« Les Informés » de France Info se présentent comme une émission de débat et de réflexion. Du lundi au vendredi, cette émission est menée par Jean-François Achilli. Le dimanche 28 avril, Achilli est remplacé par Noé da Silva avec une discussion obligée sur les élections espagnoles, alors que les bureaux de vote viennent de clore leurs portes de l’autre côté des Pyrénées. Les invités sont Bruno Dive, journaliste politique, éditorialiste à Sud-Ouest, Serge Cimino, journaliste au service politique de France 3, Denis Sieffert, directeur de la rédaction de Politis, et Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef à La Croix. Comme généralement aux « Informés » de France Info, ces invités ne se distinguent pas par un pluralisme excessif de leurs opinions.
Inquiétudes et alliances redoutables
Le ton est donné d’emblée par le journaliste-animateur de France Info à l’heure où sont publiés les sondages (qui ne sont pas des sondages de sortie des urnes mais les derniers sondages de la veille, et laissent donc encore beaucoup de place à l’incertitude) : « L’extrême droite pourrait faire son entrée au Parlement. Une première depuis plus de 40 ans. »
Qui est cette extrême droite ? C’est le parti Vox, bien sûr, dont on saura dans la nuit qu’il a fait élire 24 députés avec un peu plus de 10 % des voix contre 0,02 % en 2016. Bruno Dive précisera néanmoins à un moment que Vox est « une extrême droite un peu particulière puisque c’est une scission du Parti populaire. Ce n’est pas notre Rassemblement national, notre Front national à nous. »
Comme on ne connaît pas encore les résultats définitifs, Denis Sieffert s’inquiète malgré tout : « Le Parti socialiste arrive en tête mais il n’aura sans doute pas la possibilité de gouverner seul, même avec ses alliés, je dirais presque naturels, Podemos notamment, mais la question est de savoir aussi si Vox va pouvoir servir de force d’appoint – et c’est ça qui est très redoutable dans cette affaire – à une droite et à un centre qui ont fait déjà alliance avec cette extrême droite en Andalousie. Et il y a donc là une sorte de porosité des idées de l’extrême droite qui peut aboutir à une alliance tout à fait redoutable en Espagne, même si le Parti socialiste arrive en tête. »
Ce parti Vox issu d’une scission en 2013 de l’aile droite, conservatrice, du PP, alors que le premier ministre de l’époque, Mariano Rajoy, avait fait prendre à son parti un tournant libéral-libertaire et préservait certaines réformes du gouvernement socialiste de Zapatero (légalisation de l’avortement, loi mémorielle…) sur lesquelles il avait promis de revenir, est donc « très redoutable », tandis que Podemos, parti d’extrême gauche allié aux communistes d’Izquierda Unida dans la coalition électorale Unidas Podemos, n’est qu’un « allié naturel » du Parti socialiste espagnol. À aucun moment au cours de l’émission les invités ne s’inquiéteront de la participation possible d’Unidas Podemos au prochain gouvernement de Pedro Sánchez. Ce parti n’est d’ailleurs jamais affublé du qualificatif « extrême », au contraire de Vox.
« Isabelle de Gaulmyn, qu’est-ce qui vous inquiète, vous ? », enchaîne le journaliste de la radio publique. Réponse de la rédactrice en chef de La Croix : « Ce qui m’inquiète, c’est qu’on a retrouvé avec ces élections des problématiques qu’on a dans d’autres pays d’Europe. » Serge Cimino intervient : « (…) L’Espagne, c’est pas le Rassemblement national en France. L’histoire de l’Espagne fait qu’ils ont connu ce qui pourrait s’apparenter à ces ultranationalistes de Vox. ». On l’aura compris, le journaliste brandit le spectre d’un retour de la dictature franquiste avec Vox.
Pour l’animateur de l’émission, ce qui motive le vote pour Vox, ce ne sont d’ailleurs pas les opinions de droite, conservatrices, mais la peur. « Il y a une peur des électeurs, il y a une peur de perdre la Catalogne, une peur pour l’avenir du pays, on n’a plus confiance, on a peur… Le mot ‘peur’ revient beaucoup. Les populistes y répondent », affirme Noé da Silva.
Bruno Dive fait remarquer qu’outre la peur, il y a l’exaspération, notamment face aux « excès des indépendantistes catalans », une « sorte d’exaspération devant ces Catalans (…) qui voulaient mettre fin à l’unité espagnole ».
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L’infox du jour
« Ils ne veulent pas de l’indépendance de la Catalogne, mais ils veulent quitter l’Union européenne. », s’offusque à tort da Silva. Il n’y aura personne pour le contredire, même si c’est faux : le parti espagnol Vox n’a pas la sortie de l’UE dans son programme. Il veut certes suspendre l’espace Schengen tant qu’il n’y aura pas de garanties supplémentaires pour assurer qu’il ne permet pas aux séparatistes catalans d’échapper à la justice espagnole ni aux mafias de l’immigration illégale d’agir si facilement. Il souhaite aussi un nouveau traité européen pour revenir à la situation du traité de Nice et il soutient la vision de l’UE partagée par les pays du Groupe de Visegrád. Cependant, vouloir réformer l’Union européenne, même si ce n’est pas dans le sens souhaité par l’animateur et les participants de l’émission « Les Informés » de France Info, ce n’est pas la même chose que de vouloir quitter l’Union européenne.
