Première diffusion le 18/09/2018 — L’Observatoire du journalisme (Ojim) se met au régime de Noël jusqu’au 5 janvier 2019. Pendant cette période nous avons sélectionné pour les 26 articles de la rentrée qui nous ont semblé les plus pertinents. Bonne lecture, n’oubliez pas le petit cochon de l’Ojim pour nous soutenir et bonnes fêtes à tous. Claude Chollet, Président
La campagne pour les élections européennes est déjà lancée. Ce ne sont pas seulement les politiciens qui ont donné le top départ, ce sont aussi les médias mainstream. Beaucoup d’entre eux en ont défini les enjeux et les challengers. Ils utilisent par ailleurs dans de nombreux débats, tribunes et articles des argumentaires identiques à ceux des partis politiques qui ont leur préférence. Nous passons en revue les éléments de langage utilisés pour les différents thèmes.
« L’immigration va être le thème central des élections européennes »
Dès le 5 juillet, Le Monde nous prévenait : « les migrants, (seront le) thème déjà central des élections européennes ». À l’unisson, France Info affirme que « les élections européennes de mai 2019 s’annoncent tendues, avec l’immigration comme thème majeur ». Selon L’Obs, le sujet des migrants est littéralement devenu explosif avec la série d’élections dans plusieurs pays européens depuis dix-huit mois ». Pour Challenges, « les critiques virulentes contre la politique d’Angela Merkel vis-à-vis des réfugiés ont permis aux mouvements d’extrême-droite à travers l’Europe de gonfler leurs rangs, au point d’espérer rafler la victoire au scrutin du printemps prochain ».
Pourtant, le 28 mai, Ouest-France nous informait que selon un sondage réalisé pour LCP-Assemblée nationale, « la lutte contre le terrorisme (47 %) et l’immigration (41 %) sont les sujets mis en avant par les sondés loin devant l’emploi (24 %) ». On ne saura pas pourquoi certains journalistes évacuent le thème de la lutte contre le terrorisme aussi rapidement, alors que cet objectif lui aussi semble être important pour de nombreux français.
« Il y aura deux camps : les « populistes » et les « progressistes »
Selon France Culture le 1er septembre, « Orban et Salvini feront face aux progressistes ». Sur LCI, David Pujadas organise un débat le 14 septembre sur le thème : « Populisme contre progressisme, l’Europe divisée ». Selon Le Monde, « nous sommes face à l’affrontement de deux mondes : l’Europe libérale et progressiste face à celle souverainiste et antimigrants ». Pour Libération le 5 septembre le Président Macron prétend « fédérer un camp des «progressistes». « Face aux populistes, Macron se veut champion de l’Europe ».
On aura compris avec les mots employés – populistes, progressistes – qu’il y a d’un côté les dangereux démagogues qui écoutent et flattent vilement le peuple, et de l’autre les partisans du progrès de la civilisation. Avec ces deux camps si caricaturalement désignés, le choix de la raison devrait se faire sans aucune hésitation. Remercions ici les éditorialistes qui, pour paraphraser le journaliste Christophe Barbier, sont nos tuteurs sur lesquels, comme du lierre rampant, nous pouvons nous élever.
Les principaux protagonistes étant désignés, de nombreux médias relaient déjà des argumentaires élaborés par les professionnels de l’immigration et les politiciens « progressistes », qui visent à battre en brèche les thèses des « populistes ».
« Les arguments des partis populistes reposent sur des mensonges »
Les premières salves viennent du secteur associatif :
« La crise migratoire est derrière nous » nous informe en juin le Directeur de France Terre d’asile sur France Info le 13 juin. Le Président de la CIMADE s’exprime le 3 septembre sur RCF (Radio Chrétienne Francophone) au sujet des migrants, « l’Europe traverse une crise de ses valeurs ».
Le parti présidentiel est sur la même ligne :
Libération nous informe le 25 juin que le chef de l’État français l’a martelé, « l’Europe traverse «une crise politique» ». Il désigne « des pays gagnés par la «lèpre» nationaliste (…) saisissant le prétexte des migrants pour s’attaquer au projet européen lui-même ».
S’exprimant sur France Info sur les arrivées de migrants en Europe, le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne affirme : « Ce n’est pas tant une crise migratoire qu’une crise politique ». « Ce flux s’est tari de 80% depuis 2015. Le sujet a été pris pour agiter le chiffon rouge, mais en réalité un certain nombre de réponses pérennes sont en train d’être posées ».
