La désinformation est une source de déstabilisation majeure, surtout dans les pays fragiles, en crise ou en sortie de crise. Raison pour laquelle le fact-checking est fondamental dans la lutte contre la désinformation. Dans ce dossier, des journalistes africains se sont prononcés sur le sujet.
Jamais le discours politique n’aura été observé, analysé, vérifié avec autant de soin. Cette masse d’informations qui nous parvient chaque jour draine des données plus ou moins sérieuses dont les sources deviennent parfois secondaires. Experts autoproclamés, hommes politiques passés maîtres dans l’art de la mise en scène de leur propre fonction, chaînes d’information continue à grand renfort de spectacle et de sensationnel, théories du complot… la recherche de la vérité est plus nécessaire que jamais. Cette vérité est la pierre angulaire sur laquelle repose le pacte républicain, mais aussi le chaînon manquant, souvent jugé responsable d’une crise de confiance institutionnelle globalisée.
La désinformation : une source de déstabilisation majeure
En Guinée Bissau, l’évolution des médias et l’accès facile aux réseaux sociaux observés ces dernières années ont créé des opportunités pour un plus grand échange d’informations, mais aussi favorisé la prolifération de la désinformation et la diffusion des discours de haine en ligne. Des dérives qui impactent sur la garantie des droits notamment le droit à l’information, sur la cohésion sociale et la consolidation de la paix. « En Guinée Bissau, l’engagement des médias pour lutte contre la désinformation reste limité » explique le journaliste Bissau Guinéen Albertino que nous avons joint au téléphone. Il fait comprendre « qu’il est difficile de combattre la désinformation en Guinée Bissau, surtout depuis la fermeture de l’unique plateforme de fact-Cheking établie en période de Covid19 dans le pays ». A l’en croire, « les journalistes de la Guinée Bissau souhaitent développer leurs compétences dans le domaine de la vérification des faits ». De son côté, Dos Santos abonde dans le même sens en soutenant que « cette formation est nécessaire ». Car, dit-elle, « les journalistes doivent relayer avec prudence pour produire des informations de qualité avant de les diffuser ».
En Afrique : le fact-checking est fondamental
« Le fact-cheking en Afrique est encore en pleine émergence, mais il gagne en importance à mesure que l’accès à l’information numérique augmente. Avec des plateformes comme Balobaki check en RDC, Pesacheck, de Code for Africa ou Datacheck au Cameroun, l’Afrique s’organise pour vérifier les faits et contre la désinformation, surtout sur des sujets sensibles comme les élections, la santé ou la gouvernance » indique Bienvenue Adama Atchinale, Fact chekeur camerounais. Cependant, dit-il, « l’impact reste limité par des défis d’accès aux données fiables, de manque de formation pour les journalistes et de méfiance envers certaines sources d’information. Pour le directeur de publication voix d’Afrique au Togo, Sama Kingsley« le fact-cheking en Afrique est en plein essor, mais il fait face à de nombreux défis ». Parce que, dit-il, « plusieurs organisations émergent pour lutter contre la désinformation, notamment à travers des initiatives locales et des partenariats internationaux ». Cependant, fait constater le journaliste togolais, « l’accès limité à des ressources fiables et l’infrastructure technologique inégale peuvent entraver ces efforts ». Attestant l’importance du fact-cheking, il déclare que « des journalistes du continent commencent à s’informer sur le fact-cheking, mais la formation et les ressources restent inégales ». Selon lui, « les programmes de formation sur la vérification des faits sont de plus en plus proposés, mais il y’a encore un besoin d’améliorer les compétences numériques et analytiques des journalistes dans certaines régions ».
Le fact-cheking : une réponse à la crise de l’information et de la démocratie
Pour Bienvenue Adama Atchinale chef du projet Digital Solidarité Jeunes au Cameroun, « le fact-cheking est fondamental dans la lutte contre la désinformation qui menace directement les démocraties africaines ». Face à la montée des fake news, notamment pendant les élections et les crises sanitaires, comme la Covid19, il fait savoir que « le fact-checking aide à rétablir la vérité et à prévenir la manipulation publique ».Et de préciser : « cependant, il n’est pas suffisant seul, il doit être intégré dans un écosystème plus large de sensibilisation à l’éducation médiatique de transparence des médias et de renforcement des institutions démocratiques ». Selon lui, « la notion de fact-cheking est de plus connue chez les journalistes africains, mais sa pratique reste inégale ». Et d’ajouter : « certains médias et journalistes s’engagent sérieusement dans la vérification des faits, mais beaucoup manquent de ressources, de formation spécialisée ou d’accès à des sources fiables ».
Le fact-Cheking : un tournant majeur avec les nouvelles technologies
Cependant, le fact-checking est devenu une fonction essentielle du journalisme. Le tournant majeur dans l’évolution du phénomène est celui des nouvelles technologies qui augmentent de manière exponentielle les moyens d’une vérification toujours plus rapide et plus poussée. Dans quelle mesure le fact-checking et les nouvelles technologies qui le portent transforment-ils notre rapport à l’information et au discours politique ? Si le fact-checking n’est pas une pratique inédite, dans la mesure où il fait partie intégrante
du travail d’investigation et de vérification des sources inhérent aux travaux
du journalisme et de l’investigation, il est clairement réinventé par les nouvelles technologies. Des origines du phénomène aux États-Unis à l’adoption européenne de la pratique, le fact-checking est aujourd’hui en quête de légitimité. Devant les accusations de fake news, de manipulation de la presse, les temps forts de la vie politique, des élections aux crises économiques ou sociales, sont autant d’électrochocs qui rythment et insufflent une vitalité nouvelle à cette vigilance démocratique.
Big data et légitimité des fact-checkeurs
A l’heure du big data, le fact-checking bouleverse non seulement notre rapport à l’information mais aussi au discours politique. Il laisse peut-être entrevoir la promesse d’un nouveau genre journalistique, plus attaché aux faits. Une information moins complaisante vis-à-vis de la classe politique. Devant les accusations croissantes de fake news et d’instrumentalisation des médias, le fact-checking pourrait être un rempart aux dérives des fausses nouvelles. Une arme précieuse que les politiques se sont empressés de s’approprier comme un outil de communication interne, quitte à décrédibiliser la démarche, voire à provoquer une crise de légitimité du fact-checking. La vérification de l’information est-elle biaisée ? Faut-il « checker » les « fact-checkeurs » ? L’outil serait-il défectueux ? Rien n’est moins sûr. Et si le véritable intérêt du fact-checking résidait plutôt dans une nouvelle éducation des citoyens aux médias et au discours politique. L’on peut dire sans risque de se tromper que la vérification des faits est une technique consistant d’une part à vérifier la véracité des faits et l’exactitude des chiffres présentés dans les médias par des personnes publiques, notamment des personnalités politiques et des experts, et, d’autre part, à évaluer le niveau d’objectivité des médias eux-mêmes dans leur traitement de l’information. Cette notion est apparue aux Etats-Unis dans les années 1990 sous l’appellation de fact-checking. Mise en pratique par des journalistes dans le cadre de leur profession, la méthode s’est démocratisée grâce à des logiciels aidant les particuliers à vérifier les faits.
Mapote Gaye
Correspondant OJIM Afrique