Depuis plusieurs mois, le quotidien azuréen Nice-Matin est en grande difficulté financière. Nous vous avons déjà présenté plusieurs articles relatant la chute du plus grand quotidien de la côte d’azur. L’OJIM revient sur les difficultés rencontrées par Nice-Matin, précise certains points, et avance quelques hypothèses.
La Chute
Le quotidien azuréen connaît une chute vertigineuse dans la diffusion de son journal (et dans ses finances), passant ainsi (selon l’OJD) de plus de 108 000 exemplaires diffusés en 2010 à seulement un peu plus de 88 000 exemplaires en 2013–2014. Un déclin dû à « l’effet du recul conjugué des ventes au numéro et des recettes publicitaires » indique le journal. Le groupe terminant l’année 2013 avec 6 millions d’euros de pertes de recettes, une perte accélérée en 2014.
Nice-Matin se tourne début 2014 vers son actionnaire Groupe Hersant Média (GHM) et lui demande une avance de deux mois de trésorerie représentant deux millions d’euros. Le Groupe Hersant Média, qui a déjà en tête de se désengager de Nice-Matin, refuse. GHM recherchait alors déjà un repreneur et fondait beaucoup d’espoir en la personne de Jean Icart, mais aussi dans un mystérieux fond d‘investissement suisse GXP Capital. Ancien élu municipal d’opposition (divers droite) au député-maire de la ville de Nice Christian Estrosi, Jean Icart paraît alors crédible.
Jean Icart, repreneur ou revanchard ?
Début 2014, quelques mois avant le premier tour des élections municipales, Jean Icart candidat divers droite à l’élection municipale, décide de s’allier à l’ancien sénateur maire de Nice Jacques Peyrat. Une liste commune commence à être constituée, chacun des deux hommes se voyant alors en tête de cette coalition anti-Estrosi. Mais ni Jean Icart ni Jacques Peyrat ne veulent céder leur place et les vieux « lions » de la politique niçoise n’arrivent pas à mettre leur orgueil de côté. Jean Icart se retire alors de la course à la mairie, et surprend tout le monde en s’annonçant possible repreneur du groupe Nice-Matin. Une nouvelle qui n’est pas du goût de tous. À commencer par le maire de Nice, qui comprend qu’avec cette reprise, c’est une tribune qui lui échapperait, le quotidien lui étant assez bienveillant jusqu’à lors. Nice-Matin sous la coupe de Jean Icart serait-il moins clément avec Christian Estrosi ? Un point de vue dont Jean Icart se défend à moitié : « Nice-Matin a été la voix de son maître et ce n’était pas bon. En faire un journal anti-Estrosi, ce serait contre-productif ». Jean Icart et l’énigmatique groupe GXP Capital devaient réunir 20 millions d’euros pour reprendre Nice-Matin. Mais après quelques semaines de retournements en tous genres, Jean Icart n’est finalement pas capable de réunir la somme attendue.
Redressement judiciaire
Dans l’attente des fonds de Jean Icart et de GXP le Tribunal de Commerce de Nice met le groupe de presse régional en redressement judiciaire à sa demande en mai 2014.
Cette décision n’empêche toutefois pas Jean Icart de continuer sa démarche comme le précise le journal dans une note de la direction : « Elle (la décision de placer le quotidien en redressement judiciaire) n’empêche en rien Jean Icart et le fonds GPX Capital de présenter un plan de continuation conforme à leur proposition initiale, tout en apportant à l’entreprise et à ses salariés les garanties de la mise sous protection du tribunal ». Une note rendue publique en même temps qu’un communiqué précisant la position du journal et de Jean Icart : « Depuis février, Jean Icart et GXP Capital ont à plusieurs reprises reporté la date de versement de cette somme, en raison de difficultés techniques qui auraient retardé le transfert des fonds. La trésorerie du groupe Nice-Matin a continué de se dégrader durant cette période. C’est pourquoi, la direction de Nice-Matin a demandé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ». À la suite de « complications » encore très floues, Jean Icart retirera finalement son offre de reprise.
