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[Dossier] La presse française et européenne vent debout contre Norbert Hofer

10 août 2016

Temps de lecture : 13 minutes
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[Dossier] La presse française et européenne vent debout contre Norbert Hofer

Temps de lecture : 13 minutes

[Pre­mière dif­fu­sion le 27 mai 2016] Red­if­fu­sions esti­vales 2016

L’occasion était trop belle. Le 24 avril 2016, Norbert Hofer, le candidat du FPÖ, termine en pôle position du premier tour de l’élection présidentielle autrichienne, devançant de 14 points l’écologiste Alexander Van der Bellen. Une première étape remportée « à la surprise générale », nous dit-on. Surtout celle des médias occidentaux, faudrait-il ajouter, ces derniers étant de plus en plus coupés du réel alors que l’Autriche fait face à des problèmes migratoires sans précédent.

En prévi­sion d’un sec­ond tour le 23 mai où Hofer part favori, c’est le bran­le-bas de com­bat dans la presse aux ordres. Partout, notam­ment en France, on crie à la men­ace fas­ciste, on dénonce la mon­tée de l’« extrême-droite » et on entend, à son niveau, influer au max­i­mum sur le résul­tat du scrutin. Petit tour d’hori­zon d’une semaine de pro­pa­gande ouverte pour « éviter le pire ».

Norbert Hofer, un nazi souriant qui vous veut du mal

« Dis­cret et cour­tois », Nobert Hofer n’en est pas moins d’« extrême droite » pour la presse française. Pour L’Ex­press, et bien d’autres, il est donc, logique­ment, « l’ex­trême-droite avec une pat­te de velours (et un flingue) ». Un flingue ? Oui, car n’ou­blions pas que le can­di­dat du FPÖ est un « adepte du tir sportif » et aime, par­fois, porter une arme (en toute légal­ité) pour, dit-il, « ren­forcer son sen­ti­ment de sécu­rité ». Mais pour qui n’au­rait pas pris la peine d’aller plus loin que le titre, ce qui est mal­heureuse­ment le cas de beau­coup, Nobert Hofer appa­raît, à pre­mière vue, comme un nazi armé qui a fait cam­pagne « le Glock à la cein­ture » (L’Obs).

Car nazi, il l’est aus­si ! C’est Chris­t­ian Rain­er, rédac­teur en chef de l’heb­do­madaire Pro­fil, qui le dit : « Quand on par­le de Nor­bert Hofer, on par­le de quelqu’un fasciné par l’idéolo­gie de la Grande Alle­magne. On par­le de quelqu’un qui a été sor­ti du cha­peau par un chef de par­ti qui a frayé dans le milieu néon­azi. » Une déc­la­ra­tion sans fonde­ment qui sera reprise et mise en avant, AFP oblige, par toute la presse, Figaro com­pris. Sans fonde­ment ou presque : dans sa jeunesse, Hofer a appartenu à la cor­po­ra­tion estu­di­antine « Marko-Ger­ma­nia », procla­mant l’Autriche comme faisant par­tie inté­grante de la Grande Alle­magne. Vis­i­ble­ment, seule l’ex­trême-droite n’a pas le droit aux casseroles de jeunesse…

De plus, lors de ce pre­mier tour, Hofer a réal­isé « le meilleur score jamais enreg­istré par le FPÖ à un scrutin nation­al depuis la guerre ». On vous l’avait bien dit, que la guerre n’é­tait pas si loin ! Et tant pis si le par­ti n’a été fondé qu’en 1956… Qui plus est, Hofer partage aus­si avec le führer une volon­té d’expansionnisme his­tori­co-iden­ti­taire. En févri­er 2015, l’ingénieur aéro­nau­tique s’est en effet pronon­cé pour le retour du Tyrol, rat­taché à l’I­tal­ie depuis 1919, à l’in­térieur des fron­tières autrichi­ennes. Un thème « cher à l’ex­trême droite depuis la fin de la sec­onde guerre mon­di­ale », nous dit L’Obs. Sauf que Hofer a défendu le droit à l’au­todéter­mi­na­tion des habi­tants de cette région et qu’il n’est évidem­ment en rien ques­tion de con­quête militaire…

Pour FranceTV­in­fo, l’homme poli­tique de 45 ans est un « para­no », un « idéo­logue » qui cache bien son jeu. Autre grief à son act­if : il est « islam­o­phobe », expres­sion util­isée tant par Libéra­tion que, servile­ment, par Le Figaro. « Pour moi, la burqa est un sym­bole de l’oppression des femmes, tout comme le foulard », a déclaré Hofer. Et Metronews de renchérir grossière­ment : « Autant de dis­cours pronon­cés avec un revolver à la cein­ture. » Com­prenez : Nobert Hofer compte tir­er à vue sur les femmes por­tant le voile ! D’ailleurs, le bougre a même refusé, s’il était élu, de nom­mer une femme por­tant le voile dans son gou­verne­ment. Pour ne rien arranger, suite à un acci­dent de para­pente, il se déplace désor­mais avec une canne, en boi­tant. Cela lui donne, sans aucun doute, un côté étrange et cynique à la Tal­leyrand (ou à la Doc­teur House, pour les plus jeunes).

