, réalisateur et documentariste français (Pas vu pas pris, Fin de concession, DSK, Hollande…) ne mâche pas ses mots sur ce genre d’émissions. « Nombreux sont ceux qui ont cru qu’Arrêt sur Images incarnait LA critique possible de la télévision alors que ce n’était qu’un ersatz de critique du petit écran. On nous a refait le même coup, quelques années plus tard, avec le « Petit Journal » de Yann Barthès sur Canal+. C’est une histoire sans fin. Pour savoir si la critique des médias opérée par untel ou untel est dérangeante ou pas, un bon indicateur : la durée de vie de l’émission. « Le droit de regard » animé par Michel Naudy n’a duré que quelques dizaines de numéros tandis qu’ « Arrêt sur images », le « Petit Journal » comptent des centaines d’émissions. Hypothèse à cette longévité : les animateurs de ces programmes savent bien où s’arrêter, pratiquant l’autocensure pour durer le plus longtemps possible et réussir ainsi à faire fructifier leur petit « business » de faux impertinent. »
Les journalistes critiques d’eux-mêmes ?
Les médias dits « dominants » possèdent également leur propre émission et autre rubrique « médias », tels L’Express, Le Point. « Ces blogs, ce sont des opérations de dédouanement. Regardez, on est critique par rapport à nous-mêmes et à la profession. Regardez, on est éthique. Cela n’apporte rien », souligne Claude Chollet. Des médias dits « alternatifs » de droite comme de gauche s’occupent également de critique des médias (Acrimed, Fakir, OJIM, Polémia, Boulevard Voltaire…). Une dernière catégorie, enfin, née de l’articulation entre la critique des médias et la proposition de transformation des médias : « l’Appel de la Colline » impulsée par Mediapart ou encore « Les Assises du Journalisme » sous l’égide notamment de Jérôme Bouvier. Certains verront dans ce foisonnement critique à l’intérieur des médias eux-mêmes une avancée significative de leur indépendance et de la liberté d’expression. Pour d’autres, dans la mesure où le contexte économique conditionne la production elle-même, il est impossible d’aller loin dans la critique de ce système nourricier « englobant ». « La critique des médias ne peut être radicale qu’à l’extérieur », souligne Philippe Lespinasse, producteur et réalisateur de documentaires. « Un pouvoir tombe quand il est critiqué de l’intérieur », réplique Jean-Yves le Gallou, directeur de la Fondation Polémia.
Acrimed : Informer, contrer, proposer, mobiliser.
Au-delà du débat d’idées, une prise de conscience sur l’importance de la question médiatique se développe aujourd’hui. Une question qui est née dans la droite lignée d’Acrimed, fer de lance de la critique des médias en France. Dans le paysage de la critique des médias, Acrimed occupe en effet une place prépondérante. Créée en 1996 par deux universitaires proches de Pierre Bourdieu, elle s’inscrit directement dans la foulée du mouvement social de 1995 et dans le sillage de l’Appel à la solidarité avec les grévistes. Auto-constituée en « Observatoire des médias », elle réunit des acteurs d’horizon divers : des journalistes et salariés des médias, des chercheurs et universitaires, des acteurs du mouvement social et autres « usagers » des médias. Ses objectifs sont résumés en quatre points : « Informer, contrer, proposer, mobiliser ». Par dessus tout, elle souhaite « intervenir publiquement, par tous les moyens à sa disposition, pour remettre en question la marchandisation de l’information, de la culture et du divertissement, ainsi que les dérives du journalisme quand il est assujetti aux pouvoirs politiques et financiers et quand il véhicule le prêt-à-penser de la société de marché ». Acrimed use d’une critique radicale et appelle à une transformation profonde des médias. Sa réflexion permet non seulement de critiquer les effets des médias sur l’exercice de la démocratie. Elle permet également de déceler le potentiel de transformation des médias par l’exercice de la démocratie tout en formulant des propositions de transformation démocratique des médias.
Des moyens d’actions différents
L’action d’Acrimed se retrouve à travers son site internet mais aussi par l’intermédiaire de Médiacritique(s), magazine trimestriel initié en 2011. A la question : « pourquoi un magazine papier ? », l’association répond sur son site : « Acrimed n’est pas seulement un site internet, mais une association, qui s’exprime et agit collectivement sur le terrain de la critique des médias. Tous les supports sont bons, dès lors, pour rendre accessible cette critique, et pour donner les moyens à ceux qui la soutiennent de la partager et de la diffuser. En second lieu, parce que nous avons conscience des limites de l’outil internet, et savons que rien ne remplacera définitivement le papier. Enfin, Médiacritique(s) a l’ambition de toucher un public plus large que les familiers de notre site, en étant diffusé, autant que possible, dans les librairies et les kiosques ». Acrimed organise enfin « Les Jeudis d’Acrimed », Depuis 1996, une fois par mois, des débats sont organisés avec des journalistes, des chercheurs, des acteurs du mouvement social.
