Initialement publié le 16/04/2015
Créé en 2005 aux États-Unis par Arianna Huffington, Kenneth Lerer et Jonah Peretti, le Huffington Post (HP) est un journal d’information gratuit diffusé uniquement sur internet. Dès son lancement le site devient un véritable rival des médias en place. Il est alors alimenté par une centaine de journalistes rémunérés et des milliers d’internautes et de blogueurs travaillant gratuitement.
D’un média de gauche alternative, le Huffington Post va abandonner ses préoccupations « sociales » au fur et à mesure de son avènement pour définitivement tourner le dos aux classes laborieuses lors de son rachat par AOL en 2012.
Le HP ne se contente pas de produire de l’information mais reprend très largement le contenu d’autres sites. Il s’agit généralement d’éléments à même de faire du « buzz » (car c’est bien le buzz qui permet à ce média de se développer) : people, scandales, images chocs ou à caractère sexuel…
Le modèle Huffington Post répond à 3 types de production d’information : les articles gratuits de milliers d’internautes et blogueurs, la reprise d’informations propre à la polémique ou au voyeurisme et les articles des journalistes professionnels du HP.
La plate-forme informative profite largement de blogueurs et de personnalités qui s’associent bénévolement au projet : Bill Clinton, Michael Moore, Dominique Strauss-Kahn ou encore Bernard-Henri Lévy (pour le seul site américain).
Origine et lancement
En 2005 Arianna Huffington fonde le site The Huffington Post : il est alors basé sur l’interactivité entre les internautes et les journalistes. Il fonctionne rapidement et revendique un esprit de gauche alternative/antilibérale.
L’initiative la plus marquante du site a lieu en 2009 quand Arianna Huffington organise un diner avec des personnalités de la presse au cours duquel sera lancé le mouvement « Move Your Money » qui propose aux américains de retirer leur argent des six principales banques états-uniennes, accusées d’être trop puissantes, au profit de banques de proximité ou de caisses de crédit à but non lucratif.
Les sirènes d’AOL
Le virage libéral du site a lieu en 2011 quand Arianna Huffington décide de vendre le HP au géant AOL (qu’elle estimait corrompu 7 ans auparavant). Une transaction entre 300 et 315 millions de dollars dont la journaliste a récupéré 7% (plus de 20 millions de dollars). Le géant américain supprime 950 postes en Inde et aux États-Unis.
Arianna Huffington déclare alors que son journal en ligne est à la fois une entreprise de presse et une plate-forme collaborative. Une manière d’utiliser des collaborateurs gratuitement tout en récoltant des bénéfices. C’est à ce moment qu’elle déclare que « nous vivons un âge d’or du journalisme ».
Ce développement fulgurant ne sera pas sans conséquences sur la ligne éditoriale du site. D’une posture politique de gauche alternative, le HP va devenir un relais d’opinion libéral-progressiste.
Dopé par la force de frappe du géant AOL, le Huffington Post va s’exporter. Il est aujourd’hui présent dans 14 pays et y rencontre partout un très large succès.
Début 2011, le HP compte 25 millions de visiteurs uniques par mois contre 1 million en 2007. Il entre dans le club très fermé des 10 sites d’informations les plus fréquentés d’Amérique.
Si le rachat suscite une déception pour une partie des internautes, il s’inscrit dans un processus voulu par Anna Huffington. Dès 2008, l’éditorialiste avait exprimé vouloir dépasser le clivage gauche-droite pour toucher un plus large panel de lecteurs. Qui dit plus de lecteurs dit plus de revenus publicitaires et c’est désormais la course aux bénéfices qui va diriger la ligne éditoriale. Pour Rodney Benson, Professeur de sociologie à la New York University, le HP a « une approche essentiellement commerciale de l’actualité et une dépendance quasi-totale de la publicité » (source).
La ligne éditoriale originelle du site, défense les salariés face aux grands groupes américains et à la finance mondialisée, se désintéresse progressivement des conflits sociaux au profit d’éléments d’information moins clivant comme les déboires de Justin Bieber ou les dernières frasques de Britney Spears. En 2011 les contenus politiques n’attirent plus que 15% des lecteurs contre 50% un an plus tôt. Le fonctionnement participatif n’est pour sa part pas modifié et de nombreux contributeurs participent toujours gratuitement à l’aventure, avec pour seule rétribution la célébrité qui découle de la parution d’un article pour le site.
Attaquée par d’anciens blogueurs et journalistes du HP qui appellent à la grève des contenus, Arianna Huffington répondra « Allez‑y, faites la grève, personne ne s’en apercevra ! ».
Exportation en France
En France, avant sa transformation en 2012, le Huffington Post était Le Post, un site d’information issu de la Société Anonyme Le Monde et du groupe Lagardère. Suite au partenariat signé par Le Monde interactif, Le Post s’arrête et devient Le Huffington Post. Après avoir remercié une partie de ses collaborateurs, une page se tourne pour le site déficitaire qui rentre à présent dans l’air du média de masse américain.