Ce dia­ble boi­teux, comme était d’ailleurs surnom­mé le min­istre des rela­tions extérieures de Napoléon, est assuré­ment « anti-Islam », comme nous l’as­sure L’Obs. Pour preuve : il refuse que l’Autriche, qui accueille déjà 90 000 « réfugiés » ne devi­enne le pre­mier pays d’ac­cueil de l’U­nion Européenne. Pire : il ne veut pas que l’Autriche devi­enne « un pays à majorité musul­mane ». Comme le note Libéra­tion dans son arti­cle, sobre­ment inti­t­ulé « le péril Hofer » : « Pour lui, l’Europe est con­fron­tée à une “inva­sion musul­mane” de réfugiés venus “prof­iter des allo­ca­tions” autrichi­ennes. Armer les sol­dats à la fron­tière est, selon lui, une évi­dence. » Avant, cela s’appelait tout sim­ple­ment des douaniers. Quant à son rival, l’é­col­o­giste Alexan­der Van der Bellen, il est lui-même « fils et petit-fils de réfugiés ». Il est donc, logique­ment, dans le camp des gen­tils. Peu importe que ce « réfugié » soit un descen­dant d’aris­to­crates russes.

L’Hu­man­ité, aus­si, y va de sa pique. Pour le jour­nal com­mu­niste, le can­di­dat d’« ultra­droite » « se déchaîne con­tre les musul­mans » et ose évo­quer les « valeurs et racines chré­ti­ennes » de son pays. Per­son­ne ne con­teste son aspect présentable, poli, sym­pa­thique. Cepen­dant, dans la presse, c’est la course à l’ex­pres­sion la plus ridicule, de la « main de fer dans un gant de velours » (Le Figaro) à l’« extrémiste si présentable » (Le Point) en pas­sant par le « loup dans un cos­tume de mou­ton » (Euronews)…

Mais quand bien même cette sym­pa­thie évi­dente lui est recon­nue, elle est con­sid­érée, partout, comme étant un habile moyen de manip­u­la­tion. Une stratégie qui est égale­ment prêtée, en France… à Marine Le Pen. Dans la presse, on n’a d’ailleurs pas man­qué de faire le par­al­lèle entre le duo Nobert Hofer-Heinz-Chris­t­ian Stra­che (dirigeant du FPÖ au dis­cours plus direct) et le duo Marine Le Pen-Jean-Marie Le Pen. Comme l’écrit Mar­i­anne, le FPÖ n’est-il pas le « cousin d’ex­trême-droite » du FN ? Car bien-sûr, il n’est même pas néces­saire d’in­sis­ter sur ce point : en plus d’être armé, nazi, anti-islam et autori­taire, Nobert Hofer est évidem­ment d’« extrême-droite ».

Sans aucun doute, ce fut l’ex­pres­sion la plus util­isée de la cam­pagne. En cette fin du mois de mai, l’« extrême-droite » était « aux portes du pou­voir » en Autriche, et il fal­lait se mobiliser…

La menace brune ne passera pas

La dia­boli­sa­tion de Nobert Hofer n’au­ra pas suf­fit, il fal­lait égale­ment alert­er l’opin­ion à grand coups de men­ace d’apoc­a­lypse et de désas­tre. Assuré­ment, l’ob­jec­tiv­ité aura, une fois de plus, man­qué à l’ap­pel lors de cette cou­ver­ture médi­a­tique dis­pro­por­tion­née et déséquili­brée. Face à l’é­co­lo fréquentable : le nazi sus­cep­ti­ble de met­tre un terme à la dia­boli­sa­tion de l’« extrême-droite » en Europe (c’est Mar­i­anne qui s’inquiète…).

