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[Dossier] La fabrique du crétin : Blaise Wilfert Portal dans la Revue du Crieur

11 avril 2016

Temps de lecture : 7 minutes
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[Dossier] La fabrique du crétin : Blaise Wilfert Portal dans la Revue du Crieur

Temps de lecture : 7 minutes

La Revue du Crieur, émanation conjointe de Médiapart et de l’éditeur La Découverte n’en est qu’à son numéro trois, mais la dernière livraison contient une véritable pépite : « Je suis en terrasse ou le retour du nationalisme ? ». Enlevez le point d’interrogation car le titre est performatif. Vous avez bien lu, le mouvement bisounours hédoniste et individualiste qui a suivi les attentats de novembre serait la résurgence apparemment bon enfant et innocente – mais grosse de sombres lendemains – d’un nationalisme culturel agressif !

Au lende­main des atten­tats, les médias dom­i­nants avaient lancé la mode de la « résis­tance hédon­iste ». Le Point titrait : « Tous au bistrot », Le Canard enchaîné appelait « Tous au zinc et sif­flez des canons », le réal­isa­teur Michel Haz­anavi­cius lançait un pro­gram­mé héroïque : «  L’idée est prin­ci­pale­ment de bais­er, rire, manger, jouer, bais­er ». Enfin, Le très con­formiste Le Monde, sous la sig­na­ture de la pro­fesseur de philoso­phie San­dra Laugi­er, soulig­nait que « …les dji­hadistes … s’en sont pris à notre mode de vie, notre cul­ture, autrement dit à notre iden­tité de Français Black Blanc Beur (sic). Et donc à notre dra­peau ». Le fas­cisme n’est pas loin. La Comédie Française lançait le hash­tag grotesque #the­atre-lovelife, et Vin­cent Ces­pedes se mobil­i­sait pour « une forme de résis­tance nou­velle que d’aller au café ». Une cohorte courageuse en vérité.

Tous en terrasse ?

Tous ces appels niais cacheraient selon l’auteur un som­bre mou­ve­ment souter­rain, la réitéra­tion d’une forme de “nation­al­isme cul­turel”  car «  le nation­al­isme est en effet depuis son orig­ine lié à la cul­ture. À chaque fois il s’agit d’inventer des peu­ples… » (c’est nous qui soulignons). Cette phrase est la clé de voute de toute l’argumentation qui suiv­ra. Le peu­ple est une inven­tion, une fable pour les enfants mais une fable sournoise, le retour des class­es dan­gereuses qui effrayaient tant (et con­tin­u­ent d’effrayer) les pos­sé­dants. Nous con­seil­lons à nos lecteurs de lire et relire Michéa pour saisir à quel point une cer­taine gauche intel­lectuelle a aban­don­né le peu­ple pour un uni­ver­sal­isme théorique plus con­forme à ses intérêts matériels et moraux. Mais pour­suiv­ons notre lecture.

C’est un « nation­al­isme cul­tur­al­iste … qui pré­tend que c’est un mode de vie français qui a été attaqué ». Un mode de vie « pré­ten­du­ment joyeux et fes­tif » et « gen­ti­ment pail­lard et coquin », c’est Superdupont de Gotlib avec son béret, sa cape tri­col­ore, le kil de rouge et la baguette sous le bras. Mais qu’est ce que ce « nation­al­isme cul­tur­al­iste ? ». C’est le « nous », ce qui est « nôtre » ces « …petits mots de l’identité et de l’appartenance, le notre placé devant cul­ture, devant iden­tité, le nous rap­pelé dans chaque for­mule », ce qui car­ac­térise « une essence nationale sup­posée ». Une dérive « qui fait de la France le pays de l’apéro saucis­son ». D’ailleurs « l’extrême droite » ne s’est pas privée d’agrémenter les ter­rass­es « de cochon­nailles et de vins ». On trem­ble devant de telles provo­ca­tions man­i­feste­ment haram. Car le nom de nation peut « se prêter à toutes les formes de manip­u­la­tions, à toutes les formes de stig­ma­ti­sa­tions ».

