Rediffusion. Première diffusion le 12 mars 2018
L’analyse des résultats d’une élection est un exercice difficile. À l’occasion des élections législatives qui ont eu lieu le 4 mars en Italie et de la progression de partis dits « populistes », nombre de médias ont trouvé une explication rapide. Ils utilisent des éléments de langage, dont on ne sait plus qui les a introduits ni pourquoi on les répète ad nauseam. Ils présentent l’avantage de ne pas remettre en cause les schémas existants alors que de nombreux électeurs italiens ont voulu renverser la table. Illustration.
Les résultats
Comme le souligne la chaîne Euronews, « le parti populiste Mouvement 5 Étoiles est au firmament à l’issue des législatives italiennes. La coalition entre la droite de Berlusconi et l’extrême droite de Salvini est en pole position ».
Les positions sur l’immigration des partis en tête aux élections législatives
Le mouvement 5 Étoiles veut selon Nice Matin « signer plusieurs traités internationaux. Le but : rapatrier les migrants, qui sont en situation irrégulière en Italie, vers leur pays d’origine ». La Croix indique qu’il se fixe « un objectif « zéro débarquement ».
Quant à la Ligue, son leader, Matteo Salvini, « s’engage à expulser 500 000 migrants clandestins s’il accède au pouvoir », peut-on lire sur RT Actu. On ne peut être plus clair.
Pourtant, sur le thème de l’immigration, l’interprétation du résultat des élections par de nombreux médias est la suivante : si beaucoup d’italiens ont porté leurs suffrages sur certains partis dits « populistes », c’est parce que les institutions européennes et les pays européens n’ont pas « fait preuve de solidarité », en ne se répartissant pas les centaines de milliers de migrants arrivés sur le sol italien.
Les autres pays européens responsables
Ainsi, le spécialiste de l’Italie Marc Lazar interviewé par Les Inrocks attribue le résultat des élections « à (cause de) la situation économique et sociale mais aussi (de) la situation des migrants, (où) les Italiens ont eu l’impression d’être abandonnés, et ont été abandonnés par les différents pays de l’Union européenne ». Même son de cloche pour France Info : « Les électeurs de 5 étoiles ont sanctionné le manque de solidarité de l’Union dans la crise migratoire ».
Le Monde pose une question dont on pressent la réponse : « L’Union Européenne paie-t-elle, avec ce scrutin italien, son incapacité à aider le pays, en première ligne dans la crise des migrants, alors que les Italiens ont eu, ces dernières années, la légitime impression d’avoir été abandonnés par Bruxelles ? ».
Pour L’Obs « les partenaires de l’Italie au sein de l’Union Européenne ont quasiment programmé (la victoire des partis anti immigration NDLR), en laissant la péninsule se débrouiller, seule, face à une puissante vague migratoire venue d’Afrique, via la Libye. Plus de 600 000 personnes ont traversé la méditerranée depuis cinq ans, dans un pays incapable d’absorber un tel accroissement de la population, pour des raisons économiques et budgétaires ».
Une chroniqueuse d’Europe 1, Hélène Jouan, accuse « une Europe indigente et impuissante à régler de façon solidaire cette urgence migratoire, comme si l’Europe n’avait pas laissé l’Italie bien seule face aux migrants de Lampedusa ».
France Info interviewe le président de Civico Europa, un cercle de réflexion pro-européen. Celui-ci répond positivement à la question du journaliste: « l’Europe ne paye pas le prix d’avoir laissé l’Italie seule face aux 700 000 migrants qui sont arrivés depuis 2013 ? ». Etc…
Les guillemets d’une citation d’Emmanuel Macron
Comme si cela ne suffisait pas, ces arguments sont également accolés aux déclarations du Président Macron qui réagissait le 5 mars au résultat de ces élections. Ainsi, pour Le Figaro du 5 mars, « le président français Emmanuel Macron a pour sa part expliqué ce résultat par la « forte pression migratoire » pesant sur l’Italie, qui s’est sentie seule face aux près de 700.000 migrants débarqués depuis 2013 ». Tout est dans l’emplacement des guillemets qui cadrent les propos du Président français. Alors qu’aucun extrait de l’intervention du chef de l’État n’accrédite ces affirmations.
Par ce raisonnement, s’insinue l’idée que l’immigration massive est un phénomène naturel qu’il convient de gérer au mieux, mais qu’en aucun cas on ne peut contenir, et que c’est le message que nombre d’italiens ont voulu donner. Alors que les positions des partis pour lesquels ils ont voté sont sans ambiguïté sur le sujet.
Encore une fois, certains sujets semblent toujours tabous pour les médias, comme la remise en cause du non refoulement des embarcations en mer, gravé dans le marbre du code des frontières Schengen. Alors que le renforcement depuis l’été 2017 du contrôle des navires d’O.N.G. évoqué par France 24 a fait baisser le nombre d’arrivées en Italie et a accrédité l’hypothèse d’un pont maritime entre la Lybie et l’Italie. Pas un mot, ou de très rares, sur la politique de l’Australie qui régule les entrées sur son territoire en refoulant les embarcations clandestines, une « stratégie payante » selon Le Figaro. Silence sur le nombre dérisoire de renvois par l’État italien de clandestins, 15 000 reconduites sur 500 000 arrivées recensées en 2015 et 2016 selon Les Échos.
« Ils feignent de s’affliger des conséquences tout en s’accommodant des causes » disait déjà Bossuet au 17e siècle. L’expression n’a pas pris une ride. Et à l’arrivée toujours la même incompréhension médiatique de l’inexorable-poussée-des-partis-populistes…