Les élections législatives hongroises (un seul tour) auront lieu le 3 avril 2022. Dans cette perspective, le 2 février 2022, Denník N annonçait un appel aux dons dans le but de financer une version hongroise en ligne, en premier lieu à destination des Hongrois de Slovaquie, une communauté d’un peu moins d’un demi-million de personnes. Denník N a pour projet de publier en hongrois des sélections d’articles parus en slovaque et de traduire vers le slovaque des productions du futur portail en langue hongroise.
« La liberté de la presse hongroise est en crise »
Selon ses initiateurs, le projet de portail en langue hongroise permettrait de combler le « manque considérable de représentation démocratique » des Hongrois de Slovaquie, qui seraient aussi concernés par « la crise touchant la liberté de la presse en Hongrie. »
La rédaction du portail slovaque poursuit en expliquant qu’en Hongrie « une part significative des médias sont dans les mains de groupes d’intérêts de milieux d’affaires, d’hommes politiques et d’oligarques. » D’après Denník N, en Hongrie, « l’oppression d’un pouvoir autocratique met en danger la liberté de la presse depuis des années. »
« La pieuvre libérale s’étire »
En Slovaquie, le portail ma7.sk proche du gouvernement hongrois a rapidement réagi au projet de Denník N en faisant état de l’orientation idéologique et des affinités politiques des équipes du média slovaque.
Deux jours suite à l’annonce du lancement du projet hongrois de Denník N, Károly Kövesdi, éditorialiste à ma7.sk a raillé sans détour le projet slovaque :
« Une poignée de Hongrois de Slovaquie libéraux étant derrière Denník N voudrait s’obstiner dans le projet raté de Most-Híd [« Maintenant, pont », ancien parti slovaque de la minorité hongroise, ndlr], en nous vendant cela avec un slogan tapageur appelant à la paix sociale. »
Dans son article à charge, Károly Kövesdi défend que la Hongrie n’a pas à rougir face à ses voisins d’Europe de l’Ouest en matière de liberté de la presse. Selon lui, les médias d’opposition, qui se prétendent indépendants, n’ont pas véritablement à se plaindre en Hongrie. Leur audience est large et leur style totalement libre, usant régulièrement d’un ton dur à l’égard du gouvernement hongrois et de la personne du Premier ministre Viktor Orbán. L’emploi fréquent des termes « dictateur » et « régime » par ces médias d’opposition donnerait lieu, d’après lui, à des procès en Europe de l’Ouest, alors que cela est une pratique très rare en Hongrie.
Kövesdi est convaincu que les Hongrois de Slovaquie ne sont pas dupes et qu’ils ne voudront pas de la « thérapie Denník N », évoquant le parti Most-Híd, qui a échoué selon lui, et un créneau déjà occupé par Új Szó, un portail slovaque de langue hongroise édité par le groupe SME, proche de la galaxie Soros. Denník N est un média créé en 2014, par une scission de 45 journalistes membres de l’équipe de SME, ce qui indique clairement sa ligne éditoriale.
Une équipe éclectique et bienpensante
Ayant atteint ses objectifs de levée de fonds à la vitesse éclair — l’opération de crowdfunding ayant attiré 1072 donateurs pour un total de 91 483 euros —, il est peu probable que ce projet ne voit pas le jour.
L’équipe qui animera cette version hongroise n’est pas encore établie, mais plusieurs noms sont d’ores et déjà connus. La cheville ouvrière de ce projet sera le journaliste Zoltán Szalay, collaborateur de Denník N depuis 2019 et ancien rédacteur en chef d’Új Szó (appartenant au groupe SME) et d’Irodalmi Szemle (revue littéraire de gauche libérale). Szalay est lié au milieu culturel et littéraire budapestois, connu pour être farouchement anti-Orbán et largement dominé par une tendance libérale-libertaire.
Parmi les soutiens à ce portail en langue hongroise, on trouve également l’historien Attila Simon, qui, en 2019, est devenu conseiller aux questions des minorités auprès de la présidente slovaque Zuzana Čaputová, dont l’affiliation libérale et pro-LBGT n’est un secret pour personne. Les autres soutiens sont liés à l’univers culturel et littéraire hongrois libéral : le comédien Kristóf Melecsky, la linguiste Lucia Molnár Satinska, le psychiatre Péter Hunčík et l’artiste plasticienne Ilona Németh. Cette dernière a d’ailleurs aussi été appelée, en 2019, à conseiller la présidente Zuzana Čaputová, au côté de l’historien Attila Simon. Une initiative électorale un peu dans le style du magazine Franc tireur en France, lancé pour la réélection du président Macron.
Voir aussi : Le Media Development Investment Fund : arme financière des réseaux d’influence médiatique de George Soros