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Élections européennes 2019 : les éléments de langage des médias français

24 décembre 2018

Temps de lecture : 8 minutes
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Élections européennes 2019 : les éléments de langage des médias français

Temps de lecture : 8 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 18/09/2018 — L’Observatoire du jour­nal­isme (Ojim) se met au régime de Noël jusqu’au 5 jan­vi­er 2019. Pen­dant cette péri­ode nous avons sélec­tion­né pour les 26 arti­cles de la ren­trée qui nous ont sem­blé les plus per­ti­nents. Bonne lec­ture, n’oubliez pas le petit cochon de l’Ojim pour nous soutenir et bonnes fêtes à tous. Claude Chol­let, Président

La campagne pour les élections européennes est déjà lancée. Ce ne sont pas seulement les politiciens qui ont donné le top départ, ce sont aussi les médias mainstream. Beaucoup d’entre eux en ont défini les enjeux et les challengers. Ils utilisent par ailleurs dans de nombreux débats, tribunes et articles des argumentaires identiques à ceux des partis politiques qui ont leur préférence. Nous passons en revue les éléments de langage utilisés pour les différents thèmes.

« L’immigration va être le thème central des élections européennes »

Dès le 5 juil­let, Le Monde nous préve­nait : « les migrants, (seront le) thème déjà cen­tral des élec­tions européennes ». À l’unisson, France Info affirme que « les élec­tions européennes de mai 2019 s’an­non­cent ten­dues, avec l’im­mi­gra­tion comme thème majeur ». Selon L’Obs, le sujet des migrants est lit­térale­ment devenu explosif avec la série d’élections dans plusieurs pays européens depuis dix-huit mois ». Pour Chal­lenges, « les cri­tiques vir­u­lentes con­tre la poli­tique d’An­gela Merkel vis-à-vis des réfugiés ont per­mis aux mou­ve­ments d’ex­trême-droite à tra­vers l’Eu­rope de gon­fler leurs rangs, au point d’e­spér­er rafler la vic­toire au scrutin du print­emps prochain ».

Pour­tant, le 28 mai, Ouest-France nous infor­mait que selon un sondage réal­isé pour LCP-Assem­blée nationale, « la lutte con­tre le ter­ror­isme (47 %) et l’immigration (41 %) sont les sujets mis en avant par les sondés loin devant l’emploi (24 %) ». On ne saura pas pourquoi cer­tains jour­nal­istes évac­uent le thème de la lutte con­tre le ter­ror­isme aus­si rapi­de­ment, alors que cet objec­tif lui aus­si sem­ble être impor­tant pour de nom­breux français.

« Il y aura deux camps : les « populistes » et les « progressistes »

Selon France Cul­ture le 1er sep­tem­bre, « Orban et Salvi­ni fer­ont face aux pro­gres­sistes ». Sur LCI, David Pujadas organ­ise un débat le 14 sep­tem­bre sur le thème : « Pop­ulisme con­tre pro­gres­sisme, l’Eu­rope divisée ». Selon Le Monde, « nous sommes face à l’af­fron­te­ment de deux mon­des : l’Europe libérale et pro­gres­siste face à celle sou­verain­iste et antimi­grants ». Pour Libéra­tion le 5 sep­tem­bre le Prési­dent Macron pré­tend «  fédér­er un camp des «pro­gres­sistes». « Face aux pop­ulistes, Macron se veut cham­pi­on de l’Europe ».

On aura com­pris avec les mots employés – pop­ulistes, pro­gres­sistes – qu’il y a d’un côté les dan­gereux dém­a­gogues qui écoutent et flat­tent vile­ment le peu­ple, et de l’autre les par­ti­sans du pro­grès de la civil­i­sa­tion. Avec ces deux camps si car­i­cat­u­rale­ment désignés, le choix de la rai­son devrait se faire sans aucune hési­ta­tion. Remer­cions ici les édi­to­ri­al­istes qui, pour para­phras­er le jour­nal­iste Christophe Bar­bi­er, sont nos tuteurs sur lesquels, comme du lierre ram­pant, nous pou­vons nous élever.