L’Appel des salariés de Nice-Matin
En aout 2014 les salariés du groupe Nice-Matin lancent un appel aux dons pour sauver leur journal (et leurs emplois). Un procédé inédit en France pour une entreprise de presse traditionnelle. Selon l’importance du don, les salariés proposent aux donateurs de devenir rédacteur en chef du quotidien le temps d’une journée, ou encore pour 5 euros d’avoir leur nom et leur photo dans le journal. Un appel productif : en moins d’une semaine 130 000 € sont récoltés.
Derrière cette idée des salariés, un objectif : reprendre eux-mêmes le quotidien au sein d’une Société coopérative et participative, et limiter ainsi la casse sociale. Mais pour cela, il faut au moins 10 millions d’euros. Une somme, impossible avec les seuls dons, qui nécessite un emprunt bancaire, des investisseurs privés, et un montant significatif injecté par les salariés eux-mêmes !
Tapie dans l’ombre
Le groupe Nice-Matin c’est aussi le quotidien Var-Matin, Monaco-Matin, mais aussi et surtout Corse-Matin. Ce dernier quotidien est le plus rentable du groupe, et Nice-Matin en détient 50% du capital. Le quotidien La Provence, détenu par l’homme d’affaire Bernard Tapie, détient les 50% restants du quotidien Corse-Matin.
Bernard Tapie réussit alors un coup de maitre en soutenant financièrement la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) des salariés de Nice-Matin. Tapie appuie l’offre à 14 millions d’euros de la coopérative en prêtant à taux zéro. Il injecte 4 millions d’euros qu’il gage sur l’immobilier des agences locales de Nice-Matin, et reprend les 50% du capital restant de Corse-Matin pour 4 millions d’euros. En tout Bernard Tapie met 8 millions d’euros sur la table et devient ainsi le propriétaire entier de Corse-Matin, et de certains locaux de Nice-Matin…
La SCIC
Le 7 novembre 2014 le tribunal de commerce de Nice donne le feu vert aux salariés de Nice-Matin pour devenir propriétaire de leur journal à travers une coopérative. Le projet du groupe Rossel qui prévoyait 376 licenciements (au lieu de 159 pour la SCIC) est retoqué. Un feu vert espéré par les salariés, mais pas seulement…
En injectant 8 millions d’euros dans le projet de SCIC des employés du groupe, Bernard Tapie ne s’est pas contenté de mettre le quotidien Corse-matin dans sa poche, il en profite pour également mettre à la tête de Nice-Matin un de ses proches : Robert Namias, ancien directeur général adjoint chargé de l’information de TF1.
Dans un premier temps les salariés de Nice-Matin ont réussi leur pari en préservant un maximum d’emplois grâce à la SCIC. Mais se transformer en coopérative ne gomme pas tous les problèmes.
Le problème des AGS
Récemment l’OJIM révélait une rumeur selon laquelle le groupe Nice-Matin, en se constituant en SCIC, serait affilié au régime de garantie des salaires AGS. Régime censé aider à payer les surprimes, salaires, et indemnités de départs des employés.
Dans le cas de Nice-Matin l’affaire se corse un peu. En effet dans le cadre d’un départ, et selon les conventions du journal, une surprime équivalente de 1 à 2 mois de salaires par année d’ancienneté additionnée à la prime de licenciement économique classique doit être versée. Avec les 159 départs à Nice-Matin et une situation financière loin d’être stabilisé, il paraît difficile de régler seul l’addition…
Selon nos sources, l’AGS aurait refusé début décembre 2014 de payer cette note se réfugiant derrière « un vide juridique ». Une des explications pourrait être que la SCIC ayant récupéré Nice-Matin avec des départs déjà programmés, les AGS contestent l’idée de licenciement économique et demandent à l’entreprise d’assurer elle-même les indemnités.
