Après les attentats islamistes qui ont notamment frappé la rédaction de Charlie Hebdo, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, a décidé d’instaurer « un nouveau parcours éducatif et citoyen de l’école élémentaire à la terminale ». Parmi onze mesures, elle propose la mise en place d’un cours d’éducation aux médias et à l’information. Une idée loin d’être récente (elle date de 1983 !), mais dont la description ressemble plus à de l’endoctrinement qu’à un apprentissage visant à décrypter les médias.
Ce ne sera pas un cours à part entière, tel que celui de français ou de mathématiques. L’éducation aux médias et à l’information consistera en « un enseignement intégré de manière transversale dans les différentes disciplines », nous annonce le site du ministère de l’Éducation nationale. Concrètement, que cela signifie-t-il ? « À apprendre aux élèves à lire et à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique et à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie. » L’objectif est à la fois très ambitieux et… totalement creux. Apprendre à nos chères têtes blondes à réfléchir par eux-mêmes en les plaçant sous le joug de la tyrannie médiatique, il fallait y penser ! Mais rendons tout de même à César ce qui lui appartient, ce n’est pas une initiative du gouvernement actuel. L’éducation aux médias figure depuis juillet 2006 dans le socle commun de connaissances et de compétences que tout élève doit maîtriser en fin de scolarité obligatoire.
La ministre a annoncé de grands changements sans indiquer comment ils pourront être financés dans le détail. On sait simplement que l’enveloppe globale s’élève à 250 millions d’euros. Certainement pas assez, car enseignants et personnel d’éducation bénéficieront tous « d’un programme de formation continue sur la sensibilisation des élèves à la citoyenneté française et européenne, à la laïcité et à la lutte contre les préjugés ». Pourtant, ne serait-ce que pour l’éducation aux médias, les coûts risquent d’être très élevés. Najat Vallaud-Belkacem affirme par exemple que son « ministère veillera à ce qu‘un média – radio, journal, blog ou plate forme collaborative en ligne – soit développé dans chaque collège et dans chaque lycée. Les professeurs documentalistes seront tout particulièrement mobilisés à cette fin. C’est en effet en engageant les élèves eux-mêmes dans des activités de production et de diffusion de contenus, notamment à travers les réseaux sociaux et les plates-formes collaboratives en ligne, qu’ils prendront le mieux conscience des enjeux attachés à la fiabilité des sources, à l’interprétation des informations et à la représentation de soi en ligne. » Un chantier colossal, alors même, qu’en plaçant la maîtrise du français dans le même plan d’urgence, la ministre reconnaît de facto, qu’il y a de graves lacunes dans les connaissances de base. D’autre part, créer et alimenter un média sans cours dédié mais de façon transversale paraît compliqué.
Pourquoi un tel projet ?
Cette idée vient de la déclaration de Grünwald sur l’éducation aux médias du 22 janvier 1982 :
« L’école et la famille partagent la responsabilité de préparer les jeunes à vivre dans un monde dominé par les images, les mots et les sons. Enfants et adultes doivent être capables de déchiffrer la totalité de ces trois systèmes symboliques, ce qui entraîne un réajustement des priorités éducatives, lequel peut favoriser à son tour une approche intégrée de l’enseignement du langage et de la communication.
L’éducation aux médias sera plus efficace si les parents, les maîtres, le personnel des médias et les responsables des décisions reconnaissent qu’ils ont tous un rôle à jouer pour favoriser l’émergence d’une conscience critique plus aiguë des auditeurs, des spectateurs et des lecteurs. Renforcer l’intégration des systèmes d’éducation et de communication constitue sans nul doute une mesure importante pour rendre l’éducation plus efficace. »
Intégrer l’éducation et la communication… où commence la propagande d’État ? Ou celle des grands groupes à qui appartiennent les médias ?
Selon le dossier consacré à cette question sur le portail de l’Eduscol, il faut justement faire attention à ce « présupposé de vérité dans les messages médiatiques, de même qu’à une illusion de réalité qui peut interférer et rivaliser avec l’enseignement. Il s’agit bien, dès lors, de former l’esprit critique de l’élève, de l’amener à s’interroger, à faire des choix, à construire une cohérence, à mettre en question la validité et le fonctionnement de tout message qui se donne à lire comme un extrait de réel (information, témoignage, document, etc.). Bref d’en faire percevoir les finalités implicites, pour qu’il en maîtrise la forme et le contenu et respecte lui-même une certaine déontologie dans sa façon de communiquer. Nous touchons là au chapitre de l’éducation à la citoyenneté : apprendre à se mouvoir dans un univers dominé par les médias, à résister aux manipulations de toutes sortes, confronter les sources, se forger une opinion personnelle, affirmer ses goûts, réinvestir les codes pour pouvoir soi-même les utiliser et s’exprimer librement, tout en respectant un certain nombre de règles de communication et d’éthique. »
Comment cela va-t-il se mettre en œuvre ?
Le Clemi (Centre de liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information) fait état de quatre axes principaux :
- Citoyenneté, compréhension du monde, ouverture sur une éducation aux médias
- Lecture de l’image
- Médias comme objets d’étude
- Médias comme documents ou supports pédagogiques
Quant à l’inspection générale, elle recommande que l’éducation aux métiers de l’information soit impliquée dans toutes les disciplines fondamentales (mathématiques, français, histoire-géographie, etc.) Elle détermine également quatre axes :
- Analyse et compréhension des contenus : lecture de l’information, compréhension des messages, étude et appréciation des points de vue, mise en relation avec le contexte, ouverture sur l’actualité et le monde environnant.
