Initialement publié le 19/05/2015
Le pays vient de traverser une nouvelle séquence d’indignation rituelle à travers l’« affaire Ménard ». Toujours le même sempiternel stimulus, toujours la même question, obsessionnelle mais déformée, omniprésente mais difficilement saisissable : l’immigration. L’OJIM a décidé de se pencher sur cette séquence pour analyser la manière dont les médias traitent ce tabou d’entre les tabous.
Tous les deux mois environ, journalistes et politiques de presque tous les bords, de presque toutes les strates, se prennent par la main et se remettent à danser la même farandole en hurlant les mêmes ritournelles autour du bouc-émissaire qui aura, cette fois à son tour, osé dire quelque chose au sujet de l’immigration de masse qui échappe aux trois seuls mantras autorisés que le pouvoir divulgue. Rappelons-les rapidement : le premier consiste à affirmer qu’elle n’a pas lieu ; le second à assurer qu’en dépit du fait qu’elle n’a pas lieu, elle est une « chance pour la France » ; le troisième à préciser que c’est une chance avec laquelle il va de toute manière falloir faire, que l’on aime le bonheur ou non, puisqu’elle est inéluctable. Inutile de chercher une quelconque cohérence dans ce qui relève d’articles de foi, observons simplement lequel de ces articles a été bafoué par le maire de Béziers : il s’agit du premier. Voilà. C’est en somme tout ce qu’il y a à dire sur cette nouvelle « affaire » qui a tant agité la presse depuis le début du joli mois de mai. Toutes les arguties, toutes les harangues, tous les sketchs, tous les anathèmes, tous les cris, les vannes, les airs nauséeux, les transes, tout cela ne découle en réalité que de ce phénomène extraordinairement simple et archaïque que nous venons de décrire et tout cela ne mériterait pas, par conséquent, d’être davantage décortiqué, parce que ne rien ne justifie que soit pris au sérieux ou considéré littéralement ce qui relève en fait d’une espèce de démence pavlovienne, de fièvre collective, de totem-tabou freudien autour de quoi tourne la religion des élites politico-médiatiques du pays. Néanmoins, l’OJIM a tout de même décidé de se pencher plus consciencieusement sur le problème, d’étudier les ressorts en jeu, pour la raison que c’est précisément au moyen de ce genre de cirque qu’a été annihilée toute possibilité de dialogue et de maîtrise du destin national, en somme, qu’a été sabotée la démocratie.
Le mystère des chiffres
Commençons donc par le début. Si, le lundi 4 mai 2015, dans l’émission « Mots croisés » sur France 2, Robert Ménard, maire de Béziers, évoque le chiffre de 64,6% d’enfants musulmans dans les écoles de sa ville, ce n’est pas par passion du fichage et de la catégorisation religieuse ou ethnique, par obsession antimusulmane ou par nostalgie des méthodes pétainistes, mais simplement pour répliquer à d’autres statistiques, les statistiques officielles qui nient purement et simplement le phénomène de l’immigration de masse. En effet, il n’y a qu’à les consulter ici pour s’apercevoir que, selon l’INSEE, la part de « Français de naissance » dans la population n’a quasiment pas évoluée depuis 1926 (passant de 93,4% à 89,6%). Ce qui revient à dire que les importants mouvements de population qui ont accompagné autant les trente glorieuses, le démantèlement de l’empire français, le regroupement familial, puis la fuite des nombreuses guerres ou dictatures en Afrique et au Moyen-Orient depuis dix ans, tout cela, n’a purement et simplement jamais existé. En fait, on sait que l’absurdité de tels chiffres vient du fait que le processus d’acquisition de la nationalité française, quasi automatique et résolument « généreux » et obsolète, permet de maquiller en Français légaux des individus que l’abandon du système assimilationniste et l’environnement immigré ont laissé essentiellement étrangers ; des individus qui ne se vivent pas comme Français, que les Français de « souche » ou de vieille immigration n’appréhendent pas comme Français, mais que les politiques, les statisticiens et les journalistes désignent comme tels afin de ne pas faire mentir le premier mantra – « L’immigration de masse n’a pas lieu ».