Bruno Dive, du journal Sud-Ouest, qui semble un peu moins mal informé que les autres « Informés », est d’ailleurs décontenancé. À l’affirmation du journaliste de France Info (« ils veulent quitter l’Union européenne »), il répond : « Qui ça ? ». Noé da Silva : « Vox ». Bruno Dive : « Ah, Vox, oui. Mais après, il y a d’autres sujets. Mais je pense que Vox a prospéré en grande partie sur le rejet de l’indépendantisme catalan. ». La rédactrice en chef de La Croix, en revanche, relaie l’infox de France Info : « D’ailleurs c’est drôle, parce que les Catalans, eux, au contraire, se disent Européens. Il y a une forme d’inversion un peu des choses et effectivement l’Europe, pour certains comme pour Vox, est quelque chose qui dynamite l’union nationale. » L’explication du directeur de la rédaction de Politis : « C’est sans doute la grande erreur des indépendantistes catalans : ils ont anticipé sur une Europe qui pour l’instant n’existe pas. En effet, ils sont très européens, ils étaient pour une Europe des régions et ils remettent en cause les États nationaux. »
« Une Europe qui pour l’instant n’existe pas » ? Et donc une Europe des régions, sans États nations, qui serait destinée à voir le jour ? Finalement, si le tort des séparatistes catalans est d’avoir anticipé sur l’Europe du futur, le tort de Vox est de n’avoir pas compris le sens de l’histoire. Ce n’est d’ailleurs pas le seul domaine où Vox a un problème avec le sens de l’histoire. L’animateur de France Info demande si « On peut faire campagne aujourd’hui en étant anti-féministe ». Isabelle de Gaulmyn s’exclame : « En Europe ! ». « Cela semble aller dans le sens inverse de l’histoire ? De ce qui est en train de se produire sur la planète ! », s’étonne da Silva, qui pour le coup affiche une vision plutôt marxiste d’une histoire à sens unique, prédéterminé.
Ce que à quoi les « Informés » se réfèrent mais n’expliquent pas aux auditeurs, c’est que le parti Vox souhaite remplacer la « Loi sur les violences de genre », relative aux violences commises par des hommes contre des femmes et qu’il considère comme conduisant à de nombreux abus judiciaires, par une loi sur les violences familiales, afin d’assurer un traitement égal à toutes les victimes de violences (personnes âgées, hommes, femmes et enfants) indépendamment du sexe des uns et des autres. Vox a aussi dans son programme la fin des subventions aux organisations féministes radicales et des poursuites à l’encontre des auteurs de dénonciations mensongères.
Peurs et rééducation du public
Mais aux « Informés » de France Info, plutôt que de discuter de la pertinence ou non des revendications de ce parti qui vient de faire irruption au parlement espagnol et d’informer les auditeurs sur le fond du problème, on veut rééduquer le public en agitant le spectre des « heures les plus sombres de notre histoire » pour attiser les peurs des auditeurs. Serge Cimino : « C’est toujours le ‘Plus jamais ça’ quand on en parle, qu’un pays a traversé ce genre de période (…). Vox n’est pas au pouvoir bien évidemment, mais c’est quand même que quelque chose est cassé et que ce leader-là, comme d’ailleurs d’autres leaders en Europe – que ce soit l’Espagne, que ce soit la Hongrie, que ce soit dans notre cher Hexagone –, quand on joue sur toutes les fractures volontairement, on pousse les gens vers le repli, et parfois ça fonctionne. »
Pour Denis Sieffert, d’ailleurs : « Ce mouvement est en effet issu de la droite du Parti populaire mais il a été sans retenue, il a fait une campagne extrêmement violente. Il a fait le buzz avec des provocations sur les immigrés, alors que ce n’est pas un problème central en Espagne. Sur les étrangers, sur l’autre en général, et il a provoqué un certain nombre de polémiques et de scandales. (…) Il a compris que faire le buzz c’est formidable même si on dit des énormités. » Pas un mot en revanche de sa part ni de la part d’aucun autre journaliste présent à propos des violences physiques subies au cours de la campagne par les sympathisants de Vox, de la part de l’extrême gauche et des nationalistes régionaux, ou à encore à propos des menaces de mort à l’encontre de son dirigeant, Santiago Abascal, notamment depuis les élections andalouses de décembre, quand Podemos a appelé à la constitution d’un front antifasciste contre Vox.
Et si Podemos serait bien vu dans le gouvernement de Pedro Sánchez, « comment interpréter que les alliés européens d’En Marche, Ciudadanos, s’est allié en Andalousie avec Vox ? », demande Noé da Silva. Bruno Dive a la réponse : c’est à cause des rancunes personnelles d’Albert Rivera, le leader de Ciudadanos, à l’encontre du socialiste Pedro Sánchez, « mais c’est un jeu dangereux, risqué, que joue Ciudadanos ».