[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 24/06/2017]
Le traitement médiatique des emplois fictifs présumés du MoDeM, concernant des attachés parlementaires du parti de François Bayrou, ayant conduit à la démission du gouvernement de 3 membres de ce parti les 20 et 21 juin 2017, étonne.
Au-delà les questions politiques et morales que peut poser la nomination de Bayrou au ministère de la justice du premier gouvernement Édouard Philippe, se pose celle du tempo du traitement médiatique des affaires touchant de près ou de loin l’actuel pouvoir politique. Un pouvoir qui affirme se fonder sur l’irréprochabilité morale.
LREM vers la morale, ça commence mal
Le mercredi 20 juin 2017, le ministre de la Justice François Bayrou tenait une conférence de presse. Il a expliqué les raisons de sa non-participation au gouvernement Édouard Philippe 2 et a affirmé qu’il n’y a jamais eu d’emplois fictifs au MODEM. Selon France info, l’accusation porte sur des contrats d’assistants parlementaires de députés européens, dont Marielle de Sarnez, elle aussi ministre non reconduite, et plus généralement sur un éventuel système organisé visant à détourner de l’argent public du Parlement européen au profit du parti dirigé par un François Bayrou qui a fait de la moralisation de la vie politique l’axe de son action. Un objectif qui s’inscrit dans la lignée du projet du président de la République. Le nom de ce dernier est par ailleurs évoqué dans le même temps, au sujet de perquisitions menées par la justice. En cause ? Un déplacement effectué par Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, en 2016. D’après Le Monde, BFMTV ou Capital, une enquête préliminaire pour « favoritisme, complicité et recel de favoritisme avait été ouverte à la mi-mars » par le parquet de Paris. Selon BFMTV, cette enquête a été décidée « après des soupçons de dysfonctionnements dans l’organisation de cette opération. Elle avait été confiée au géant Havas, sans appel d’offres, par Business France, l’organisme d’aide au développement international des entreprises françaises alors dirigé par l’actuelle ministre du Travail, Muriel Pénicaud ». Ouverte le 15 mars 2017, cette affaire n’a pas fait la Une des médias, contrairement à celles affectant François Fillon ou Marine Le Pen. Pas plus au moment de la nomination de Muriel Pénicaud au ministère du Travail. Aux soupçons d’emplois fictifs pesant sur le MoDeM et l’ancien ministre de la Justice Bayrou, et à ceux pesant sur Richard Ferrand, lui aussi poussé à ne pas poursuivre son activité ministérielle, vient s’ajouter un soupçon pesant sur une proche collaboratrice du président, actuellement ministre du Travail. La loi visant à moraliser la vie politique française va donc être présentée dans un contexte délétère. Il est vrai que la conception concrète de la morale de membres de LREM ressemble peu aux discours électoraux prononcés par l’actuel président de la République, si l’on en croit Marianne.
Une affaire ? Rien que de très connue, et pourtant…
Une présence soft dans les médias. Ou du moins selon un étrange tempo. Il semble y avoir des affaires légitimant emballement médiatique et d’autres plutôt discrétion. Personne n’a oublié la manière dont le candidat Fillon a dû répondre d’accusations concernant l’emploi présumé fictif de son épouse, tant comme attachée parlementaire que comme contributrice de la Revue des Deux Mondes. L’exceptionnelle dextérité de la justice et des médias à montrer que le candidat Les Républicains ne saurait accéder aux plus hautes fonctions allait alors de pair avec l’enthousiasme des mêmes médias envers un Emmanuel Macron considéré comme un sauveur élu d’avance. Force est de reconnaître que l’affaire des emplois présumés fictifs du MoDeM n’a pas connu la même débauche d’énergie que celle, pourtant similaire, pesant sur Marine Le Pen. Deux jours avant le 1er tour des élections législatives, plusieurs médias, dont France info, indiquaient cependant qu’un ancien salarié du MoDeM affirmait avoir bénéficié d’un emploi fictif d’assistant parlementaire du député européen Bennhamias alors qu’il travaillait en réalité pour le parti. Le 21 juin, Le Point rappelait que dans son livre Les mains propres, paru en 2015, Corinne Lepage, ancienne ministre, évoquait déjà ces soupçons d’emploi fictifs. L’Eurodéputée parle d’un système ancien et organisé détournant de l’argent européen. Ce rappel donne un éclairage intéressant aux pressions présumées exercées par François Bayrou, alors ministre de la justice, sur Radio France. Le ministre ayant téléphoné à la direction de Radio France pour se plaindre d’une enquête sur son mouvement pouvait alors être considéré comme intervenant dans les affaires de la justice, au mépris de la séparation des pouvoirs. L’affaire des emplois fictifs présumés semble plus ample que ce que les médias en laissaient paraître à l’approche du 1er tour des Législatives, après en avoir oublié l’existence durant les élections présidentielles. Cela s’expliquerait-il par l’alliance conclue entre le candidat Macron et François Bayrou ? L’avenir le dira sans doute.
Une affaire sciemment cachée ?