Dès 2011, Arianna Huffington avait jeté son dévolu sur Anne Sinclair pour animer le HP France (lancement début 2012) en remplacement du Post. Elle confiait avoir apprécié le travail de bloggeuse d’Anne Sinclair lors de son passage à Washington. La rencontre s’est faite par l’intermédiaire de Louis Dreyfus (président du directoire du Monde) et Matthieu Pigasse (propriétaire et président des Inrockuptibles et actionnaire du Monde).
En France, le site rencontre très rapidement le succès : suivi par plus de 400 000 internautes via Facebook et par près de 500 000 personnes sur Twitter, où le HP est très présent. On peut y lire régulièrement des articles de Julien Dray, Alain Jakubowicz, Corinne Lepage, Jack Lang ou Bernard-Henri Lévy, et plusieurs dizaines de personnalités et journalistes, majoritairement de gauche. Le HP est également proche des principaux dirigeants des antennes de Radio France qui ont publié une tribune cosignée après le mouvement de grève de mars/avril 2015.
Une version blog du HP reprend les articles du site dans une version moins dense. Proche de Science Po où sont formés de nombreux journalistes, le HP s’est associé à cette institution dans le cadre d’un programme de recherche pour « promouvoir des projets de recherche innovant […] et contribuer au débat public ». En 2014 les deux entités ont également organisé conjointement un forum pour les élections municipales à Paris.
Science Po a d’ailleurs son propre site d’actualité, sciencepost.fr, copie conforme de citizenpost.fr, et fabriqué sur le même modèle que le Huffington Post.
Un grand fourre-tout
En terme esthétique, le site du Huffington Post est indéniablement une réussite. Agréable à regarder, facile à utiliser, il permet d’accéder très facilement tant aux contenus vidéo qu’aux articles éditoriaux.
En une l’article phare, généralement politique, représente naturellement l’actualité jugée la plus importante du moment, avec toujours un double ou triple titre accrocheur, renvoyant à un ou deux article sur le sujet.
Le site est ensuite divisé verticalement en 3 grandes parties : à gauche des articles éditoriaux, sorte de tribune d’opinion où ne figure pas systématiquement d’illustration ; au centre les articles avec une illustration. La partie droite du site est consacrée en une à un « contenu de marque » (publicitaire) puis à des articles du même type que ceux de la partie centrale.
Les rubriques du site sont divisées en 2 grandes parties : les rubriques principales qui regroupent l’ensemble des thèmes d’actualité, du politique au people en passant par le média, la culture, la politique internationale les faits divers ou encore « le bon lien » qui renvoie à une plateforme d’éléments propres à faire du buzz : essentiellement people et vidéos les plus regardées du net.
La seconde partie concerne les sous-rubriques avec le sport les élections (en période électorale), les insolites, la sexualité ou encore « c’est la vie de bureau » qui traite des questions d‘entreprise.
L’appauvrissement du contenu au profit d’articles people et racoleurs s’explique par le mode de financement publicitaire du Huffington Post : le « clickbait », en français « piège à clics ».
Il s’agit pour le site de proposer un contenu sensationnel avec un titre accrocheur, voir tout simplement faux afin d’encourager l’internaute à cliquer. Le titre est souvent accompagné d’une photo choc ou provocante flattant ainsi la curiosité du lecteur. Ce mode de fonctionnement permet le rayonnement des articles sur les réseaux sociaux où les sites doivent accrocher les lecteurs avec très peu de caractères.
Un soutien sans faille aux Femen
Le Huffington Post, même s’il ne le revendique pas, se situe politiquement dans la mouvance de la gauche libérale. Il associe une certaine bienveillance à l’égard du libéralisme financier à une vision sociétale progressiste de la société, même s’il laisse s’exprimer dans ses éditoriaux des personnalités de droite comme Nicolas Dupont-Aignan ou Rachida Dati. Relativement conciliant avec le pouvoir socialiste, le Huffington Post ne fait pas de cadeau à la droite parlementaire ou au Front National et adopte une position plutôt complaisante à l’égard de personnalités comme Alain Juppé ou Nathalie Kosciusko-Morizet qui incarnent une droite plus progressiste. Si Nicolas Sarkozy est une cible privilégiée pour la rédaction, Marine Le Pen et son parti ne sont pas non plus épargnés et le HP suit de très près les éventuels « dérapages » des membres du Front National.
Dans une ligne proche du think tank du Parti socialiste Terra Nova, le HP consacre une place majeure aux débats de société : euthanasie, avortement, mariage homosexuel ou encore antiracisme. Le HP est également un excellent point de relais pour le groupuscule Femen dont il reprend tous les happenings ; il ouvre également ses portes à des éditoriaux pour leur leader Inna Chevtchenko.
Le choix des relais nationaux est également un bon indicateur de la grille de lecture idéologique du site. Ainsi le choix du Monde, média de centre gauche proche du pouvoir socialiste s’est imposé comme une évidence en France. En Allemagne c’est l’hebdomadaire Focus qui est partenaire du HP, en Italie le puissant groupe média Espresso dont l’hebdomadaire du même nom se revendique, lui aussi, de centre gauche.