[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 20/04/2017]
Journaliste polyvalent, Nicolas Demorand est très présent sur les ondes. Sur France Inter, il présente 4 fois par semaine une émission consacrée à la politique internationale : Un jour dans le monde. Le « pitch » : « Des guerres anciennes aux conflits sporadiques, de la culture mondiale à la culture plus locale… Pour mieux comprendre un monde de plus en plus riche et incertain ». L’émission est-elle moins creuse que son accroche ? Décryptage avec cette enquête menée du 10 au 13 avril 2017.
Un Nicolas Demorand égal à lui-même
Elle est en tout cas à l’image de son animateur : politisée et militante. Avec Nicolas Demorand, le monde se réduit à quelques obsessions. Ce n’est pas nouveau. Animateur ayant lancé C Politique sur France 5, officié lors des matinales de France Inter, du 18/20 d’Europe 1 ou de celui d’I‑Télé, à la tête de la rédaction de Libération, Demorand est revenu sur France Inter et France Info depuis 2014. Il n’avance pas masqué : chacun connaît ses engagements libéraux libertaires tendance PS. Cela se retrouve naturellement dans les axes de pensée de l’émission Un jour dans le monde.
Nicolas Demorand est antipopuliste donc Un jour dans le monde est antipopuliste
La question de la montée du « populisme » agite Nicolas Demorand. À ses yeux, le concept recouvre celui d’extrême-droite. Lundi 10 avril 2017, Un jour dans le monde est consacré à La présidentielle française sous l’œil des médias étrangers. La parole est donnée à des journalistes représentant les États-Unis, l’Allemagne, les pays Scandinaves et la Grèce. Les élections présidentielles sont « une tragicomédie » dont l’issue incertaine « menace la démocratie dans les pays de l’Union Européenne ». 5 personnes dans le studio, un mode de pensée unique. Le journaliste allemand exprime sa « grande peur de l’élection de Marine Le Pen ». Question de Nicolas Demorand : « Vous vous dîtes si la France tombe on sera le prochain domino ? ». Réponse : « Les effets seraient dévastateurs pour l’Europe ». La conversation se fait entre journalistes, pas entre hommes politiques. Cette question du populisme revient dès le mardi 11 avril au cours d’une émission de critique du Brexit sur le thème Quel avenir pour l’Union Européenne ? L’invité est Pierre Moscovici, commissaire européen : « Il y a eu beaucoup de promesses qui ont été faites aux électeurs britanniques, qu’ils allaient payer moins, recouvrer leur souveraineté et garder tous les avantages de l’appartenance à l’Union Européenne ». Interruption de Nicolas Demorand : « Sans les inconvénients ». Petite conversation entre amis : « On ne peut pas avoir le meilleur des deux mondes », tranche Moscovici. Saluons l’honnêteté de ce dernier quand il reconnaît que la vie politique oppose maintenant deux mondes, tenants et opposants de la mondialisation, et que l’Union Européenne consiste en une perte de la souveraineté pour les peuples concernés. Moscovici explique ensuite : les négociations du Brexit devront remettre les britanniques à leur place (« Ils ne font plus partie du club ») et l’UE doit d’abord « penser à ses citoyens ». Le Commissaire Européen prône ainsi la préférence communautaire, copie de la préférence nationale, à plusieurs reprises au cours de l’émission. Vient alors la campagne présidentielle. Moscovici : campagne confuse, on « ne parle pas assez d’Europe alors que c’est le sujet. Est-ce que nous sommes une société ouverte, est-ce que nous sommes une économie ouverte, est-ce que nous continuons à coopérer avec les autres ? ». Nicolas Demorand ne demande pas si le chômage ou l’insécurité culturelle jouent un rôle plus important mais engage Moscovici à poursuivre : « C’est inquiétant car beaucoup regardent la montée de Marine Le Pen, je dois quand même prononcer son nom, la sortie de l’Europe qu’elle propose, le Frexit, ou la sortie de l’euro qui est son programme qui, pour moi, est un programme délirant, mortel pour l’Europe, faire l’Europe sans la France c’est une raison d’être qui s’en va, et qui est dangereux pour la France et ses couches populaires ». Un discours qui rappelle ceux tenus avant le Brexit par nombre d’hommes politiques, discours que Moscovici vient de contrecarrer au sujet de ce même Brexit en expliquant que l’UE et le Royaume-Uni trouveraient un accord de coopération « bénéfique » pour les deux parties. Alors, l’exit ? Catastrophe ou pas ? Avant, la réponse est oui. Après, la réponse est non. Moscovici déclare que Marine Le Pen a une « volonté destructrice » pour clore le sujet.