En effet, l’existence de possibles emplois fictifs au sein du mouvement d’un homme politique appelé à porter la réforme de la vie politique, sous la présidence Macron, était connue des médias. C’est ce qui est affirmé par un ancien employé de l’ancêtre du MoDeM, salarié comme assistant parlementaire tout en travaillant pour Force Démocrate, l’ancien parti de Bayrou. L’information sort dès le 2 avril 2017, dans une tribune alors fortement lue sur les réseaux sociaux. Sans être reprise par les médias officiels. Les élections semblent trop proches. La tribune de Nicolas Grégoire parue sur le site Médium commence ainsi : « Emploi fictif. Le terme resurgit de scandale en scandale. Pendant presque deux ans, j’ai eu deux emplois fictifs. A l’Assemblée nationale, et au Sénat. Je percevais un salaire, des fiches de paie, pour une activité que je n’exerçais pas. Jamais personne ne s’en est ému. Pourquoi suis-je le seul, en vingt ans, à l’avouer sans contrainte ? Durant mon séjour rue de l’Université, bordée par l’Assemblée, quadrillée de partis politiques et refuge de l’ENA, je n’ai vu mes parlementaires, Jean-Jacques Hyest et Ambroise Guellec, que trois fois. Pour signer mes contrats. Pour travailler une matinée à trier du courrier. Et enfin, vidé et amer, en perte totale de repères, pour demander à être licencié. Fraîchement diplômé en journalisme européen, c’est un peu par hasard que j’ai rejoint l’équipe de Force démocrate, jeune parti d’un petit nouveau plein d’ambition : François Bayrou. Démocratie Moderne, magazine du parti dont Bayrou était directeur de la publication, cherchait un rédacteur. Jeune, malléable, pas regardant sur le salaire et recommandé par un ancien cadre, j’ai fait l’affaire. » Des médias tels que Le Monde, Le Figaro, Médiapart ou Le Canard Enchaîné pouvaient se faire l’écho de propos corroborant ceux de l’ancienne ministre Corinne Lepage, au sujet de l’ancienneté d’un système de corruption orchestré au sein des divers partis présidés par François Bayrou. Il n’en fut rien. Pourtant, le témoignage de Nicolas Grégoire dénonce des méthodes de prévarication à toutes les échelles, et l’utilisation financière des services de l’État comme de ceux de l’Union Européenne, au profit des partis de Bayrou. Un témoignage étayé sur des faits précis, dont certains ont fait l’objet de décisions de justice, et des preuves librement accessibles en ligne. Édifiant. Pourtant, à l’approche des élections… rien. Silence sur Bayrou, et par extension Macron. Haro sur Fillon et Le Pen. Nicolas Grégoire a largement alerté les médias officiels. Libération, Le Monde, Le Figaro, Le Canard Enchaîné, Médiapart, l’AFP… Et son témoignage a paru dans Le Télégramme. À noter : Nicolas Grégoire est journaliste.
Il faut lire le témoignage de Nicolas Grégoire
Le nombre de ses lecteurs, c’est son seul soutien réel. Ici, il raconte par le menu les affres vécus lors des contacts avec les journalistes de ces organes de presse, la façon dont Médiapart récupère ses informations en les attribuant à sa propre rédaction, ou encore comment on le mène en bateau. Pour surtout ne pas sortir une affaire compromettante contre l’allié du futur président de la République, un président choisi par les médias. Le déroulé chronologique tel que raconté par Grégoire, dans les jours qui précèdent le premier tour montre à quel point l’élection a été confisquée, de peur de voir Fillon ou Le Pen accéder au pouvoir. Seuls SudRadio, La Montagne, Le Télégramme, et Décider et Entreprendre ont relayé le témoignage du journaliste Nicolas Grégoire à l’approche du 1er tour des présidentielles. Libération plus tard, le 31 mai 2017. Dans ces termes révélateurs : « Enfin, une dernière accusation restée sans suite jusqu’ici, remonte à une vingtaine d’années et concerne cette fois le Parlement français. Dans un post publié sur Médium le 2 avril, le journaliste Nicolas Grégoire affirmait avoir bénéficié d’un emploi fictif à l’UDF (ancêtre du Modem) en 1996 et 1997. Nicolas Grégoire, qui a dénoncé avec des accents parfois complotistes (sic) le silence des médias sur son affaire, explique avoir été rémunéré comme assistant parlementaire de deux députés alors qu’il travaillait en réalité pour le siège de l’UDF, comme journaliste pour Démocratie moderne, le magazine du parti dirigé par François Bayrou ».
Emmanuel Macron élu, LREM majoritaire à l’Assemblée Nationale, Bayrou inutile… Cela va-t-il changer l’écho ? Peut-être… Le 21 juin 2017, RFI intègre enfin les informations de Nicolas Grégoire dans son compte rendu de L’affaire des assistants parlementaires du MODEM en 5 questions. Trois mois pour qu’un média officiel réagisse de façon déontologique… La question est donc maintenant : de quoi l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République est-elle le nom ?
Crédit photo : depuis1901 via Flickr (cc)