Les prin­ci­paux pro­tag­o­nistes étant désignés, de nom­breux médias relaient déjà des argu­men­taires élaborés par les pro­fes­sion­nels de l’immigration et les politi­ciens « pro­gres­sistes », qui visent à bat­tre en brèche les thès­es des « populistes ».

« Les arguments des partis populistes reposent sur des mensonges »

Les pre­mières salves vien­nent du secteur associatif :

«  La crise migra­toire est der­rière nous » nous informe en juin le Directeur de France Terre d’asile sur France Info le 13 juin. Le Prési­dent de la CIMADE s’exprime le 3 sep­tem­bre sur RCF (Radio Chré­ti­enne Fran­coph­o­ne) au sujet des migrants, « l’Europe tra­verse une crise de ses valeurs ».

Le par­ti prési­den­tiel est sur la même ligne :

Libéra­tion nous informe le 25 juin que le chef de l’État français l’a martelé, « l’Europe tra­verse «une crise poli­tique» ». Il désigne « des pays gag­nés par la «lèpre» nation­al­iste (…) sai­sis­sant le pré­texte des migrants pour s’attaquer au pro­jet européen lui-même ».

S’exprimant sur France Info sur les arrivées de migrants en Europe, le secré­taire d’É­tat Jean-Bap­tiste Lemoyne affirme : « Ce n’est pas tant une crise migra­toire qu’une crise poli­tique ». « Ce flux s’est tari de 80% depuis 2015. Le sujet a été pris pour agiter le chif­fon rouge, mais en réal­ité un cer­tain nom­bre de répons­es pérennes sont en train d’être posées ».

Un dis­cours lénifi­ant qui est repris par les médias, notam­ment par le jour­nal d’extrême gauche Regards dans un arti­cle titré : « Fausse crise des migrants, vraie crise de l’Europe ». « Dans les faits, on est loin d’une sit­u­a­tion com­pa­ra­ble à la crise de 2015. Un mil­lion de migrants et réfugiés étaient alors arrivés par terre et mer en Europe. Le flux s’est large­ment tari depuis. En 2018, ils ne sont que 73.000 à avoir abor­dé les côtes européennes, soit une baisse de 50% par rap­port à l’année dernière à la même péri­ode ».

Cet argu­men­taire est répété en boucle dans les médias :

Les Échos nous appren­nent le 8 juil­let que des chercheurs spé­cial­istes du sujet martè­lent (comme le Prési­dent Macron…NDLR) que « l’Eu­rope ne vit pas aujour­d’hui de crise migra­toire ».

Pour BFMTV, « mal­gré une baisse notable du nom­bre de migrants arrivant en Europe, l’opin­ion publique dans sa majorité et des respon­s­ables poli­tiques demeurent con­va­in­cus de la per­sis­tance d’une crise migra­toire ».

Les jour­nal­istes d’Arte con­sacrent le 11 sep­tem­bre un débat autour de la ques­tion : « Europe : les droites peu­vent-elles céder à la ten­ta­tion iden­ti­taire ? ». Un pro­fesseur de rela­tions inter­na­tionales à Sci­ences Po s’indigne : « il y a une grande patholo­gie, on regarde dans le rétro­viseur. La mon­di­al­i­sa­tion, ça implique la banal­i­sa­tion des flux migra­toires, la redéf­i­ni­tion des iden­tités ». Une spé­cial­iste des migra­tions renchérit : « on a une très grande sta­bil­ité des flux migra­toires depuis 15 ans, 20 ans ».

Dans le jour­nal télévisé du 12 sep­tem­bre, un jour­nal­iste de TF1 com­mente l’augmentation du nom­bre de garde-fron­tières européens. Après avoir présen­té som­maire­ment des argu­ments de Marine Le Pen et du min­istre de l’intérieur ital­ien Mat­teo Salvi­ni, le jour­nal­iste s’empresse de faire la chas­se aux « idées reçues » : « Les chiffres d’arrivées ne cessent de dimin­uer »,  « alors que les flux migra­toires bais­sent, les bud­gets pour sécuris­er les fron­tières sont dou­blés ». On image le téléspec­ta­teur indigné du mau­vais usage de l’argent public.