Selon Libéra­tion, qui voit Hofer comme un « péril », seules deux solu­tions s’of­frent à la gauche : « un sur­saut ou le chaos ». Dans sa boule de cristal spon­sorisée par Patrick Drahi, Libéra­tion voit donc un avenir apoc­a­lyp­tique pour l’Autriche en cas de vic­toire du FPÖ. Ses sources ? Des mil­i­tants de gauche, des com­mu­nistes, qui se mobilisent avec des dra­peaux estampil­lés « Pas de nazi dans la Hof­burg ». Ain­si, con­clut Libé, lors du vote du sec­ond tour, il fau­dra un sur­saut démoc­ra­tique : « C’est ça ou le saut dans le vide. Ou un pays au bord du chaos. »

Pour Le Point égale­ment l’Autriche n’a que deux solu­tions. L’une enrobée de miel, l’autre de cya­nure : « l’ex­trémiste Hofer ou l’é­col­o­giste Van der Bellen », titre l’heb­do­madaire. Partout, on craint que l’actuel vice-prési­dent du Par­lement autrichien ne sème le désor­dre dans le paysage poli­tique du pays, notam­ment avec un ren­voi du gou­verne­ment et une dis­so­lu­tion de l’Assem­blée. Pour­tant, « le can­di­dat d’ex­trême droite a sou­vent répété qu’il respecterait les usages et qu’il ne ren­ver­rait le gou­verne­ment qu’en dernier recours », explique un jour­nal­iste. Mais FranceTV­in­fo craint « qu’il cache ses vraies inten­sions (sic) pour ne pas inquiéter les électeurs ». Ce qu’il dit est inquié­tant mais ce qu’il ne dit pas l’est encore plus, en somme.

De son côté, La Tri­bune estime que cette élec­tion serait un « véri­ta­ble coup de ton­nerre en Europe, car, pour la pre­mière fois, un représen­tant de l’ex­trême-droite deviendrait chef d’un État mem­bre de l’UE et de la zone euro et il y serait par­venu par une élec­tion directe au suf­frage uni­versel ». Mais out­re ces craintes, com­ment expli­quer cette ten­dance ? Pour Romar­ic Godin, tou­jours sur La Tri­bune, le pays est « tra­vail­lé par la nos­tal­gie de la grandeur per­due des Hab­s­bourg » et à cela s’est ajouté… « un manque de cul­pa­bil­ité pour la péri­ode nazie du pays ». Mais oui ! Exit la crise migra­toire et les délires austéri­taires de l’UE.

Pour BFMTV, « l’ex­trême-droite est aux portes du pou­voir ». Et de s’inquiéter qu’« en Autriche, Nor­bert Hofer ne fait presque plus peur ». Il faut donc relancer la peur. D’après La Tri­bune de Genève, la « per­cée de l’ex­trême-droite » se fait dans « une Autriche effrayée ». Effrayée par « les dizaines de mil­liers de réfugiés ayant débar­qué sur leur sol, inqui­ets par la mon­tée du chô­mage et furieux de l’immobilisme des gou­ver­nants actuels ». Assuré­ment, leur choix est donc irra­tionnel. Ain­si frag­ilisée, apeurée, l’Autriche est donc sur le point de « tomber sous le joug de l’ex­trême-droite » (Euronews). Quand bien même la vic­toire se ferait par les urnes, elle aurait donc tou­jours des allures de con­quête mil­i­taire, d’oc­cu­pa­tion, de « joug ».

Au micro d’Europe 1, Jean-Michel Aphatie a quant à lui par­lé de « men­ace pour l’Eu­rope ». Rap­pelant que Nor­bert Hofer avait tenu, « dans sa jeunesse », des pro­pos anti­sémites (la belle affaire), celui-ci a estimé que son élec­tion serait « une mau­vaise nou­velle pour une Europe déjà essouf­flée, divisée et déboussolée ».

Pour couron­ner le tout et ren­forcer l’in­quié­tude, BFMTV nous par­le des 600 000 musul­mans autrichiens qui « reti­en­nent leur souf­fle ». Dans son édi­tion, la chaîne info rap­porte le témoignage de « Mona », une blogueuse musul­mane voilée dont l’amie, elle aus­si voilée, se serait faite agressée dans le tramway à cause de son foulard. Et la chaîne d’a­jouter que « dans le pays, les agres­sions à con­no­ta­tions raciste et islam­o­phobe ont forte­ment aug­men­té depuis un an ». Ain­si pour BFMTV, même si l’é­col­o­giste venait à l’emporter, « le mal est déjà fait ». 

Soulagement… et inquiétude

Ouf ! Nous sommes le lun­di 23 mai, les votes par cor­re­spon­dances ont été dépouil­lés (et ont ren­ver­sé la sit­u­a­tion), les résul­tats du sec­ond tour sont offi­ciels : c’est l’é­col­o­giste Alexan­der Van der Bellen qui rem­porte l’élec­tion prési­den­tielle, devançant le descen­dant d’Hitler de seule­ment 31 000 voix (50,3 %). Le « sur­saut de l’Autriche » (La Dépêche) a bien eu lieu ! « Toute l’Eu­rope attendait le résul­tat ». La voici soulagée. Recon­nais­sant sa défaite, Nobert Hofer a déclaré que « les efforts déployés pour cette cam­pagne ne sont pas per­dus, mais sont un investisse­ment pour l’avenir ». Pour La Dépêche, c’est assuré­ment une « men­ace ». Et le quo­ti­di­en du midi de s’in­ter­roger : « L’Eu­rope va-t-elle enfin avoir con­science de cette tâche brune qui, si elle n’y pre­nait garde, pour­rait un jour prochain obscur­cir son paysage ? »

