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Dossier : Selon que vous êtes Zemmour ou Kassovitz, les règles biaisées du « débat public » [rediffusion]

13 août 2015

Temps de lecture : 15 minutes
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Dossier : Selon que vous êtes Zemmour ou Kassovitz, les règles biaisées du « débat public » [rediffusion]

Temps de lecture : 15 minutes

Ini­tiale­ment pub­lié le 22/12/2014

Dans les médias français, selon que vous serez Zemmour ou Kassovitz, les règles du débat d’idées ne suivront pas les mêmes normes, cette distorsion révélant la mainmise structurelle de l’idéologie dominante sur celui-ci.

Jamais, peut-être, la société française n’aura pu assis­ter à un si grand nom­bre de débats d’idées qu’aujourd’hui : la mul­ti­pli­ca­tion des talk-shows et des chaînes de télévi­sion, le suc­cès de ce type de pro­grammes, les records de nom­bre de vues des « clashs » red­if­fusés en extraits sur YouTube, et la pro­liféra­tion du débat dans tous types d’émissions, que ce soit chez Cyril Hanouna ou chez Frédéric Tad­déi en pas­sant par Thier­ry Ardis­son et Lau­rent Ruquier, don­nent l’impression que le débat est partout et que tout est débat. Et nul qui n’y soit con­vié. Depuis que Canal+, dans les années 80, a pris l’habitude de mêler sur les mêmes plateaux chanteurs de var­iétés, humoristes, essay­istes et poli­tiques, la for­mule est en effet dev­enue une norme et il est désor­mais naturel de voir un rappeur à peine alphabétisé con­tredire un philosophe avec le sou­tien d’une jeune comé­di­enne en pro­mo, avant que l’animateur lui-même, qui ne se con­tente plus d’être un sim­ple arbi­tre, donne son avis sur la ques­tion. Sans compter que les réseaux soci­aux per­me­t­tent main­tenant au moin­dre téléspec­ta­teur, par la dif­fu­sion à l’antenne de tweets sélec­tion­nés, de se gliss­er dans la mêlée le temps de 140 car­ac­tères. Jamais, donc, le débat n’aura été aus­si omniprésent et aus­si large, et pour­tant — para­doxe par­mi d’autres dans une époque d’inversion per­ma­nente -, jamais, il n’aura été autant ver­rouil­lé ! Jamais le pan­el d’opinions représen­té n’aura été aus­si restreint, jamais les pro­pos énon­cés par les inter­venants n’auront été aus­si sur­veil­lés, dénon­cés, punis ; si bien que le bilan de cette évo­lu­tion reviendrait à con­stater qu’on a rem­placé en trente ans de vieux robi­nets à deux têtes rouge et bleue par un karcher for­mi­da­ble mais n’inondant tout que d’eau tiède. Ain­si, ce qui pour­rait dénot­er une grande vital­ité du débat pub­lic sem­ble, a for­tiori, se con­fon­dre au con­traire avec une ruse du pou­voir idéologique dom­i­nant qui con­siste à une mise en scène fac­tice de l’unanimité des thès­es qu’il défend. Les aspects par lesquels se trahit le plus une telle stratégie sont les aspects sail­lants, lesquels se divisent en deux caté­gories : le « coup de gueule » et le « déra­page », car ces moments où le débat débor­de révè­lent surtout selon quelle logique le débat fonctionne.