Piège pervers
Or, il se trouve qu’elle a lieu, cette immigration de masse, dans des proportions parfaitement inédites, et qu’elle produit un certain nombre de problèmes très concrets et très humains, dont les populations, indigènes comme nouvelles venues, souffrent. Problèmes impossibles à résoudre puisqu’impossibles à nommer. C’est en tant que maire et donc responsable des populations de sa ville, conscient des problèmes suscités par la coexistence, sur le même territoire, de diverses populations aux mœurs parfois antagonistes, que Robert Ménard s’exprime donc, ce 4 mai, voulant opposer une preuve au déni organisé, et donc, à des chiffres totalement dénués de pertinence en raison des critères caduques qui les fondent, opposer d’autres chiffres fondés sur d’autres critères. Le critère en question : la consonance des noms en termes d’identité culturelle vaut ce qu’il vaut ; il permet en tout cas d’exhiber un indice tangible accréditant le fait que d’immenses mouvements de populations ont bouleversé le pays, et, c’est le sujet que traite Ménard, ces bouleversements peuvent faire naître des problèmes nouveaux très concrets, notamment dans les écoles, lorsque la majorité des enfants se trouve être d’origine étrangère. Toute cette démarche n’a donc rien que de très raisonnable, logique et légitime, et pourtant, médias et politiques vont la maquiller en scandale. Il est intéressant de noter tout d’abord que les méthodes de ces derniers sont, en cette occurrence, des méthodes typiquement perverses. En effet, en niant une réalité (celle de l’immigration de masse), on accule le réfractaire au déni à donner des preuves de cette réalité, et donc, ici, à compter les gens en fonction de leur origine. Après quoi, on reproche à celui-ci précisément ce qu’on l’a poussé à faire. Traiter l’autre de fou, le pousser au « dérapage » lorsqu’il veut arguer de sa bonne foi, et le traiter enfin de salaud.
Des clowns et des monstres
Bien sûr, nous reviendrons sur les diverses réactions que ne manquèrent pas de susciter les déclarations de Robert Ménard, non directement à la suite de l’émission de France 2, d’ailleurs, mais en raison de leur réitération chez Jean-Jacques Bourdin, sur RMC, le lendemain. Ce qui prouve que c’est moins le propos en soi, que le déclenchement du lynchage et sa contamination mimétique qui représente réellement le facteur déterminant. Mais étant donné la faiblesse rationnelle des arguments lancés contre Robert Ménard, il apparaît que la manière la plus pertinente de décrypter la réaction épidermique de la sphère politico-médiatique à son encontre, revient à étudier celle d’Alison Wheeler, le 11 mai au « Grand Journal » de Canal+. Oui, la « miss météo » de Canal, du haut de ses 28 ans et en raison de son expérience déjà riche en vidéos humoristiques, est en effet en mesure de donner des leçons de politique intérieure, de choc culturel et de direction d’une commune, voire d’équilibre psycho-affectif, au maire de Béziers. C’est encore devant de telles scènes qu’on mesure qu’adossé à la Pensée Unique : absolument tout est permis. « T’as encore dit des conneries, toi ! », allègue ainsi la fliquette humoriste, qui rebaptise son interlocuteur « Robert la provoc’ », comme si la chaîne qui l’employait ne s’était pas taillée une part de marché essentiellement par la provocation la plus vulgaire et la plus frelatée. « C’est pas parce que tout t’exaspère que tu dois exaspérer tout le monde », enchaîne la jeune femme, plongeant dès lors jusqu’au bout dans ce travers stalinien qu’Éric Zemmour a souvent dénoncé dans les médias actuels : psychiatriser l’adversaire. « T’as mal ? Tu es blessé ? T’as besoin d’amour ? Peut-être que tu t’es fait larguer par une petite Leïla au collège et tu nous le fais payer ». Après avoir traité le fou de salaud, on psychiatrise le salaud pour lui faire admettre qu’il est fou. Telles sont les pratiques d’un pays où le débat démocratique se résume à la chasse au monstre menée par des clowns.