Nicolas Demorand n’aime pas l’autorité donc Un jour dans le monde n’aime pas les hommes politiques jugés autoritaires
Dès lundi, entrée en scène de Donald Trump avec la chronique « Trump à la Maison Blanche ». Le président américain vient de « montrer les muscles » en bombardant la Syrie. On écoute une déclaration d’Hillary Clinton au sujet du gouvernement américain : « Ils ne pourront pas dire que nous voulons protéger les bébés syriens et en même temps leur fermer les portes de l’Amérique ». Nicolas Demorand acquiesce d’un « hum » audible à l’antenne. Puis il précise : « Les Russes redeviennent des ennemis comme au bon vieux temps ». Dans son édito de fin d’émission, Vincent Giret, aussi journaliste au Monde et sur France Info, évoque l’attentat qui vient de frapper la communauté Copte d’Égypte. « Différents acteurs ont une responsabilité particulière » : le maréchal al-Sissi car « il dirige l’Égypte d’une main de fer après avoir renversé dans le sang les Frères Musulmans » et « les autorités de l’Islam Sunnite ». Les 2 « doivent dire qu’ils défendent une Égypte multiculturelle ». Pas de doute : les tensions disparaîtront alors. L’obsession antiautoritaire revient dans les différentes émissions de la semaine, au fil des chroniques. Ainsi, Olivier Poujade donne la parole à un témoin le mercredi 12 avril 2017, dans l’émission consacrée à L’OTAN en campagne électorale : derrière Erdogan, « il y a des groupuscules fascistes ». Le parti de Erdogan est « discriminatoire, violent envers les femmes ». Sur le même sujet, le jeudi 13 avril 2017, c’est Human Right Watch qui dénonce le président turc. Le mot Islam n’est pas prononcé.
Demorand est un peu anticapitaliste donc Un jour dans le monde est un peu anticapitaliste
Jeudi 13 avril 2017, titre de l’émission : Un repenti de la finance nous parle. Lord Turner, « ancien gendarme financier britannique », a pris ses fonctions 4 jours avant la faillite de Lehman Brothers : « Nous étions conscients qu’il ne fallait pas refaire les mêmes erreurs qu’en 1929 et 1940 pour éviter la montée du fascisme et du nazisme, nous avons tiré les leçons de l’histoire pour éviter ce qu’il ne fallait pas faire ». Nicolas Demorand : « Nous, ignorants, profanes, avons découvert un monde totalement hallucinant, une ingéniosité financière totalement délirante, coupée du réel, un état d’esprit aussi dans les salles de marché, et beaucoup ont éprouvé à la fois de la sidération et de la colère. Je ne pense pas que la colère soit retombée et vous ? ». Réponse : « Croire que la complexité du système financier le rendrait plus sûr était faux. Des erreurs intellectuelles profondes ont été faites par les participants du système financier mais aussi par beaucoup d’économistes, dont des prix Nobel. Il y a un degré légitime de colère. La science économique a échoué ». Turner indique alors que la crise de 2008 est née de l’accroissement de la dette privée et que sa transformation en dette publique explique l’impact que cela a sur la vie quotidienne. Réaction de Nicolas Demorand, répétée à plusieurs reprises : « Merci les traders, merci beaucoup hein. On s’amuse à inventer des instruments financiers et cela entraîne les dettes publiques. Merci les traders ! ». Demorand toujours : « Le Brexit est l’addition qui a été payée pour cette erreur ». Ainsi que « l’extrême-droite en France ». Il insiste : « Merci les traders, votre ingéniosité financière délirante nous aura donc délivré une crise majeure de la dette et le populisme. Chapeau ! Bravo ! ».
La boucle semble bouclée. Mais non. Une chronique d’Anthony Bellanger, journaliste et syndicaliste, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes, ponctue l’émission. Il parle de Gibraltar et du Brexit : « La leçon de cette histoire, c’est que le nationalisme c’est la guerre. Non seulement c’est la guerre mais en plus c’est la défaite. Celle de la Serbie qui a perdu le Kosovo, de l’Espagne qui risque de perdre la Catalogne, de la Grande-Bretagne qui voit l’Écosse tout faire pour s’en séparer, et c’est de cela dont nous préserve l’Europe et il ne faut pas l’oublier ». Cette fois, la bouche est vraiment bouclée. No Pasaran. En cette semaine du 10 au 13 avril 2017, sur France Inter, dans Un jour dans le monde l’auditeur n’était plus vraiment en 2017 mais plutôt du côté de Munich en 1938. Pour l’esprit de l’émission de Nicolas Demorand du moins.