La question des droits de réponse est toujours épineuse. Une annonce sur un JT de 20h peut engendrer un droit de réponse en ligne qui ne sera lu par personne ou presque. ZDF avait employé, en parlant de la deuxième guerre mondiale, l’expression « camps de la mort polonais » impliquant que ces camps étaient organisés et dirigés par la Pologne et des Polonais, et non simplement en territoire polonais. Malgré une condamnation en justice ZDF n’a toujours pas fait place à un droit de réponse formel et visible.
Comment camoufler un droit de réponse
En décembre 2016, la télévision publique allemande ZDF avait été condamnée par la Cour d’appel de Cracovie à présenter ses excuses et dédommager Karol Tendera, polonais rescapé d’Auschwitz aujourd’hui âgé de 96 ans, pour avoir parlé en 2013 à propos d’une émission d’Arte de « camps de la mort polonais ». La ZDF s’était bien exécutée le 23 décembre, mais à reculons : les excuses ont été placées dans un endroit peu visible, tout en bas de la page d’accueil de son site Internet, sous le titre « Excuses auprès de Karol Tendera » (Entschuldigung bei Karol Tendera). Ce n’est qu’une fois qu’on a cliqué sur ce titre énigmatique qu’on peut voir s’afficher le texte des excuses au format image, ce qui le rend invisible aux moteurs de recherche. L’Observatoire du journalisme avait évoqué cette affaire en janvier 2017.
Intervention de la justice allemande
Assisté par une organisation d’avocats polonais, le plaignant s’est alors tourné vers la justice allemande pour contraindre la chaîne publique allemande à exécuter correctement le jugement polonais. Il a obtenu gain de cause en première instance et en appel. En 2017, le tribunal de Mayence a en effet émis une clause d’exécution pour le jugement de la Cour d’appel de Cracovie. La chaîne publique allemande, qui n’avait visiblement aucune envie de présenter des excuses suffisamment visibles pour son utilisation du terme « camps de la mort polonais », a fait appel de la décision, mais la cour d’appel de Coblence a confirmé la même année la validité et la force exécutoire du jugement polonais. La ZDF n’a pas jeté l’éponge et s’est alors adressée à la Cour fédérale de Karlsruhe. Chose intéressante, la chaîne publique allemande a repris comme argument les critiques de la Commission européenne à l’égard de la réforme du système judiciaire en Pologne (qui n’était pas encore en vigueur quand la Cour d’appel de Cracovie a rendu son jugement) pour dire que les juges polonais sont soumis au pouvoir exécutif et que leurs jugements ne peuvent donc pas être reconnus par la justice européenne.
La cour fédérale infirme le jugement du premier tribunal
Au final, les juges de Karlsruhe n’ont pas retenu cet argument. Dans leur jugement rendu en juillet 2018, ils ont estimé que le droit allemand en matière de liberté d’opinion et des médias, contrairement au droit polonais, interdit d’obliger qui que ce soit à publier une déclaration qui serait contraire à son opinion. Une affaire de liberté d’opinion et d’expression qui remet toutefois en question la reconnaissance mutuelle des jugements rendus dans les pays de l’UE et qui ne s’appliquait jusqu’ici pas en Allemagne pour les propos négationnistes ou révisionnistes. Il est donc interdit en Allemagne de mettre en doute l’existence ou même l’étendue de la Shoah mais pas de laisser entendre que les auteurs ou les exécutants de la Shoah étaient non pas des allemands mais des polonais.
ZDF s’excuse en privé sans s’excuser publiquement
Ce qui surprend dans cette affaire n’est tant pas le jugement rendu par la Cour fédérale allemande que l’entêtement d’une chaîne publique allemande à refuser de publier des excuses suffisamment visibles pour avoir parlé de « camps de la mort polonais » alors qu’elle a bien corrigé l’expression litigieuse et envoyé une lettre d’excuses au plaignant. On comprend donc que si ZDF devait expliquer qu’elle regrette d’avoir parlé de « camps de la mort polonais » pour les camps allemands en Pologne occupée, ce serait « contraire à l’opinion de la chaîne ».
L’expression « camps de la mort polonais » qui apparaît régulièrement dans les médias de certains pays, dont l’Allemagne (mais apparemment pas en France), est généralement, aussi inacceptable qu’elle soit, un simple raccourci phraséologique, « polonais » voulant dire ici « situés en Pologne occupée ». Les choses semblent toutefois différentes pour la chaîne publique allemande ZDF, puisqu’elle préfère une longue bataille juridique à la publication d’excuses en bonne et due forme sur son site Internet, ce qui ne lui aurait rien coûté.