Le coup de gueule, de Balavoine à Kassovitz

Con­traire­ment au « déra­page », que nous étudierons plus loin, le « coup de gueule » a bonne presse. Pour­tant, il représente un moment de perte de con­trôle, de colère, de rup­ture avec les règles de bonne con­duite d’un échange d’idées, tout ce qui devrait nor­male­ment le ren­dre, si ce n’est con­damnable, du moins sus­pect. C’est qu’il est asso­cié à un cri spon­tané, vis­céral, sincère, au nom de la jus­tice, qui viendrait rompre une comédie cynique, et c’est en effet la plu­part du temps dans cet esprit qu’il se déroule. Ce qu’on n’a guère voulu percevoir, c’est qu’il pou­vait lui-même être instru­men­tal­isé en vue d’une comédie encore plus cynique. L’un des arché­types ini­ti­aux du coup de gueule médi­a­tique est celui du chanteur Daniel Bal­avoine sur Antenne 2, le 19 mars 1980 face à François Mit­ter­rand, alors can­di­dat aux élec­tions prési­den­tielles. Le jeune chanteur, cheveux longs et blou­son en cuir, soit le stéréo­type du « jeune » de l’époque, com­mence par quit­ter le plateau ne voulant pas pass­er pour « un sale merdeux qui fout la pagaille ». On voit com­ment le con­texte a évolué depuis, puisque l’ « artiste » en colère, se perçoit aujourd’hui instinc­tive­ment comme un sage qui libère en la ton­nant la vérité, presque un prophète des temps anciens. Mais ce n’est alors pas encore le cas, et l’auteur de Laz­iza, se décou­vre d’abord un peu hon­teux de ses réflex­es, avant de s’y livr­er lorsqu’on lui enjoint de s’exprimer. Il reproche aux jour­nal­istes de ne traiter que de sujets de poli­tique politi­ci­enne et non pas d’un cer­tain nom­bre de dossiers de cor­rup­tion ou de mau­vaise ges­tion qui lui parais­sent autrement plus essen­tiels. Il a pris des notes, ne s’emporte pas dans le vide, et cite pré­cisé­ment un cer­tain nom­bre de cas. En out­re, il se pose comme représen­tatif d’une jeunesse qui ne serait pas prise en compte dans les médias. Sub­ver­tir un débat con­venu et arti­fi­ciel pour faire sur­gir la vérité (la vérité des « jeunes » qu’on n’entend pas) et la jus­tice (con­tre les cor­rup­tions poli­tiques), voilà donc sous quelle forme rel­a­tive­ment « légendaire » s’inscrira ce pre­mier « clash » — comme on dirait de nos jours.

Entreprise de recyclage

Sauf que cet écho pseu­do-légendaire étouffe générale­ment une autre réal­ité. Qui aura réelle­ment empoché les béné­fices d’une sem­blable inter­ven­tion ? La vérité ? La jus­tice ? La jeunesse ? Non, mais François Mit­ter­rand. On oublie sou­vent que c’est lui qui, mielleux, sub­til, séduc­teur, con­clut le débat en prenant sous son aile le chanteur amadoué, et qui, par ailleurs, gag­n­era les élec­tions prési­den­tielles. Son règne n’en sera pas moins un som­met de cor­rup­tion jamais atteint dans la Vème république. D’une cer­taine manière, on pour­rait presque con­sid­ér­er cette séquence comme une métaphore de la prise du pou­voir intel­lectuel par la gauche mit­ter­ran­di­enne, recy­clant cynique­ment à son ser­vice deux qual­ités essen­tielles dont sont doués tant les artistes bas de gamme que la jeunesse en général : un idéal­isme pré­caire allié à une rel­a­tive absence d’esprit cri­tique. Le comique, le chanteur, le comé­di­en, puis le van­neur, le slam­meur, l’égérie de téléréal­ité, toutes ces caté­gories pro­fes­sion­nelles somme toute assez restreintes, seront jetées dans tous les débats durant les septen­nats social­istes et après, comme une armée de réserve venant en ren­fort appuy­er la con­quête des esprits, et tous, finale­ment, auront quelque chose de ce Daniel Bal­avoine cir­con­venu par le Machi­av­el des 80’s.

