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Dossier : So Press, anatomie d’un succès

1 septembre 2015

Temps de lecture : 8 minutes
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Dossier : So Press, anatomie d’un succès

Temps de lecture : 8 minutes

De So Foot à Society en passant par Pédales !, Doolittle, So Film ou So Foot Junior, Franck Annese a crée un petit empire médiatique au ton relativement nouveau qui rencontre un franc succès chez les trentenaires. Après le foot, le vélo et le cinéma, l’entrepreneur vise à présent le rugby…

Franck Annese ne paie pas de mine : au pre­mier abord, il ressem­ble comme un clone à ces jeunes gens copiés sur la côte ouest des États-Unis et col­lés en masse depuis cinq ans dans les rues des grandes villes français­es qu’on appelait hier encore les hip­sters. Quoiqu’ils n’aient pas changé, ils ont cer­taine­ment une nou­velle dénom­i­na­tion aujourd’hui, mais peu importe : Franck Annese est le seul homme de sa généra­tion (fin 70-début 80) a avoir per­cé jusqu’à présent comme entre­pre­neur de presse écrite en France. Cas­quette basse.

Rien ne lais­sait pour­tant présager tel des­tin. L’aventurier de l’imprimerie off­set était en effet né en Bre­tagne comme beau­coup, avait fréquen­té l’ESSEC comme Julien Coupat, et se prénom­mait Franck comme tout le monde. À l’orée de son jeune des­tin, il bos­sait dans la pub et un peu pour la télé, évidem­ment. Mais très vite, en 99, alors qu’il est encore élève de son école de com­merce, il se pique de cul­ture et lance le mag­a­zine Sofa, rem­pli de bonnes inten­tions et d’indépendance. L’échec est au ren­dez-vous. Loin de se décourager, le gamin sup­port­er du FC Nantes trou­ve la mar­tin­gale : So Foot, le men­su­el du sport le plus pop­u­laire au monde, qui vient marcher sur les plates-ban­des de L’Équipe et de France Foot­ball. Avec deux com­pères de l’ESSEC, Guil­laume Bonamy et Syl­vain Hervé, et dans la lignée de la Coupe du monde 98 il invente le foot « cul­tivé », débar­rassé de ses ori­peaux de beauf machiste. Désor­mais, on peut causer mer­ca­to et coup franc en ville sans crain­dre de lass­er son inter­locu­teur féminin. Mêlant ironie gen­tille, reportages fouil­lés, voy­ages et inter­views de per­son­nal­ités des mon­des poli­tique et cul­turel, le petit men­su­el qui vend au départ 4000 exem­plaires devient vite grand. Il faut dire qu’il béné­fi­cie des meilleurs sou­tiens médi­a­tiques, ceux de la gauche dom­i­nante, de Libé aux Inrocks. So Foot est — étrange­ment — lui aus­si du côté du bien : il dénonce le racisme, la traite des humains, la marchan­di­s­a­tion du monde, la cor­rup­tion, et même le dopage. En 2004, couron­nement, pour son numéro con­tre le racisme, il est sacré « meilleure Une de l’an­née pour un jeune mag­a­zine ». Dix ans après son lance­ment, il a décu­plé ses ventes et s’est imposé comme une référence dans le vaste monde de la balle au pied française. Il est même con­venu d’accord avec ses alter ego européens, comme les alle­mands Rund et 11Freunde, le sué­dois Off­side, les Autrichiens de Ballester­er ou les Anglais de When Sat­ur­day Comes. Ces mag­a­zines se con­sul­teraient régulière­ment les uns les autres, pour coor­don­ner cer­taines actions ou s’échang­er des articles.