Polémia : lutter contre le totalitarisme de la bien-pensance
La Fondation Polémia a vu le jour en 2002. « Elle est conçue essentiellement comme un think tank sur internet. Nous produisons des textes, nous en récupérons aussi. Nous sommes plus dans la réflexion que dans le suivi de l’actualité pure, » explique Jean-Yves le Gallou, son fondateur. Cet ancien dirigeant du FN puis du Mouvement national républicain (MNR) entend « changer l’ordre médiatique par un contournement du mur médiatique dominant par les médias alternatifs. Ces gens là ont tous en commun d’exister à l’extérieur du système dominant. » Depuis quelques temps, un phénomène l’irrite particulièrement : l’aspiration « totalitaire » des médias « dominants ». « On remarque ceci, par exemple, avec la fameuse liste noire de Patrick Cohen sur France Inter. Actuellement, on est confronté à un totalitarisme de la bien-pensance. » L’animateur de la matinale de France Inter a en effet créer la polémique en considérant le 12 mars dernier sur le plateau de « C à vous » (France 5) qu’il y avait des des invités à qui il ne fallait pas donner la parole. Il citait quatre noms : l’islamologue Tariq Ramadan, l’humoriste Dieudonné, l’essayiste Alain Soral et l’écrivain Marc-Edouard Nabe. Il y a ajoutera ensuite l’acteur Mathieu Kassovitz. Daniel Schneidermann considéra cette sortie comme une « faute professionnelle » pour un animateur du service public.
Porte-plume de la banque Rothschild…
Jean-Yves le Gallou porte également un regard très critique sur l’extrême-gauche et notamment sur son lien avec les médias. Dans un article paru le 9 octobre dernier sur le blog « Droite(s) extrême(s) », il écrit : « Un journaliste de Libération, c’est un porte-plume de la banque Rothschild. Un journaliste du Monde, c’est un porte-flingue de la banque Lazard ! Les plumitifs de l’extrême gauche et le grand capital se sont alliés pour détruire les nations et les traditions. » Assez ironique aussi sur les associations de critique des médias se revendiquant du mouvement d’extrême-gauche. « Cela ne me gêne pas de reprendre des choses qui proviennent de l’extérieur. A l’inverse, c’est difficile pour eux. » Henri Maler dans un article paru le 18 octobre dernier sur le site d’Acrimed lui renvoie la balle : « Tous les médias qui ne partagent pas leur point de vue sont des ennemis. Et face à l’ennemi, un seul mot d’ordre : à l’assaut ! On l’a compris : leurs prétendue critique des médias n’est que l’habillage de leur propagande générale et d’un projet de politique global. »
La critique des médias, essence même de la démocratie
Tous, de droite comme de gauche, tout support confondus, prétendent pourtant voir l’information traitée comme elle le mérite : comme un bien commun, un bien démocratique essentiel. Aujourd’hui, la presse ne joue plus son rôle de « quatrième pouvoir ». Celle-ci est réduite à un simple produit industriel. Derrière, l’information s’en ressent. Derrière encore, le devoir de vérité est galvaudé. Edwy Plenel, co-fondateur du site Mediapart et récent auteur de l’ouvrage Le droit de savoir prône ce « devoir de vérité » chez tout journaliste. Un devoir de vérité directement menacé par la pression de la hiérarchie qui, elle-même, est liée aux aspirations capitalistes du propriétaire. Dans son livre, Les patrons de la presse nationale, Tous mauvais, Jean Stern éclaire de sa plume ce constat. Cet ancien de Libération et de La Tribune montre une presse aux abois, car les patrons du CAC 40 ont fait main basse sur elle. A Libération, on ne parlait pourtant pendant longtemps que d’une chose : mettre les journaux à l’abri des puissances d’argent et protéger leur indépendance. Mais au fil des années, cette louable ambition s’est effilochée. Les Arnault, les Dassault, les Pigasse, les Bolloré contrôlent dorénavant la presse nationale via leurs holdings aussi opaques que rémunératrices.
Les journalistes ont mauvaise presse
Au final, les mutilations de l’espace médiatique contribuent à abimer la vie démocratique. La critique des médias, elle, reste encore partie intégrante du débat public sous de multiples formes et notamment sous le couvert de médias dit « alternatifs ». Laurent Joffrin a, lui, une idée bien précise de cette critique alternative. Dans son ouvrage Media Paranoia paru en 2009, l’actuel directeur de la publication du Nouvel Observateur affirme que la critique des médias est une conduite de compensation inspirée par le ressentiment. Parce qu’ils seraient « minoritaires » et appartiendraient souvent aux « extrêmes », les critiques se serviraient des médias comme de boucs émissaires pour expliquer leur marginalisation. « Le réquisitoire repose bien souvent sur des idées reçues. On dit partout : les médias mentent ; ils sont sous contrôle ; ils propagent une « pensée unique » ; ils manipulent l’opinion. Heureusement pour la démocratie, ces idées sont pour l’essentiel fausses ou caricaturales. » Il n’empêche qu’aujourd’hui, les journalistes ont mauvaise presse. « Ils sont déstabilisés, car la profession est en crise à la recherche d’un nouveau modèle économique. Ce métier n’a jamais autant été décrié. Dans les sondages, les journalistes arrivent même devant les banquiers… », déplore Claude Chollet. Alors que ce soit de l’observation, de la critique des médias, les supports fleurissent un peu de partout. On pourrait craindre une homogénéisation. Claude Chollet, plutôt, parle de « complémentarité ».
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