34 ans plus tard…

Le coup de gueule de Bal­avoine, trente-qua­tre ans plus tard, ça donne Kasso­vitz devant Rachi­da Dati, le 15 novem­bre dernier dans On n’est pas couchés. Mais beau­coup de temps a passé, si bien que Kasso­vitz ne se sent nulle­ment illégitime dans sa colère, qu’il n’a pris aucune note et que loin d’exposer le moin­dre fait pré­cis, il se con­tente de hurler des vérités générales qu’il n’est vrai­ment pas la peine de hurler étant don­né qu’elles représen­tent les mots d’ordre de la pen­sée dom­i­nante – mots d’ordre que le min­istre invité remet­trait en cause par ses posi­tions sarkozystes. Faire son Bal­avoine chez Ruquier en 2014, cela demande beau­coup d’énergie. En effet, il ne s’agit plus de ten­ter de court-cir­cuiter la comédie par un cri sincère, mais de jouer le rôle que la gauche mit­ter­ran­di­enne a four­bi à par­tir de ce cri sincère, en faisant croire, à force de tripes, qu’il ne s’agirait pas seule­ment d’un vieux rôle éculé. Le réal­isa­teur com­mence ain­si de suf­fo­quer parce que Rachi­da Dati vient de dire que la délin­quance explo­sait. Elle a aug­men­té depuis l’an passé, mais, d’après lui, n’explose pas. C’est pour une telle nuance que l’ « artiste » se met hors de lui. Sauf que comme la délin­quance aug­mente d’année en année depuis trente ans, il est évi­dent que si l’on s’exprime avec un min­i­mum de recul, on peut légitime­ment affirmer qu’elle explose… « Arrêtez de faire peur aux gens ! » pour­suit le redresseur de torts hors de lui, qui se met à évo­quer avec rage et de manière con­fuse « la sol­i­dar­ité des gens dans la rue », gens du com­mun dont il se ferait le porte-voix comme Bal­avoine pré­tendait se faire celui de la jeunesse en 80. Pre­mière­ment, on voit mal com­ment un réal­isa­teur à suc­cès, avec le mode de vie et les fréquen­ta­tions qui accom­pa­g­nent une telle sit­u­a­tion pro­fes­sion­nelle, aurait une posi­tion de choix pour pro­duire les analy­ses pure­ment empiriques dont il tire ses hâtives con­clu­sions. Deux­ième­ment, ces con­clu­sions sont telle­ment à rebours de ce que les gens du com­mun peu­vent percevoir, eux, dans leurs villes, que les pré­ten­dues vérités ânon­nées avec rage par Kasso­vitz sem­blent appartenir à une pure fic­tion qui n’aurait pas encore été sélec­tion­née pour le prochain fes­ti­val de Cannes. De quelle sol­i­dar­ité par­le-t-il donc ? De celles des racailles entre elles qui agressent en chœur les pas­sants, qui insul­tent les jeunes femmes n’osant plus ren­tr­er seules chez elles le soir, qui font telle­ment corps que les citoyens de base n’osent plus inter­venir lorsqu’une femme se fait vio­l­er devant eux dans les trans­ports publics, qui sont telle­ment soudées que la moin­dre fête fédéra­trice se trou­ve gâchée depuis quinze ans par les exac­tions, le har­cèle­ment, le saccage de quelques hordes sur­gies des RER ?

Licence totale

Ce qui est frap­pant dans le coup de gueule d’un Kasso­vitz, c’est à quel point ce genre de numéro est devenu une fig­ure com­mune et arti­fi­cielle. À quel point agress­er un min­istre, sor­tir de ses gonds dans le cadre d’un débat jusqu’à se mon­tr­er presque défig­uré par la haine, et tout cela pour ne sor­tir que des con­tre-vérités aber­rantes que rien de con­cret ne vient jus­ti­fi­er, est devenu, si l’intervenant appar­tient au camp idéologique dom­i­nant, tolérable, inscrit dans les mœurs, con­venu ; si bien que l’intervenant en ques­tion ne se sent plus bridé par la moin­dre lim­ite, laisse libre cours à sa colère, sachant qu’il dis­pose, sym­bol­ique­ment, d’une licence totale. Une licence totale qui sera illus­trée quelques jours plus tard par le van­neur pro­fes­sion­nel Lau­rent Baffie, dans l’émission C à vous, quand il se per­me­t­tra, après le départ du plateau de Frigide Bar­jot, pre­mière égérie de la Manif pour tous, de lâch­er un : « Elle est par­tie, la pute ? » qu’il aurait été bien en mal de plac­er au sujet d’une autre per­son­nal­ité comme le remar­quait juste­ment Pas­cal Bories dans Causeur. Ain­si que le note en effet le jour­nal­iste, il eût été dif­fi­cile d’imaginer un « Il est par­ti, l’enculé ? » en rap­port avec le pre­mier mar­ié homo­sex­uel de France. « Dès qu’il s’agit de Frigide Bar­jot, tout est per­mis en France ! », s’insurge-t-il encore. Mais nous souhai­te­ri­ons aller plus loin : la vérité est que face à quiconque qui déroge au poli­tique­ment cor­rect, il n’y a plus aucune règle de bien­séance qui tienne. Et le par­al­lèle révéla­teur qui est établi pour cette séquence peut être élar­gi à de nom­breux autres cas.