La loi des trois « h »

Franck Annese a un cre­do, qui ne donne pas de si mau­vais résul­tats : la « loi des trois “h” : humour, his­toire, humain ». Mais cela ne l’empêche pas d’aimer surtout ce qui marche, et d’en pren­dre tous les moyens con­tem­po­rains. Si en 2006 il a jeté aux orties son pre­mier fanzine, Sofa, pour cause de non-rentabil­ité, il a très vite com­pris que pour s’imposer, le « print » seul ne suf­fit pas, quoiqu’il en dise par ailleurs (« le papi­er est meilleur pour racon­ter des his­toires »). Ain­si So Foot est dou­blé d’un site, sofoot.com, très axé sur l’actu et à la fréquen­ta­tion élevée. Surtout, la mai­son-mère So Press a créé dès 2006 une société de pro­duc­tion audio­vi­suelle (clips, pro­grammes courts, pub­lic­ités virales, doc­u­men­taires, films insti­tu­tion­nels et pro­grammes télévisés), inti­t­ulée So Films, qui compte par­mi ses clients des entre­pris­es nég­lige­ables comme Nike, Vir­gin ou Le Coq sportif.

Ce qui ren­voie directe­ment à la sec­onde activ­ité du mul­ti-cas­quettes Franck Annese, l’écriture pour le monde du spec­ta­cle : il rédi­ge ain­si depuis une bonne dizaine d’années des textes pour Antoine de Caunes quand il enfile son habit de présen­ta­teur des Césars, et des sketchs pour le comique Thomas N’Gijol, enfant de Dieudon­né, du Jamel Com­e­dy Club et de Canal+. Annese est d’ailleurs aus­si auteur pour « Le Grand Jour­nal » de la chaîne cryptée.

Sur tous les fronts, l’imaginatif Annese lance en 2010 Doolit­tle, « mag­a­zine trimestriel de Mode, Cul­ture et Société pour les vrais par­ents sur les vrais enfants ». Qu’est-ce qu’un vrai enfant ? D’après Annese, ce petit être ne serait pas « une icône endi­manchée », mais quelqu’un « qui se bagarre avec sa petite sœur et ne veut jamais manger ses épinards ». Vaste pro­gramme. Mais avec cette OPA sur le « kid­ing », So Press mar­que encore des points : le trimestriel serait aujourd’hui tiré à 80 000 exem­plaires, et ferait fureur chez les bobos à lardons.

Sur tous les fronts…

Coup redou­blé avec So Foot Junior, mis en ser­vice en avril 2014 et que ses con­cep­teurs décrivent ain­si : « Le foot est avant tout une affaire de trans­mis­sion. Le père (ou la mère) emmène son fils (ou sa fille) au stade, et lui donne l’amour du bal­lon, du mail­lot, du bla­son. Voilà ce qu’on avait envie de trans­met­tre avec So Foot Junior : notre pas­sion pour un cer­tain foot­ball. » On remar­quera l’effort louable de fémin­i­sa­tion du sujet…

Dévi­dant la bobine mirac­uleuse du sport, le groupe invente en 2011 le hors-série Pédale !, évidem­ment dédié au cyclisme et non à autre chose. Pub­lié une fois par an juste avant le tour de France, il se vendait en 2012 (derniers chiffres disponibles) à 12 000 exem­plaires, béné­fi­ciant d’une forte sym­pa­thie du milieu encore une fois.

Décidé­ment touche-à-tout, le bar­bu à cas­quette décline son amour des arts en 2012 en inven­tant So Film, men­su­el sous la direc­tion de Thier­ry Lounas, débauché des Cahiers du Ciné­ma. La recette est tou­jours la même : un regard « décalé », comme le fes­ti­val de Cannes vu par les yeux d’un vendeur de kebabs, des his­toire du ciné­ma mar­gin­al, mais aus­si, bien enten­du, des bonnes vieilles stars en cou­ver­ture, et des bons vieux noms de la cri­tique et du ciné­ma pour faire bonne mesure, comme Luc Moul­let et Louis Sko­rec­ki. Cette fois-ci, le mag­a­zine ne dépend pas directe­ment de So Press, mais des Edi­tions nan­tais­es, détenues par Franck Annese et Capric­ci (fondée par Thier­ry Lounas, François Bégaudeau et Emmanuel Burdeau).