Une étrange hypocrisie
Mais les autres lyncheurs furent-ils beaucoup plus rationnels qu’Alison Wheeler ? Leur vision du monde se présenta-t-elle comme légèrement plus complexe ? Non ! À l’évidence, ils se contentèrent, comme elle, de se ruer à la chasse aux monstres, rien de mieux. Que valent leurs arguments ? Quand Libé reproche leur fiabilité à ces statistiques ethno-culturelles empiriques : « Comment en déduit-il, cependant, que les enfants sont musulmans ? », remarquent les journalistes, reprochant donc à Ménard d’avoir établi ses chiffres à partir des consonances des noms des élèves, c’est-à-dire d’avoir employé précisément la méthode utilisée par Libé en 2012 pour faire ressortir la « prédominance blanche » dans les cabinets ministériels, sans s’encombrer du reste du détail qu’il arrive que des Africains portent des noms chrétiens… Où l’on comprend assez aisément qu’on a le droit de compter pour dire qu’il n’y a pas assez d’immigrés, mais que ce droit s’arrête quand il s’agit de suggérer qu’il y en aurait trop ! Cet argument sera repris assez systématiquement dans la presse, et il est objectivement de mauvaise foi. Robert Ménard se fiche totalement de connaître la pratique religieuse ou son absence chez ses administrés, il veut simplement mettre en évidence la proportion démesurée d’enfants issues de familles ne possédant a priori pas les codes culturels français. Quant à employer cet outil, pour l’heure interdit en France, de statistiques ethniques, afin de circonscrire des problèmes que les chiffres de l’INSEE ne permettent manifestement pas de saisir, il faut rappeler qu’y sont favorables autant Valls, qui est pourtant allé reprocher à Ménard de « ficher » des élèves, que Nicolas Sarkozy, ou Libération, la députée verte Esther Benbassa ou encore le CRAN…
100 000 points Godwin
Le lynchage médiatique fonctionne, en France, à peu près toujours de la même manière : fascisation de l’adversaire et concours de points Godwin. Le simple chapô du papier de Libé du 5 mai est pour le moins exemplaire : « Le maire d’extrême droite » est-il écrit (alors que Ménard, affilié à un parti, le FN, qui se défend d’être d’extrême droite, n’en est pourtant, lui-même, pas membre) « a recouru à des pratiques illégales », est-il ajouté (pourtant, les associations ayant porté plainte contre le maire de Béziers seront déboutées) « pour ficher les écoliers » : ce qui est un abus de langage, établir des statistiques empiriques pour prouver une réalité officiellement niée ne revient pas à faire des fiches sur les élèves. Mais, bien entendu, le terme de « fichage » qui sera repris partout permet de suggérer un raccourci vers les « heures les plus sombres de notre Histoire », comme le déclarera sans rire Cyril Hennion, membre de la Ligue des Droits de l’Homme.