Cali, Weber

Nous n’en pren­drons que deux, sig­ni­fi­cat­ifs, extraits de l’émission On n’est pas couchés quand le binôme con­sti­tué de Zem­mour et Naul­leau y offi­ci­ait, parce que ces cas sont restés spé­ciale­ment célèbres. Il serait amu­sant de trans­pos­er l’esclandre du chanteur Cali, qui voy­ait le social­iste Azouz Begag venir à sa rescousse pour faire mine de men­ac­er les chroniqueurs après avoir dis­per­sé leurs notes, en imag­i­nant Michel Sar­dou mis en cause par Aymer­ic Caron à cause de sa chan­son en faveur de la peine cap­i­tale (Je suis pour). Envis­ageons donc Sar­dou sor­tant de ses gonds après avoir affir­mé à Caron qu’il refu­sait de par­ler à un « pigeon du gou­verne­ment », et voyons-le se lever pour faire mine d’agresser le chroniqueur avec le sou­tien d’un Flo­ri­an Philip­pot, autre invité ayant quit­té son siège pour l’occasion. Et assis­tons à la scène invraisem­blable de ces deux hommes s’esclaffant, sûrs de leur bon droit, jetant au vent les feuilles du végé­tarien dépité… Sou­venons-nous main­tenant du coup de sang du comé­di­en Jacques Weber dans la même émis­sion. Après avoir vio­lem­ment frap­pé sur la table, le comé­di­en, à l’instar de Cali, récuse toute légitim­ité à son inter­locu­teur : « Je ne veux pas dis­cuter avec lui, ça ne m’intéresse pas ! » Ça n’intéresse pas l’homme de gauche médi­a­tique de dis­cuter avec des per­son­nes qui auraient l’outrecuidance de n’être pas d’accord avec leur vision des choses. On veut bien débat­tre sur des nuances (l’im­mi­gra­tion, pour la France, est-elle : une chance ? un enrichisse­ment ? une régénéres­cence ? un cadeau des dieux ?), mais surtout pas sur le fond de la ques­tion, réglé depuis longtemps par les car­dinaux de la doxa. L’objet de la dis­corde : la sit­u­a­tion dans les ban­lieues, qui ne serait donc pas celle que dénonce Zem­mour, mais sans doute celle d’un havre de paix fes­tif et bigar­ré. En tout cas, l’acteur « par­le de faits très pré­cis » et de liens famil­i­aux. Des « faits très pré­cis » allant encore plus loin que le désas­tre évo­qué par Zem­mour, tout le monde en a, du moment qu’on ne vit pas dans l’un des rares secteurs priv­ilégiés du pays ; le livre Orange mécanique, de Lau­rent Ober­tone, en est plein – tous « validés » par la presse régionale. Alors main­tenant, inver­sons les posi­tions et imag­i­nons, après que Weber, chroniqueur, a par­lé du charme ignoré des ban­lieues français­es, Éric Zem­mour, en sit­u­a­tion d’invité, per­dre soudaine­ment toute con­te­nance, écumer, frap­per la table d’un vio­lent coup de poing et se met­tre à hurler qu’il ne lais­sera jamais dire une chose pareille et qu’il par­le « de faits très pré­cis », avant d’exposer com­ment, de toute manière, il refuse de dis­cuter avec Weber, insin­u­ant qu’échanger avec un « gauchiste lobot­o­misé » ne représente pour lui pas le moin­dre intérêt.

La traque au dérapage

Or, nous le savons par­faite­ment, dans l’état des choses actuelles, de telles scènes ne pour­raient se pro­duire. Non qu’il s’agisse de le regret­ter, mais sim­ple­ment, cette dis­symétrie est par­ti­c­ulière­ment révéla­trice. Si d’un côté, l’intervenant qui pousse son dis­cours dans le sens de la Pen­sée Unique dis­pose d’une licence presque totale dans la forme et qu’il a donc l’autorisation tacite de s’émanciper des règles de bonne con­duite et de sang froid pour assen­er ce qui sou­tient le dogme ; d’un autre côté, celui qui, au con­traire, y dérogerait, ses idées seraient-elles partagées par une part majori­taire de la pop­u­la­tion (comme c’est prob­a­ble­ment le cas pour Zem­mour), non seule­ment ne dis­pose d’aucune marge sur la forme, mais encore, se trou­ve sévère­ment con­damné sur le fond, présen­té comme blas­phé­ma­toire et sig­nalé comme « déra­page ». Celui-là éructe, insulte, s’emporte, men­ace dans le cours du débat – mais son atti­tude est par­faite­ment tolérée. Celui-ci reste cour­tois, avenant, argu­mente – mais il est désigné comme infâme, livré au lyn­chage, voire pour­suivi par la Jus­tice. Et c’est ain­si que la mise en scène du débat devient la mise en scène d’une intim­i­da­tion. Quel con­traste entre un Jacques Weber qui peut hurler, frap­per son pupitre, excom­mu­nier, pour défendre sa vision pos­i­tive des ban­lieues et un Richard Mil­let, invité chez Tad­déi en févri­er 2012, qui, pour expos­er sa vision dés­espérée de la France, hum­ble­ment, douloureuse­ment et en prenant plusieurs pré­cau­tions ora­toires, se con­tentant de deman­der s’il est per­mis de s’interroger comme il le fait, sans la moin­dre asser­tion bru­tale, se trou­vera pour­tant exclu du comité de lec­ture de Gal­li­mard après une cabale déchaînée con­tre sa per­son­ne… Quelle dis­tor­sion entre un Kasso­vitz qui, en vue de louanger un hypothé­tique « vivre-ensem­ble » radieux, peut agress­er un min­istre et presque baver de haine sans que nul ne s’en for­malise, et un Zem­mour qui, pour avoir dénon­cé les échecs fla­grants du mul­ti­cul­tur­al­isme dans le cadre de chroniques radios par­faite­ment for­matées, se retrou­ve assail­li de procès et de péti­tions afin qu’à défaut de le faire taire ou lui coupe au moins le micro, ce qui est du reste aujourd’hui en passe d’être réalisé.