- Maîtrise des langages : analyse et prise en compte des formes, des conditions de production et de réception des messages, rhétorique et langage des images.
- Connaissance des médias : environnement économique et social qui détermine leur fonctionnement, circuits d’information, métiers du journalisme, de la presse écrite et audiovisuelle
- Usage et pratique des médias : initiation à l’écriture médiatique et à ses codes, création et réalisation de journaux scolaires, revues et dossiers de presse, émissions radio, vidéos, reportages, blogs, sites Internet…, maîtrise de savoir-faire liés à l’usage des médias
Qui est associé à ce projet ?
Le Clemi (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information).
Fondé en 1983, il a pour mission « d’apprendre aux élèves une pratique citoyenne des médias. Cet objectif est atteint en établissant des partenariats constants entre enseignants et professionnels de l’information. Tous les enseignants, quels que soient leur niveau et leur discipline peuvent venir se former au Clemi qui accompagne également les élèves qui créent des médias scolaires ». Les membres qui siègent à son conseil d’orientation et de perfectionnement sont pour un tiers des représentants des pouvoirs publics, pour un tiers des représentants du système éducatif et le dernier tiers est constitué de professionnels de l’information et de la communication. La liste des membres est disponible ici. On y trouve notamment les directeurs du CNC, de l’INA, du CSA, des recteurs d’académies, des délégués ministériels, des syndicalistes et des journalistes, notamment de Médiapart, TF1, Télérama, Ouest-France, La Croix ou du Bondy Blog.
Les partenaires éducatifs agréés du ministère
Des professionnels des médias
Là, une question se pose : quelle presse est concernée ? Valeurs Actuelles, journal classé à droite, sera-t-il étudié à l’école ? La Décroissance, mensuel prônant le contraire du programme économique de nos gouvernements, sera-t-il également à l’étude ? Les journalistes en désaccord avec les lignes éditoriales politiquement correctes pourront-ils s’exprimer ? Rien n’en est moins sûr mais dans ce cas-là, ce n’est plus de l’éducation aux médias que l’on propose à nos enfants, c’est un programme de propagande.
Des associations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme et des organisations de jeunesse et d’éducation populaire.
Celles-ci « seront mobilisées pour lutter contre les dérives du relativisme, de la rumeur et de l’obscurantisme dans le cadre d’interventions auprès des jeunes. » Mais que viennent faire des associations partisanes dans nos écoles et quel est leur rapport à l’éducation aux médias ? Ces « partenaires associatifs » imposeront certainement plus la Pravda officielle qu’ils n’éduqueront aux médias.
Importance du numérique
Le plan de la ministre insiste sur l’importance d’éduquer les enfants au numérique pour leur donner les bons outils afin qu’ils sachent où chercher l’information et comment déceler la désinformation. Ne voudrait-on pas imposer là une grille de lecture aux élèves ? Par exemple, les vidéos de Dieudonné = désinformation alors que celles de Médiapart = information. Internet permet pourtant de lire, de regarder ou d’écouter des reportages, des vidéos, des textes aux multiples opinions. Nos gouvernements n’auraient-ils pas simplement peur de perdre la main ? En apprenant aux enfants quels sont les médias que l’on peut croire et ceux qui seraient « obscurantistes, colporteraient la propagande, les rumeurs, la désinformation », chercherait-on à imposer une dictature de la pensée ?
Ils l’ont dit
Jean-Marie Charon
Sociologue spécialisé dans les médias, réagit à la proposition de la ministre pour 20 Minutes. « J’ai l’impression qu’on réinvente la roue. Ce travail pratique existe déjà, mais n’arrive pas à émerger, car jusqu’ici, c’est le volet le moins encadré, qui demande davantage de moyens. […] Il y a encore quelques jours, la tendance était plutôt de diminuer tout ça. Depuis 2012, ce n’était plus la priorité. On a eu tendance à considérer que l’éducation aux médias traditionnels était moins utile. L’accent étant porté sur la “numérisation de l’enseignement”. […] La ministre a récemment mis en garde sur les théories de complot qui polluent le Web… Internet est-il dangereux ? On a déjà entendu ce discours pour la télévision, sur le thème “les jeunes apprennent d’abord les choses à la télévision et ensuite à l’école”. Même débat, aussi, lors de la création des radios libres, concernant l’apprentissage de la sexualité. On transfère aujourd’hui ce discours sur Internet… Je souris d’ailleurs sur cette supposée nouveauté : le phénomène existe depuis les skyblogs où des centaines de milliers de plates-formes d’information ont été créées.
Olivier Aïm
Analyste des médias, a peur que cette éducation aux médias rende les élèves suspicieux. « S’il convient de mettre en place dans nos collèges un enseignement aux images, aux médias et au “montage” médiatique, il est indispensable de transmettre, en contrepoint, une histoire réflexive des manières de lire les images, de les charger de valeurs ou de contre-valeurs […] Le discours décrypteur appartient lui-même à un objectif analytique qui peut être le plus sain, comme détruire la nocivité de certains stéréotypes par exemple, mais qui peut être le plus malveillant, à savoir construire un monde de soupçon généralisé, explicable par une hypothèse unique et totalitaire : le complot. Le décryptage n’est pas toujours le remède, il est ainsi parfois le mal. »
Crédit photo : Florent Pessaud via Wikimedia (cc)
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— Claude Chollet (@ClaudeChollet) 10 Février 2015