Un discours lénifiant qui est repris par les médias, notamment par le journal d’extrême gauche Regards dans un article titré : « Fausse crise des migrants, vraie crise de l’Europe ». « Dans les faits, on est loin d’une situation comparable à la crise de 2015. Un million de migrants et réfugiés étaient alors arrivés par terre et mer en Europe. Le flux s’est largement tari depuis. En 2018, ils ne sont que 73.000 à avoir abordé les côtes européennes, soit une baisse de 50% par rapport à l’année dernière à la même période ».
Cet argumentaire est répété en boucle dans les médias :
Les Échos nous apprennent le 8 juillet que des chercheurs spécialistes du sujet martèlent (comme le Président Macron…NDLR) que « l’Europe ne vit pas aujourd’hui de crise migratoire ».
Pour BFMTV, « malgré une baisse notable du nombre de migrants arrivant en Europe, l’opinion publique dans sa majorité et des responsables politiques demeurent convaincus de la persistance d’une crise migratoire ».
Les journalistes d’Arte consacrent le 11 septembre un débat autour de la question : « Europe : les droites peuvent-elles céder à la tentation identitaire ? ». Un professeur de relations internationales à Sciences Po s’indigne : « il y a une grande pathologie, on regarde dans le rétroviseur. La mondialisation, ça implique la banalisation des flux migratoires, la redéfinition des identités ». Une spécialiste des migrations renchérit : « on a une très grande stabilité des flux migratoires depuis 15 ans, 20 ans ».
Dans le journal télévisé du 12 septembre, un journaliste de TF1 commente l’augmentation du nombre de garde-frontières européens. Après avoir présenté sommairement des arguments de Marine Le Pen et du ministre de l’intérieur italien Matteo Salvini, le journaliste s’empresse de faire la chasse aux « idées reçues » : « Les chiffres d’arrivées ne cessent de diminuer », « alors que les flux migratoires baissent, les budgets pour sécuriser les frontières sont doublés ». On image le téléspectateur indigné du mauvais usage de l’argent public.
En résumé, responsables associatifs, politiciens « progressistes » et de nombreux journalistes s’accordent pour estimer que les flux migratoires sont en baisse et que la préoccupation de nombreux français à ce sujet est irrationnelle.
Mensonges par omission
L’affaire serait entendue s’il n’y avait pas un petit oubli dans ce tableau si rassurant : la situation particulière de la France. On aurait aimé que nos éminents spécialistes des questions migratoires nous présentent certains chiffres éloquents :
- l’évolution du nombre de titres de séjour : de 193 000 premiers titres de séjour délivrés en 2012, on passe, selon le site Atlantico à partir de chiffres officiels, à 262 000 en 2017. Une légère augmentation de 35 % en 5 ans.
- le nombre des entrées « recensées » de clandestins en France : il a été multiplié par trois en trois ans, passant de 26 000 en 2014 à 79 500 en 2017 selon Le Figaro du 19 mars 2018 à partir de statistiques du Pôle national d’Analyse Migratoire, rattaché au Ministère de l’intérieur.
- la progression des arrivées de mineurs non accompagnés : + 85% entre 2010 et 2017. Une filière d’immigration clandestine en pleine expansion, passée sous silence dans les médias comme nous l’indiquions récemment dans un article de l’OJIM.
- la hausse constante du nombre de demandeurs d’asile : 120 412 en 2017 en incluant les « dublinés », alors qu’il y en avait 61 000 en 2010 (source : Figaro du 5 avril 2018). Ceci alors que la non-reconduite à la frontière des déboutés du droit d’asile aboutit selon la Cour des comptes citée par Le Monde à ce que l’asile « est devenue la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France ».
- la multiplication des centres d’accueil des demandeurs d’asile dans toute la France. Cela n’empêche pas de nombreuses occupations illégales par des clandestins de bâtiments et sites dans plusieurs villages et villes, comme le relate la presse régionale à Clermont-Ferrand, Saint-Pierre-des-Corps , Pennessuy, Lille, Paris, Poitiers, Toulouse, Bordeaux, Dijon, Angers, Rennes, Nantes, Caen, etc. On pourrait multiplier les arguments qui montrent que loin d’être derrière nous, la crise migratoire est particulièrement aigue en France.
Quelques voix discordantes se font entendre, comme Le Figaro du 6 juillet dans un article argumenté : « En baisse dans l’ensemble de l’Europe, le nombre de demandeurs d’asile continue d’augmenter en France. C’est l’une des réalités, parmi d’autres, que l’opinion ignore. Et pour cause : le discours dominant affirme que la crise migratoire est derrière nous ».
Ne comptons pas sur les médias mainstream pour nous le rappeler. Alors que ceux-ci semblent déjà faire campagne, nous laisserons la conclusion à Pierre Haski de L’Obs : « La campagne des européennes promet donc d’être brutale, propice aux manipulations d’opinion ». Sûrement, mais peut-être pas dans le sens auquel il pensait…