En plein délire, La Dépêche va jusqu’à con­sid­ér­er cette « ultime réac­tion des électeurs autrichiens » con­tre le « nation­al-pop­ulisme » con­tre « un acte de résis­tance ». Fort de café pour un quo­ti­di­en qui – sans doute l’a-t-il oublié – a col­laboré sous l’Oc­cu­pa­tion. S’il se dit « sat­is­fait » de la défaite de l’« extrême-droite », il s’in­ter­roge encore : « Faudrait-il alors, dans une pos­ture morale, se con­tenter de rap­pel­er com­ment naquirent les mon­stres du passé ? » La mémoire est, vis­i­ble­ment, très sélective.

Dans toute l’Eu­rope, la presse est « soulagée mais inquiète » (Le Soir). En Alle­magne, le Der Spiegel alerte sur le fait que « le pop­ulisme de droite est en plein essor en Autriche ». La Süd­deutsche Zeitung estime que « le SPÖ doit se res­saisir ». En Suisse, La Tri­bune de Genève estime que la défaite du FPÖ est « une alerte pour le reste de l’Europe ». En Angleterre, le Guardian a choisi de par­tir à la ren­con­tre des immi­grants vivant en Autriche, « soulagés par la défaite de Nor­bert Hofer ». Enfin en Espagne, El Pais juge que l’Eu­rope est « effrayée ». « La xéno­pho­bie a prospéré comme un poi­son. Ses caus­es : la psy­chose ter­ror­iste, le délite­ment social, l’auto-sabotage par l’UE de ses valeurs fon­da­tri­ces (réap­pari­tion des fron­tières, exter­nal­i­sa­tion du prob­lème migra­toire à la Turquie), et l’obscénité avec laque­lle les lead­ers xéno­phobes se ser­vent des instincts et les sen­ti­ments, en faisant appel à la cohé­sion que pro­pose le réc­it nation­al­iste », lance le quo­ti­di­en de gauche.

En France, les médias ont égale­ment été très imag­i­nat­ifs. Pour France Inter, « l’Autriche a préfère le vert au brun ». Pour FranceTV­in­fo, c’est « le soulage­ment qui domine » même si cette élec­tion reste une « forme d’aver­tisse­ment ». Dans un autre arti­cle, la décli­nai­son web du groupe France Télévi­sions nous explique « pourquoi il faut s’inquiéter mal­gré la défaite de l’extrême droite ». En effet, mal­gré la vic­toire de l’é­col­o­giste, « le très bon score réal­isé par le can­di­dat du FPÖ reste préoc­cu­pant ». Cette semi-défaite peut ain­si « créer une dynamique en Europe ».

De son côté, La Dépêche en a remis une couche en insis­tant sur ce nou­veau prési­dent « éco­lo fils de réfugiés » et donc « média-friend­ly ». Con­cer­nant la vic­toire sur le fil de ce dernier grâce aux votes par cor­re­spon­dance, le quo­ti­di­en lance un « Mer­ci La Poste ! » sans équiv­oque. Pour le jour­nal, Van der Bellen est « courageux, assuré­ment, et à con­tre­sens de la dém­a­gogie élec­torale, quand il défend une posi­tion human­iste sur les réfugiés ». 

Pour Le Pro­grès, même son de cloche, l’Autriche a « fait bar­rage à l’ex­trême-droite ». Mal­gré tout, « le FPÖ s’inscrit désor­mais dans le paysage poli­tique autrichien comme le pre­mier par­ti du pays ». Et ça, c’est un prob­lème. Pour Ouest-France, l’Autriche a « échap­pé de peu à l’ex­trême-droite » mais, encore une fois, « l’ex­cel­lent résul­tat de Nor­bert Hofer (49,7 %) inquiète ». Enfin du côté de RTL, l’inénarrable Alain Duhamel s’est félic­ité : « le fameux pla­fond de verre face à l’ex­trême droite n’est pas un mythe ».

Alléluia ! Au regard de cette cam­pagne ahuris­sante menée tam­bour bat­tant par l’ensem­ble de la presse européenne con­tre le FPÖ, le Front Nation­al (le fameux cousin d’ex­trême-droite) peut déjà avoir une idée de ce qui se passera, en France, en cas de présence de Marine Le Pen au sec­ond tour. De quoi présager un nou­veau dossier Ojim bien fourni !

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