Nous revenons sur la signature d’un accord sur les « droits voisins » de la presse le 21 janvier 2021. Cet accord est-il une victoire des éditeurs de presse en France ou bien au contraire une étape de plus sur la mainmise de Google sur la presse et l’ensemble de son écosystème ?
APIG et Google
L’APIG c’est l’Association de la Presse d’Information Générale qui discute depuis de nombreuses années avec le monstre de Californie pour l’utilisation par ce dernier des articles de presse. Depuis sa transcription en France en juillet 2019, la directive européenne sur ce sujet est censée s’appliquer sous forme d’accords de licence accordés par les éditeurs à Google. Accords de licence = redevances = sous donnés par Google pour utiliser les données produites par la presse. En théorie du moins car l’opacité règne.
Du secret dans l’opacité
Ou de l’opacité dans le secret, comme vous voudrez. Une condition formelle de l’accord cadre est que chaque accord particulier reste secret. Prenons trois exemples tout à fait inventés :
Libération signe un accord qui donne à Google licence d’utiliser ses articles gratuitement. En échange Google s’engage à « pousser » les articles de Libération par ses algorithmes sur News Showcase (voir infra).
Toujours pour utiliser le contenu, Google propose 10 € par an au quotidien catholique Présent, mais sans accès à News Showcase, le quotidien peut refuser ou accepter sous la contrainte sous le risque de ne plus être référencé.
L’Humanité trouve un accord intermédiaire, négocie une somme à l’année de 50K€ sans accord particulier sur les algorithmes.
Trois cas fictifs qui aboutissent à trois situations différentes. On pourrait en imaginer une quatrième, Le groupe Le Monde, plus puissant pour négocier, recevant 10M€ pour l’ensemble du groupe plus un bon coup de pouce pour les articles via les plateformes de Google. Le tout dans le plus grand secret.
Trafic augmenté = rémunération
Comme l’a remarqué la Lettre A, la position de Google (contestée par des juristes) est simple : la valeur créée par Google en générant du trafic sur les contenus numériques constitue une rémunération. Cette disposition n’existe plus dans l’accord cadre mais rien n’empêche un éditeur de s’y conformer.
D’ailleurs les poids lourds comme Le Monde ou Le Figaro ont signé des accords dès l’automne 2020 sans attendre la signature de l’accord cadre, accords toujours secrets bien entendu.
Les magazines hors course
Les grands magazines ne sont pas concernés par l’accord, ni même l’AFP. Des actions juridiques sont toujours en cours par l’agence de presse et par le SEPM le Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine. D’autres syndicats qui ne sont pas concernés par l’action juridique ont marqué leur opposition, comme le syndicat de la presse en ligne (SPIIL), ou la Fédération Nationale de la Presse Spécialisée (FNSP) pour distorsion de concurrence.
News Showcase, la corde au cou
Google avait une botte secrète, News Showcase. News Showcase kesaco ? C’est un écosystème d’information propre à Google qui va vous permettre une mise en avant de vos articles sur les différents produits Google :
- Google Search, le moteur de recherche dominant
- Discover pour les mobiles
- Google News, le moteur de recherche dédié à la presse
Si vous n’êtes pas sur News Showcase, vous serez peut-être toujours référencé, mais les algorithmes vous enverront dans les abysses digitales. Vous continuez à exister mais dans l’ombre. Libération, Le Monde, Le Figaro, Reuters, l’allemand TAG24 sont déjà sur News Showcase dans des conditions que l’on dit drastiques mais tenues secrètes. Résumons : Google tient la presse écrite par le cou (ou d’autres organes masculins commençant par les mêmes lettres) et peut serrer la vis quand il veut selon les conditions acceptées par les médias. Selon les opinions exprimées aussi bien entendu ; on peut deviner à travers les censures des GAFAM que la presse libérale libertaire sera favorisée par rapport à la presse conservatrice.