Logique perverse

Par­fois, le sys­tème médi­a­tique révèle la nature lit­térale­ment per­verse de ses procédés. Ain­si, lorsque chez Ardis­son, en 2010, Zem­mour, pour défendre la police accusée de dis­crim­i­na­tion, affirmera que la plu­part des délin­quants sont « noirs et arabes », for­mule sans doute mal­heureuse si elle est extraite de son con­texte – et bien enten­du, elle le sera -, mais dont per­son­ne, cepen­dant, ne parvien­dra jamais à démon­tr­er l’inanité. Quand l’émission sera mon­tée, le pas­sage sera sous-titrée : « Zem­mour dérape ! », don­nant l’impression, à l’instar des logiques pathologique­ment per­vers­es, qu’on a poussé la per­son­ne à la « faute » dans le seul but de pou­voir l’en accuser ensuite. Et il arrivera le même genre de mésaven­ture au philosophe Alain Finkielkraut, poussé à la faute, c’est-à-dire à un « pétage de plomb » qui n’est pas celui d’un pré­ten­du jus­tici­er de gauche, mais sim­ple­ment d’un homme ter­rassé par les rafales d’agressions déli­rantes que déchaîneront con­tre lui, chez Tad­déi, le 23 octo­bre 2013, Abdel Raouf Dafri et Pas­cal Blan­chard. Le « buzz » fab­riqué à par­tir de sa réac­tion dés­espérée per­me­t­tra d’insinuer l’idée que l’homme est bien dément, comme quiconque pré­tend s’élever con­tre l’autorité de la Prav­da, alors même que c’est la Prav­da en ques­tion qui l’aura sci­em­ment poussé à la réac­tion démente.

La forme libérale d’une propagande

Ain­si, très éloigné d’un échange d’idées con­tra­dic­toires loy­al et con­struc­tif pou­vant éventuelle­ment men­er cha­cun des con­tra­dicteurs à une cer­taine « viril­ité » dans leur empoigne, le débat pub­lic omniprésent tel qu’il est pra­tiqué dans les médias français n’est qu’un sim­u­lacre de débat au ser­vice d’une pro­pa­gande. On présente un échan­til­lon de déba­teurs sélec­tion­nés selon les critères de la classe dom­i­nante : intel­lectuels de gauche + artis­to­cratie à la botte + poli­tiques. On y jette, comme dans une arène, un « déviant » isolé, et on pro­duit un clash aux ver­tus péd­a­gogiques com­mi­na­toires. Soit le clash est un « coup de gueule », et insin­ue la vio­lence qu’il est légitime de déchaîn­er con­tre toute déviance. Soit il souligne un « déra­page », et il désigne la ligne que le fidèle ne doit pas franchir sous peine d’excommunication, c’est-à-dire de lyn­chage, de procès ou de mort sociale. Nous ne devons donc pas nous laiss­er tromper. S’il y a de plus en plus de « débats » dans les médias français, c’est, para­doxale­ment, qu’il y a de plus en plus de pro­pa­gande. Et s’il y a de plus en plus de pro­pa­gande, c’est peut-être qu’il faut endiguer la révolte qui cou­ve de plus en plus.

Crédit pho­to : cap­ture d’écran vidéo France 2 (DR)

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