Les oubliés des médias
Comme toujours dans ce genre d’affaire, alors même que les médias vont enquêter sur le terrain, on s’aperçoit rapidement que ceux-ci prennent parti pour certains contre d’autres, à l’instar des reportages qui avaient été réalisés à Calais, mettant en valeur les migrants au détriment de la population autochtone. Là, ce sont les populations révoltées par les propos de Ménard qui sont mises en valeur et surreprésentées, comme dans cet article du Monde, où l’on rencontre, dans ce « camp » : Tony Ferreira, « beaucoup d’habitants », Kader, Cyril Hennion de la LDH, un couple croisé plus tôt avec leur enfant : Soya Bechar et Mohamed Ali, ou encore David Garcia, des syndicats et des associations. Ils ont des noms, ils sont nombreux, ils sont humanisés. En face, la propriétaire d’une boutique de prêt à porter — sans nom -, Franck Maugain : un jeune apprenti, des soutiens du maire qui « ne prennent pas de gants », ou encore Évelyne, la cinquantaine, « sans gêne manifeste mais qui refuse de donner son nom. » Bien évidemment, cette population qui soutient Robert Ménard sait que les médias lui sont hostiles et sans doute, ne répond-elle qu’avec une grande défiance, mais le résultat est ce traitement dissymétrique de la réalité, distorsion d’autant plus dommageable que Robert Ménard ayant été élu avec 47% des suffrages dans une triangulaire, les témoins ici dénigrés représentent mécaniquement, et quoi qu’on en pense, le sentiment dominant dans la ville…
Permanence de la question ethnique
« Dans la classe, il y a Ilies, Yannisse, Younes mais j’aimerais qu’il y ait Daniel, Patrick, Mathis… » Quel est l’auteur de cette réflexion ? Un soutien de Robert Ménard ? Non, mais le petit Enes, d’un quartier défavorisé de Montpellier dont les habitants, maghrébins pour la plupart, se sont mobilisés afin de réclamer davantage de mixité dans leurs écoles, c’est-à-dire, comme l’exprime plus directement Fatima, une mère de famille, au micro de RMC : « On voudrait des petits blonds aussi ! ». Ces revendications, littéralement « ménardiennes » et rapportées une semaine après la polémique qui nous occupe, n’ont pas provoqué, on s’en doute un quelconque tollé… Personne ne s’est permis de reprocher à Fatima de discriminer en fonction des prénoms et de se plaindre qu’il n’y ait plus assez d’« autochtones » dans les écoles où vont ses enfants. D’un autre côté, on l’a déjà mentionné, mais considérer qu’il y aurait trop de Blancs dans les cabinets ministériels, au Sénat, à la télévision, ou même chez Air France, n’a jamais scandalisé nos médias, lesquels, eux-mêmes ne sont pas spécialement ouverts à la « diversité » qu’ils prônent ! Ce que reconnaissait Laurent Joffrin alors à la tête de Libération, dans Respect Mag, en 2010, quand, à la question : « Les rédactions françaises sont-elles représentatives de la société ? », il répondait : « Non. En raison du fonctionnement de la société et des mécanismes de recrutement dans la presse, les classes moyennes et supérieures sont surreprésentées, les milieux populaires sous-représentés. Et par conséquent, la diversité aussi. Je ne crois pas que la presse française soit composée de racistes. Mais le centre de gravité sociologique change peu. »
Localisation de la menace totalitaire
Outre, donc, cette hypocrisie manifeste et cette distorsion du réel à quoi se sont livrés la plupart des médias, il faut également noter que ceux-ci désignaient alors à l’opinion publique un bien illusoire danger totalitaire en provenance de Béziers au moment-même où le gouvernement, le 5 mai dernier, adoptait le projet d’une loi sur le renseignement qui pourrait, elle, très concrètement, déboucher sur une surveillance généralisée et un espionnage permanent d’Internet. A‑t-on lu des éditos scandalisés ? Non, l’ « indignation » sur commande ayant été orientée ailleurs… Ainsi, participant activement à la propagande politique en faveur de l’immigration de masse et à l’organisation de la censure sur ce thème, usant d’arguments fallacieux et systématiquement contradictoires pour se livrer sans complexe à la plus primaire des « chasses au monstre », fascisant l’adversaire et réalisant des enquêtes partisanes pour détourner, à la fin, l’attention du public des menaces véritables, on peut affirmer que sur cette affaire Ménard comme, d’une manière plus générale, sur ce thème, les médias français ont un rôle désormais évident, et assez éloigné de celui qu’on leur attribua à l’origine : celui de désinformer.