Cachez ce peuple…

Après l’évacuation du peu­ple – passé par pertes et prof­its – vient le règne du droit. « L’État libéral mod­erne, l’État de droit…ne peut … assign­er de con­tenu éthique et cul­turel à la nation­al­ité française ». Com­prenez : le libéral­isme mon­di­al (dont l’épigone de Médi­a­part se fait le défenseur en creux mais de manière effi­cace) ne peut tolér­er de dif­férence nationale. Tous ensem­ble, tous ensem­ble (répétez trois fois en sautil­lant) mais surtout tous pareils. Français, Bor­dures, Poldèves, Mol­dav­es, Tchouk­tch­es, Syl­dav­es et autres Ital­iens ou Alle­mands, vous n’existez pas pour l’État libéral bien­tôt heureuse­ment mon­di­al­isé sous le signe libéra­teur du proche Traité Transat­lan­tique. « La var­iété des modes de vie, des pra­tiques cul­turelles, des croy­ances et des con­vic­tions est une con­di­tion indé­pass­able des sociétés humaines de grande taille ». Com­prenez : la société du droit de l’oligarchie libérale, c’est le droit de manger du poulet ouolof, du Pho viet­namien, du kebab arabe au coin de la rue et d’assigner aux africains comme aux asi­a­tiques le goût du steak frites ou beau­coup mieux celui du ham­burg­er uni­versel. Sachez-le, nous sommes men­acés non par la société uni­verselle grise et aplatie mais par « la créa­tion d’un sen­ti­ment de com­mu­nauté cul­turelle, inévitable­ment fac­tice et pro­fondé­ment autori­taire ». Car toute com­mu­nauté est de l’ordre de l’artificiel, fac­tice et poten­tielle­ment matraque­use dans ses pro­fondeurs. Enten­dez-le bien, la cul­ture sera mon­di­al­isée et lib­er­taire, les fron­tières physiques, eth­niques, cul­turelles seront abolies pour un plus grand prof­it, mais le plus grand prof­it de qui au fait ? Il ne faut pas longtemps pour com­pren­dre que les grands béné­fi­ci­aires de ces dis­pari­tions seront les firmes transna­tionales pou­vant impos­er leurs normes sur un plan mon­di­al. Le rêve de Wall Street et des nou­veaux rich­es de tous les pays. N’oublions pas le dra­peau ou plutôt si oublions le et tout de suite. Ce sym­bole « con­t­a­m­iné par l’utilisation sys­té­ma­tique qu’en a faite le Front Nation­al ».

Sus au drapeau !

On aurait pu croire que la Vème République avait entraîné le « renon­ce­ment aux formes tra­di­tion­nelles, notam­ment mil­i­taires, de l’affirmation de la puis­sance nationale que le dra­peau a tant con­tribué à met­tre en image». Las, ce dra­peau « retrou­ve tout son sens de ral­liement, fût il sym­bol­ique, face à l’ennemi. » Car « dans un monde paci­fié » le recours mil­i­tant au dra­peau con­tribue à une util­i­sa­tion cli­vante de la vie poli­tique entre le nation­al et l’étranger. Oui, « dans un monde paci­fié », ces lignes ont été écrites après les atten­tats de novem­bre… Pire le dra­peau a été util­isé aus­si à l’étranger car « dans notre monde, l’humanité n’a pas de vis­age sym­bol­ique mobil­is­able », le dra­peau de l’ONU peut-être ? On pour­rait pro­pos­er à défaut celui d’une des innom­brables entités de Mon­sieur Soros, l’ami de la CIA et des droits de l’homme ? Celui qui sort ce mal­heureux dra­peau français fait « mon­tre d’une mobil­i­sa­tion, d’une acti­va­tion explicite de son statut de citoyen », un citoyen hélas proche de la représen­ta­tion du FN autour de la catholic­ité, de la race blanche et de la francité de souche (sic).

Tout ce ram­dam, ce tin­ta­marre autour de la com­mu­nauté, de la nation devient au final un ode à « un art de vivre français, sus­cep­ti­ble de toutes les manip­u­la­tions iden­ti­taires ». Cet art de vivre est en réal­ité une « cage de fer » qui obère, anni­hile « l’alternative cos­mopo­lite ». Fer­mez le ban.

La fab­rique du crétin

Ce texte à tous égards extra­or­di­naire et d’un humour involon­taire pour­rait évo­quer un pas­tiche. Il n’en est rien. Il est révéla­teur de l’état d’esprit d’une par­tie de la caste intel­lectuelle. Ces élites auto­proclamées, naturelle­ment cos­mopo­lites, naturelle­ment libérales, naturelle­ment du côté du manche et de la mora­line, naturelle­ment con­tentes d’elles-mêmes, naturelle­ment droits de l’hommistes ont tout sim­ple­ment évac­ué le réel. Le monde paci­fié, unifié, uni­formisé, plat attend le dernier homme, l’homme sans qual­ités, sans pro­fondeur, sans fron­tières. Il n’y a plus – il ne doit plus y avoir – de liens ver­ti­caux, famille, reli­gion, région, patrie, seuls comptent les liens hor­i­zon­taux de l’individu libéral enfin délivré de ses attach­es. C’est à la fois un pro­gramme poli­tique et un mode de vie où compte le seul indi­vidu sans his­toire et sans culture.

Le mou­ve­ment le plus stu­pide, le plus niais, après les atten­tats, le plus lâche sous cou­vert de faux courage, le mou­ve­ment « allons en ter­rasse » devient gros de déra­pages, de pos­si­bles stig­ma­ti­sa­tions en gésine de nauséabon­des et sul­fureuses récupéra­tions (nous accu­mu­lons volon­taire­ment les poncifs).

Quand on apprend que l’auteur enseigne les sci­ences sociales à l’École Nor­male Supérieure, on com­prend mieux le livre pré­moni­toire paru il y a plus de dix ans de Jean-Paul Brighel­li « La fab­rique du crétin ».

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