Le conseil de surveillance
En se constituant en SCIC le quotidien hérite d’un conseil de surveillance chargé d’« épauler » la rédaction, mais aussi et surtout de gouverner. Un conseil se tenant aux côtés du nouveau dirigeant et proche de Bernard Tapie : Robert Namias. Ce conseil est constitué de 13 personnalités de tous les domaines, sportif, économique et politique. En voici la liste :
- Mourad Boudjellal, président du RC Toulon
- Roméo Cirone, expert-comptable
- Michèle Cotta, journaliste
- Jean-Louis Croquet, créateur de TNS-Sofres, propriétaire du domaine viticole du Château Thuerry
- Valérie Decamp, ex-directrice générale de Métronews et de La Tribune, vice-présidente de Media Transport
- Adeline de Metz, “senior banker” chez Unicredit
- Michel Ghetti, p.-d.g. groupe FIE (France Industrie et Emploi)
- Alain Guerrini, p.-d.g. de Panini France
- Éric de Montgolfier, ancien procureur de Nice
- Benoît Raphaël, spécialisé en stratégie éditoriale, créateur du Lab d’Europe 1
- Jean-Pierre Rivère, président du club de football de l’OGC Nice
- Michel Rubino, président U‑Proximité Sud
- Claude Weill, ancien directeur de la rédaction du Nouvel Observateur
Une liste spectaculaire, mais dont quelques noms appellent certains commentaires.
À commencer par le président du club de football de Nice, Jean-Pierre Rivère, un proche (pour ne pas dire un soutien) de Christian Estrosi. Nice-Matin couvrant l’actualité sportive de la ville de Nice et donc du club OGC Nice (Olympique Gymnaste Club Nice Côte d’Azur), le journal gardera-t-il toute son objectivité sur la ligne footballistique ? On pourrait en dire autant de la présence du Président du club de rugby de Toulon.
Éric de Montgolfier, l’ancien procureur de Nice, n’est de son côté certes pas un grand ami du maire, ni un grand fan de la ville. Les niçois se souviendront sûrement des propos qu’il avait tenus alors qu’il s’apprêtait à quitter son poste à Nice : « C’est une terre de ragots, de malveillance ici. On ne peut pas faire un pas sans être scruté, dévisagé (…) Une difficulté à vivre sainement dans la vérité. Je crois qu’ici trop de gens ont pris l’habitude à la fois de la délinquance et peut-être une certaine arrogance de la délinquance ». Son départ aurait du reste été souhaité, « selon une rumeur », par les principaux élus, cadres de l’UMP niçois, les députés Christian Estrosi et Éric Ciotti et le préfet.
Nice-Matin qui avait jusque-là la réputation d’être relativement favorable au député-maire de Nice Christian Estrosi se retrouve ainsi aujourd’hui dirigé par un certain nombre de personnes qui a priori ne se retrouvent pas sur la ligne politique du maire. Reste à savoir si la ligne éditoriale s’en trouvera modifiée.
Les millions qui s’envolent ?
Mais le quotidien n’est pas sorti d’affaire et continuerait de perdre entre 1 et 1,6 million par mois. Pour se constituer en SCIC le groupe a dû présenter 14 millions d’euros minimum au tribunal. Les salariés ont réuni un peu plus de 2 millions d’euros de dons et de participation des employés. Mais il n’est pas exclu que d’autres « dons » aient été faits par des personnalités intéressées.
Les salariés ont réussi à limiter la casse et à maintenir le maximum d’emplois mais le fond de roulement de la SCIC paraît très sous estimé : combien de temps Nice-Matin va-t-il réussir à tenir ? Claude Weill du Nouvel Observateur représente les intérêts du groupe BNP (Bergé/Niel/Pigasse), Tapie n’est pas loin, les requins sont nombreux autour du frêle esquif de la SCIC…
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