En résumé, respon­s­ables asso­ci­at­ifs, politi­ciens « pro­gres­sistes » et de nom­breux jour­nal­istes s’accordent pour estimer que les flux migra­toires sont en baisse et que la préoc­cu­pa­tion de nom­breux français à ce sujet est irrationnelle.

Mensonges par omission

L’affaire serait enten­due s’il n’y avait pas un petit oubli dans ce tableau si ras­sur­ant : la sit­u­a­tion par­ti­c­ulière de la France. On aurait aimé que nos émi­nents spé­cial­istes des ques­tions migra­toires nous présen­tent cer­tains chiffres éloquents :

- l’évolution du nom­bre de titres de séjour : de 193 000 pre­miers titres de séjour délivrés en 2012, on passe, selon le site Atlanti­co à par­tir de chiffres offi­ciels, à 262 000 en 2017. Une légère aug­men­ta­tion de 35 % en 5 ans.

- le nom­bre des entrées « recen­sées » de clan­des­tins en France : il a été mul­ti­plié par trois en trois ans, pas­sant de 26 000 en 2014 à 79 500 en 2017 selon Le Figaro du 19 mars 2018 à par­tir de sta­tis­tiques du Pôle nation­al d’Analyse Migra­toire, rat­taché au Min­istère de l’intérieur.

- la pro­gres­sion des arrivées de mineurs non accom­pa­g­nés : + 85% entre 2010 et 2017. Une fil­ière d’immigration clan­des­tine en pleine expan­sion, passée sous silence dans les médias comme nous l’indiquions récem­ment dans un arti­cle de l’OJIM.

- la hausse con­stante du nom­bre de deman­deurs d’asile : 120 412 en 2017 en inclu­ant les « dublinés », alors qu’il y en avait 61 000 en 2010 (source : Figaro du 5 avril 2018). Ceci alors que la non-recon­duite à la fron­tière des déboutés du droit d’asile aboutit selon la Cour des comptes citée par Le Monde à ce que l’asile « est dev­enue la prin­ci­pale source d’arrivée d’immigrants clan­des­tins en France ».

- la mul­ti­pli­ca­tion des cen­tres d’accueil des deman­deurs d’asile dans toute la France. Cela n’empêche pas de nom­breuses occu­pa­tions illé­gales par des clan­des­tins de bâti­ments et sites dans plusieurs vil­lages et villes, comme le relate la presse régionale à Cler­mont-Fer­rand, Saint-Pierre-des-Corps , Pen­nes­suy, Lille, Paris, Poitiers, Toulouse, Bor­deaux, Dijon, Angers, Rennes, Nantes, Caen, etc. On pour­rait mul­ti­pli­er les argu­ments qui mon­trent que loin d’être der­rière nous, la crise migra­toire est par­ti­c­ulière­ment aigue en France.

Quelques voix dis­cor­dantes se font enten­dre, comme Le Figaro du 6 juil­let dans un arti­cle argu­men­té : « En baisse dans l’ensem­ble de l’Eu­rope, le nom­bre de deman­deurs d’asile con­tin­ue d’aug­menter en France. C’est l’une des réal­ités, par­mi d’autres, que l’opin­ion ignore. Et pour cause : le dis­cours dom­i­nant affirme que la crise migra­toire est der­rière nous ».

Ne comp­tons pas sur les médias main­stream pour nous le rap­pel­er. Alors que ceux-ci sem­blent déjà faire cam­pagne, nous lais­serons la con­clu­sion à Pierre Has­ki de L’Obs : « La cam­pagne des européennes promet donc d’être bru­tale, prop­ice aux manip­u­la­tions d’opinion ». Sûre­ment, mais peut-être pas dans le sens auquel il pensait…

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