Il y a 14 écoles de journalisme reconnues par l’État, toutes à des degrés divers dans le moule libéral libertaire. Nous publions le témoignage spontané et très vivant d’un ancien élève (en ce moment en poste dans un média parisien mainstream où il se tient à carreau). À travers son expérience, on comprend comment il faut rentrer dans le moule. D’autres témoignages d’anciens élèves ou d’élèves en cours de formation nous intéressent, nous garantissons l’anonymat.
La pression sur l’emploi
La pression sur les élèves se fait de différentes manières, elle n’est pas “ouverte”, c’est-à-dire que jamais personne ne vient vous voir pour vous dire que vous pensez mal ou que vous ne collez pas au standard d’un journaliste. La méthode est beaucoup plus tacite. D’abord via les bulletins. Chaque professeur doit remplir son observation sur chaque élève. Une observation sur son travail ET une observation plus générale. Ces bulletins sont l’occasion pour les professeurs de relever ce qui ne va pas avec un élève. Moi par exemple, des professeurs m’ont mis par écrit que j’avais des « questionnements bizarres » sur des parallèles entre immigration et délinquance. Cela conduit à deux choses : d’abord, on comprend qu’il faut se taire pour ne plus avoir ces remarques dans son bulletin, que ce qu’on dit n’est pas correct ni accepté. Ensuite, c’est aussi une manière de faire remonter à la direction des choses qui se passent en cours. L’autre point qui est important à comprendre c’est que nos professeurs ne sont pas de simples professeurs, ce sont avant tout des journalistes, des chefs de rédactions, certains ont des postes importants et sont nos futurs employeurs et/ou nos futurs collègues. Si on ne convient pas à un prof, nul doute qu’il sera très dur d’avoir un poste au sein de la rédaction où il travaille.
Ensuite, il y a certains cours, appelés “masterclass” ; un intervenant vient pour nous présenter une thématique sociétale différente : le féminisme, la lutte des classes, la justice etc. C’est aussi une manière de nous dire comment on “doit” penser (il ne s’agit pas en effet de débat mais bien de cours où un spécialiste nous présente LA vérité sur un sujet). Lors d’un cours où une “spécialiste” nous avait expliqué en gros que catholique = antisémite, deux élèves (dont moi) avions exprimé notre désaccord profond et notre mécontentement par rapport à cette démonstration, il y eût alors quelque chose d’exceptionnel : des élèves ont écrit un mail à la direction et à la spécialiste en question pour “s’excuser au nom des fachistes de la classe”. Autant vous dire que ça met une très grosse pression et qu’on n’a pas envie de s’exprimer de sitôt ensuite. Les élèves qui ont porté la dénonciation le font avant tout pour se faire valoir (les places en rédaction étant très chères) mais aussi car ils sont militants et veulent que vous vous taisiez.
Sélection pour les concours et les bourses
Il faut bien comprendre aussi qu’il y a tout un enjeu sur la sélection faite en interne au sein de l’école pour les concours et les bourses (ce sont des concours que l’on passe en fin d’année de Master 2 pour gagner, si on passe les épreuves, des contrats immédiatement à la sortie de l’école). La sélection interne est très opaque, on ne sait pas vraiment pourquoi tel élève est choisi pour participer à telle bourse. Les compétences de l’élève comptent, mais on imagine bien que l’école ne choisira pas un élève “anti-système” pour présenter le concours. À ma deuxième année de Master j’ai été assez parfaitement dans le cadre pour ne pas faire de vagues et espérer être choisi pour passer un concours. Finalement, c’est ce qui s’est passé puisque la direction m’a proposé de présenter une bourse alors que quelques mois plus tôt, en fin de première année de Master on voulait me renvoyer de l’école (quand j’étais un peu trop hors du moule). Ma nouvelle “façade”, ma nouvelle “personnalité” en M2 m’a donné la chance de ne pas être viré et de passer les concours. Anecdote, pour assurer le coup, on m’a aussi fortement suggéré de retirer TVL de mon CV (CV envoyé dans le dossier pour présenter la bourse)
Bref, vous l’aurez compris, rien de frontal, tout est très tacite. Mais nous sommes avant tout des élèves avec une certaine intelligence et on comprend assez rapidement quand on sort du cadre par rapport à ce qui se dit en cours, aux élèves qui balancent, à ce qui est écrit dans le bulletin etc…