Le succès au rendez-vous

Dernier coup de maître en date, qui le fait vrai­ment entr­er dans la cour des grands, Annese a lancé en mars 2015 Soci­ety, véri­ta­ble mag­a­zine général­iste qui espère chas­s­er sur les ter­res de L’Express ou du Point, rien de moins. Présen­té comme un « quin­zomadaire en lib­erté », Soci­ety s’inscrit dans la lignée décrépite des Inrocks ou de Tech­nikart, cepen­dant moins obsédé par la pornogra­phie que le pre­mier et moins trash que le sec­ond. On pour­rait y voir la pat­te d’une nou­velle généra­tion de trente­naires, pleine de déri­sion gen­tille, moins agres­sive que ses anciens et cepen­dant plus nihiliste. Une bonne par­tie du mag reprend des infor­ma­tions comiques ou absur­des véhiculées générale­ment sur le web, le reste con­sis­tant en de longues inter­views inat­ten­dues ou en des reportages sur­prenants, par­fois illus­trés de dessins, selon le mode XXI. L’ensemble a une cer­taine tenue, bien que la poli­tique ou la cul­ture, comme la lit­téra­ture, au sens pro­pre, en soient absentes. Soci­ety s’adresse man­i­feste­ment à un pub­lic, tou­jours « vingte­naire » ou « trente­naire » légère­ment cul­tivé, mais qui n’a pas envie de se lancer dans des analy­ses sérieuses.

Son arrivée, servie par une grosse cam­pagne de pub, a pour­tant été remar­quée dans le paysage des mag­a­zines d’actualité. 100 000, c’est le nom­bre d’exemplaires ven­dus en moins d’un mois pour le pre­mier numéro de Soci­ety. Un suc­cès à la hau­teur des attentes de son créa­teur. Passé l’effet de sur­prise, Frank Annese, l’éditeur du mag­a­zine, table sur 60 000 ventes en kiosque — soit plus que L’Express ou l’Obs qui en sont respec­tive­ment à 56 000 et 47 000 selon l’OJD. Avant son lance­ment, Soci­ety comp­tait déjà 3 500 abon­nés, grâce à la cam­pagne menée sur le site de finance­ment par­tic­i­patif Kisskiss­bankbank. Soci­ety espère attein­dre 10 000 abon­nés dès l’an prochain. Le mag­a­zine de 116 pages paraît un ven­dre­di sur deux, au prix de 3,90 €, soit le même que L’Obs mais moins cher que L’Ex­press, ses deux prin­ci­paux concurrents.

« Les news mag­a­zines actuels sont des­tinés à mes par­ents. Avec Soci­ety, nous visons les 25–45 ans CSP + » déclarait Frank Annese au Figaro.

220 000 exemplaires par mois

Aujourd’hui, le groupe écoule plus de 220 000 mag­a­zines chaque mois auprès d’un pub­lic âgé entre 25 et 49 ans. Une régie pub­lic­i­taire (H3), une société de pro­duc­tion de films (So Films), un label musi­cal (Viet­nam), une struc­ture pour l’événementiel (Doli Events) com­plè­tent la panoplie d’un groupe de nich­es qui s’est con­stru­it petit à petit. À l’automne, il annonce Tam­pon, con­sacré au rug­by. Côté finances, So Press a emprun­té 700 000 euros auprès de la Banque publique d’investissement (BPI). Franck Annese a aus­si fait venir des action­naires « amis ». Le réal­isa­teur et pro­duc­teur du « Grand Jour­nal », Renaud Le Van Kim, les ex-foot­balleurs Édouard Cis­sé et Vikash Dho­ra­soo, le patron de Sys­tème U, Serge Papin, le prési­dent du Red Star, Patrice Had­dad, ou encore l’ancien prési­dent du PSG Robin Lep­roux ont répon­du présents, à hau­teur de 850 000 euros. Et le chiffre d’affaires, d’un peu plus de 5 mil­lions d’euros en 2014, devrait attein­dre 12 mil­lions fin 2015.

Franck Annese, lui, à près de 40 ans, prévoit de se lancer dans une activ­ité d’écri­t­ure et de ciné­ma. Ça promet.

Crédit pho­to : DR

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